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lundi 26 novembre 2018

Paris : Exposition Madagascar (Arts de la Grande Île), Musée du Quai Branly



Je n'ai jamais mis le pied à Madagascar, bien que ce soit une des terres proches de l'Afrique qui me tentent le plus, ni visité d'exposition qui y soit consacrée.

Je ne connais, comme tout le monde, que les productions actuelles (vanille, crevettes, vétiver), l'artisanat (vannerie, pierres sculptées), les cailloux (le sous-sol riche continue à offrir ses trésors). Baobabs et lémuriens. J'ai lu un récit sur l'occupation française…

Quelques sculptures au Metropolitan Museum de New York, dans la collection Rockefeller.

Voilà à peu près toutes mes connaissances. C'est peu !

Il est temps de découvrir une culture riche.



Temandrota, Agnombe Manonta


Donc, voici une série d'objets en provenance de presque toutes les zones de l'île. Le Sud est moins représenté, visiblement moins peuplé. Beaucoup de ces pièces datent du XIXe siècle, donc déjà de la présence française.

Je pense que cela correspond logiquement à la période de collecte, et sans doute que beaucoup d'objets antérieurs ont disparu.

Je m'attendais à davantage d'influences extérieures, dans une île qui commerçait largement avec l'étranger. On voit surtout une culture autochtone très singularisée, évidemment influencée par les Occidentaux lorsque ceux-ci viennent coloniser l'île.

Partons à la découverte !

Mortier en forme de zébu, style zala

 Le zébu fut importé vers l'an mil. Il modifia profondément le paysage naturel, avec l'aménagement de pâturage pour les troupeaux, et la société en amenant la richesse au propriétaire du cheptel.

Œuf d'aepyornis

L'aepyornis était un oiseau géant, disparu comme le dodo et une foule d'oiseaux dont la zone était limitée. Le cartel m'apprend que ce serait l'oiseau-roc dont parlent les contes des Mille et Une Nuits. Moi qui croyait que c'était un bestiau de légende, à l'instar du phénix ou de l'oiseau-tonnerre !

Morondava, La mythique allée des baobabs foulée par les emblématiques zébus

Vase avec une inscription en arabe, poids en chloritoschiste, cuillère en nacre

Variété des matières comme des cultures. Madagascar est un creuset de peuples et d'influences, que les vagues d'immigration successive ont façonné. Et la richesse du sous-sol a permis l'utilisation d'une multiplicité de matières.

Lampe à huile, bois et coquillages

Bouclier en peau de zébu, style sakalava

La présence d'armes dénote toujours des guerriers. Luttes de clans et de territoire sont plus fréquents dans l'histoire de l'île que le combat contre les envahisseurs.

Sagaie-trident, style Bara

Anonyme, Vue panoramique d'Antananarivo, 1929

 La colonisation a partout laissé des traces dans l'expression artistique, modifiant les traditions en imposant les codes de la peinture occidentale.

Les palais royaux dominent la situation, au-dessus de la colline arborée.

Canne, style Bara

 Les colons français interdisaient la sagaie, emblème traditionnel du pouvoir. On opta alors pour la canne sculptée, introduisant un nouveau courant artistique. Je trouve celle-ci très expressive.

Eugène Joseph Bastard, Malgache de profil, vers 1900

Un beau portrait d'homme avec une sagaie. Le tissu qui l'enveloppe était alors le vêtement national.

La reine Ravalona III sur son trône, photo sur papier aristotype, vers 1883

Vers le XIIIe siècle, les comptoirs le long des côtes se développent, deviennent des villes importantes et des petits royaumes. Le pouvoir dynastique est étroitement lié à la religion, contrôlée par l'ombiasy, à la fois devin et guérisseur.

Etui royal, bijoux de chef, ornement magique de chef.

L'étui du haut comporte une fente secrète sur le côté pour protéger les documents les plus précieux.

Peinture reproduisant les fresques du Tranovola

Le Tranovola, le Palais d'Argent où réside le roi, est décoré de fresques au début du XIXe siècle, détruites par un incendie en 1995.

Eugène Joseph Bastard, Bara de la province de Betroka

Les photographes accompagnent les missions scientifiques et militaires. Le général Gallieni monte un service s'occupant spécialement de la photographie au long de sa mission, ce qui nous vaut nombre de précieux clichés.

Tongamana et ses descendants, Statuettes

Au début du XXe siècle, le berger Tongamana sculpte ces statuettes qu'il vendra à des Européens. Elles comportent des poils de zébu qui représentent barbe et cils.

Peinture malgache, début XXe siècle

Fortement marquées par la peinture et la gravure occidentales, les œuvres des artistes locaux se développent, encouragées par le pouvoir colonial qui les utilise pour opposer les populations entre elles.

Jean Laborde-Harisoa, Guerrier Antandroy

Joseph Razafintseheno, Six scènes malgaches

Une de mes anciennes élèves, d'origine malgache, porte ce nom. Est-elle une descendante ?

Statuette anthropomorphe, début XXe siècle

Les yeux en verre apportent un supplément troublant. Très belle statue.

Volet sculpté, style Zafimaniry

Dans les habitations dépourvues d'ornement, le panneau de bois est le seul élément décoratif. La délicatesse des motifs montre la maîtrise des graveurs.

Volet sculpté, style Zafimaniry

Les Zafimaniry sont un peuple des hauts plateaux du centre de Madagascar, qui travaillent une vingtaine d'espèces d'arbres différentes.

Volet sculpté, style Merina

Ce sont les motifs géométriques qui sont ici majoritairement employés, avec beaucoup de minutie.

Panneau sculpté, style Zafimaniry

Panneau sculpté, style Zafimaniry

Linteaux sculptés

La présence militaire a marqué l'imaginaire. Les frises de ces linteaux montrent des soldats avec tout leur équipement. On repère bien les tirailleurs en bas à gauche.

Att. Rakotosalama, Maquette d'une maison malgache

Modeste habitation où une seule pièce abrite toutes les activités.


Plat à découper, style Tamala

Boîte à couvercle en bois

Epices, sel et café sont mis à l'abri dans ces boîtes minutieusement décorées.

Mortier double Sakay
Ces petits mortiers servent surtout à piler les épices.

Tube gravé, XIXe siècle

Visiblement l'art européen est passé par là…

Bereline Etamone, Boîte Rakitse

Les fibres végétales se trouvent sans difficulté et le tressage est une activité répandue. On fabrique des objets aux formes les plus diverses.

Pot en terre cuite

Les pots les plus prestigieux sont placés à l'intérieur alors que les autres n'ont droit qu'au sud-ouest de la maison, lieu péjoratif.

Pot à miel avec couvercle

Boîte à miel, style Mahafaly

Chapeaux tressés

De toute taille, de tout contexte, de toute saison.

Cithares tubulaires en bambou

Les Malgaches sont très réputés comme peuple de musiciens. Les fils tendus sur le bambou sont pincés par les citharistes.

Pagaie de prestige

Accessoire alternatif à la canne.


Les bijoux d'argent alternent tradition et originalité.


Couteaux, XIXe siècle

Lame fine, fourreau travaillé, manche original. Le couteau est sans doute un des instruments métalliques les plus répandus dans le monde, et dont la forme ne diffère guère.

Statuette du Bilo

Le Bilo est un exorcisme où on délivre une personne possédée. On sculpte une statuette dont une partie conserve l'écorce pour héberger l'esprit du mal avant de s'en débarrasser.

Cuillères ornementées

Les cuillères sont des objets personnels qui ne se prêtent pas. L'occasion d'une riche créativité.

Cuillère ornementée

Beaucoup de cuillères sont associées à la fertilité.

Cuillère ornementée

Echantillons de soie d'araignée

La soie d'araignée, c'est simplement la toile  récupérée et retissée.

Madame Zo, Textile contemporain

Madame Zo, présentée dans un petit film documentaire, est la reine du tissage. Avec son métier à tisser, elle est capable de créer n'importe quel tissu.

C'est la pionnière du tissage du papier journal, mais elle récupère aussi les bandes magnétiques des vieilles cassettes pour les transformer en ces tissus brillants.

Madame Zo, Textile contemporain

Madame Zo, Textile contemporain

Bande magnétique en bas (on la voit bien au centre), fibre végétale récupérée en haut. J'aime beaucoup ce travail.

Madame Zo, Textile contemporain

Deux Ody Mohara

Il est important à Madagascar de se prémunir contre les malédictions, sortilèges, caprices du destin. On différencie l'amulette qui protège l'individu et le talisman qui se charge de la communauté. Ces Ody Mohara servent d'intercesseurs avec l'au-delà. On peut y ajouter des éléments humains (dents, cheveux), des paires de ciseaux. Un peu de tout apparemment.

Elément de Mohara

L'ombiasy, le devin-guérisseur, doit étudier le problème et fabriquer la protection adaptée.

Collier avec des dents

Ody Mohara

Ody Mohara

Ody Mohara

Ody Mohara

On voit bien la paire de ciseaux sur celui-ci.

Amulette

Cet objet curieux, à la fois reliquaire de restes royaux et assemblage de dents de crocodile, est arboré à la ceinture par les jeunes princes lors de la circoncision.

Charme Nala

Une liane sculptée, où la forme naturelle a été utilisée pour former un animal fabuleux.

Ody, fin XIXe siècle

Un étrange assemblage, avec un flacon en verre et un personnage inquiétant à la tête brodée de perles.

Charme de quadruplés ; Ody Mohara avec deux personnages

Ody Mohara au crocodile

Le terrible crocodile est un symbole de puissance et de protection. Ce ody sert à se protéger du danger lors de la traversée d'une rivière. On n'indique pas le succès de la protection.

Talisman contre les sagaies

Ody Mohara de style Bara

Les ciseaux, encore.

Ody, fin XIXe siècle

Amulettes de terre cuite

Rares statuettes qui semblent figurer plusieurs visages.

Extrait d'un film ancien, l'exhumation de Mme Vavimatou

Cette cérémonie où on sort le corps mort et on fait la fête est illustrée dans un très beau film d'animation, Madagascar carnet de voyage. On peut le voir sur internet.

Statues d'ibis

La dernière salle présente de magnifiques statues de haute taille, liées aux cérémonies funéraires et parfois dressées près des sépultures. elles ont beaucoup souffert de cette exposition en plein air, avec vent, pluie et soleil.

Statues, fin XIXe siècle

Poteaux funéraires

Certains de ces poteaux ressemblent à des totems et alternent figures et motifs géométriques.

Sculpture de femme

Les figures féminines forment un couple avec l'homme dans les tombeaux sakalava.

Poteau funéraire téza

Le poteau funéraire support une plate-forme où on place les crânes de zébus immolés en l'honneur du défunt.

Série de poteaux funéraires

Les poteaux expriment le rang social. Le principal signe extérieur de richesse est le nombre de zébus, possédés d'abord, dont un certain nombre sera immolé. Ils sont fréquemment représentés sur les poteaux.

Sculptures rituelles sakalava

Les yeux en coquillage ont disparu. Mais l'expressivité s'en trouve peut-être renforcée.

Statues de guerrier et gardiens de temple

Les figures de guerriers et de gardiens sont un classique dans le monde entier. Il en reste extrêmement peu provenant de Madagascar. Les deux plus grandes furent présentées à l'Exposition Universelle de Paris en 1900.

Efiaimbelo, Poteaux funéraires

L'art préserve les traditions mais les a fait évoluer.

Poteau funéraire Bara ou Sakalava

Poteau à décrypter : les oiseaux du haut, c'est l'âme des ancêtres. La mère et son enfant, la nouvelle vie qui viendra. Les crânes des zébus sacrifiés protègent l'âme du défunt.


Avant de quitter ces lieux, un dernier regard vers cette salle remplie de merveilles.

Très belle, très originale, très intéressante exposition, pleine de découvertes. Courez-y !

26 commentaires:

  1. Lovely, powerful art from an unknown country.
    Great post, full of informations.
    Annie

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  2. Passionnant! On connaît finalement fort peu sur Madagascar, sorti des makis catta.
    Ce formidable article m'a énormément appris.
    Un immense merci.
    Pierre

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    1. Merci à vous, Pierre, pour votre commentaire chaleureux.

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  3. C'est effectivement magnifique et ça me rappelle de beaux souvenirs de mon voyage dans cette île extraordinaire. Je reconnais les cuillères, j'ai failli en acheter une à Tana.
    Ton article est super !
    Mais il n'y rien sur notre repas chez Chartier, c'est normal ?
    Bises
    Michèle

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    1. C'est que j'ai un retard fou ! Et je ne sais pas quand je vais arriver à le combler. J'arrive en période de conseils de classe, ce qui signifie soirées chargées !
      Merci à toi, bisous.

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  4. Magnifique! J'ai adoré Mada. Ton article me donne très envie de faire un tour dans cette exposition.
    Bises
    Françoise

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    1. Tous les gens que je connais et qui y sont allés sont revenus enchantés.
      Tu te régaleras à l'expo.
      Bisous.

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  5. Excellent article. De magnifiques objets qui donnent envie de les découvrir en trois dimensions dans l'exposition.
    Merci beaucoup !
    Clair

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  6. Un très bel article. Photos de bonne qualité et commentaires bien dosés. Il a tout a fait sa place sur cet excellent blog.
    Bruno

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  7. Passionnant article grâce à d'excellentes photos et de remarquables commentaires.
    Michel

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  8. Because of this post, this exhibition is in my bucket list ! My trip in Paris is scheduled, next Xmas.
    Rod

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    1. A great idea ! Have a fine trip, Rod.
      Thanks for your comment !

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  9. Bonjour
    je suis d'origine malgache et je vis en France. Je n'aurais pas la possibilitée d'aller voir cette exposition et je suis tres reconaissant a vous pour ce bel article tres complet qui me permet de me faire une idee. Vous m'avez fait beaucoup de plaisir.

    Du fond du ceur un grand merci

    Raza

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    1. Merci beaucoup Raza. Je suis très touché par la sincérité de votre commentaire.

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  10. Extraordinary highlights of an unknown art. Great post. Your blog is a gem.
    Perin

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  11. Magnifique article sur mon île. Ce blog est très riche et passionnant. Continuez !
    Hélène

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  12. I didn't expect to see this exhibition but, after your post, it's on my bucket list !
    Shawn

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    1. It is a big honor if my blog leads people into museums…
      Thanks, Shawn !

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  13. Madagascar est pour nous une île secrète, sauvage. Cette exposition, grâce à toi, va me permettre de faire sa connaissance. Nous pouvons voir des objets d'une grande originalité, de simple beauté, des tissus, des pierres très finement sculptées. De nombreux artistes créent des oeuvres hors du commun tout en respectant les coutumes. Je finis l'article éblouie, ayant appris et admiré l'art de ce peuple raffiné.
    Un grand merci. Bisous.
    Mam

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    1. Ce genre d'exposition permet toujours de mesurer l'ignorance qu'on a de populations à la culture riche et singulière, et de mettre quelques éléments dans ces grandes lacunes. L'originalité de ces arts malgaches saute effectivement aux yeux.
      Je vois que l'identification est revenue !
      Un grand merci pour cet affectueux commentaire, gros bisous.

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