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vendredi 2 octobre 2020

Tivoli : La Villa d'Este, le palais (1)


 La luxueuse villa construite par le fils de Lucrèce  Borgia est un vrai palais somptueusement décoré, une des plus étonnantes créations de la Renaissance.

Première partie de la visite avec le niveau supérieur et, en prime, une petite exposition de peintures antiques, belles et étonnantes.

La villa d'Este vue du jardin

Fils de Lucrèce Borgia et du duc Alphonse d'Este, Hippolyte II (et non Gennaro, le fils dans la pièce de Victor Hugo et l'opéra de Donizetti) était cardinal. Son frère Hercule était le gendre de Louis XII, et c'est sans doute cette relation qui favorisa sa carrière en France : il fut nommé abbé de l'abbaye de Chaalis, dans l'Oise, qui avait été fondée par Louis VI. Mais aussi de celles de Jumièges, de Flavigny (celle de l'anis) ; sept en tout. Et archevêque, également : à Lyon, à Tréguier, à Autun, à Narbonne, à Maurienne, et même dans ma ville natale d'Arles, de 1562 à 1567 ! Grand protecteur des arts, il fut aussi mécène du compositeur Palestrina.

 Cependant le lien privilégié avec François Ier ne fut pas maintenu avec son successeur, Henri II, et Hippolyte dut regagner l'Italie.

La villa d'Este vue du jardin

Dès 1550, il avait commandé à Pirro Ligorio un palais avec jardin dans la ville de Tivoli où il avait été nommé gouverneur. Sur le terrain se trouvait déjà le couvent de Santa Maria Maggiore (Sainte Marie Majeure, comme à Rome) et l'architecte choisit de le conserver et de le transformer. 
 
Cour de la Villa d'Este

La cour par laquelle débute la visite évoque bien le cloître du couvent avec ses galeries à arcades.

Cour de la Villa d'Este

Ligorio dut s'adapter à un bâtiment forcément inégal, qui ne permettait pas beaucoup de créativité ; cependant les fameux jardins montrent son inventivité. La Villa Adriana à quelques kilomètres est abondamment pillée pour fournir les marbres employés.

Et si l'extérieur du palais semble banal, ses salles nous révèlent les merveilles d'une décoration raffinée, toute en fresques, la grande réalisation de Livio Agresto.

Villa d'Este, plafond aux oiseaux

Ce peintre maniériste est né à Forli, petite ville d'Emilie-Romagne où le fructueux passage de Giotto a donné naissance à une école de peinture, dont Melozzo (le peintre des Anges du Vatican, autrefois à la Basilique des Saints Apôtres) était le grand représentant au XVe siècle. Marco Palmezzano, un autre excellent peintre, provient de la même école.

Villa d'Este, plafond aux oiseaux

Le corridor qui donne aujourd'hui accès à la billetterie possède un plafond très coloré, dont la fresque imite les caissons traditionnels ; dans les rectangles allongés s'ébattent des volatiles pleins de fraîcheur.


La magnificence de la villa, la nouveauté de ses jardins attira toute l'Europe ; gouvernants, papes, artistes (dès Titien qui s'y rendit tout exprès) tenaient à visiter cette merveille. Liszt y fit plusieurs séjours ; après l'échec de sa relation avec la princesse de Sayn Wittgenstein, le cardinal von Hohenlohe l'invita durant plusieurs mois. Le pianiste compositeur exprima sa vision du lieu dans une superbe pièce, Jeux d'eau à la Villa d'Este. Il faillit bien mourir ici, à cause de la tentative d'assassinat ourdie par Olga Janina, la fausse comtesse cosaque. Je le répète, il faut lire une biographie de Liszt, sa vie est un roman !

La salle des Arts et des Métiers (Sala degli Arti e dei Mestieri)


Tivoli, Villa d'Este : Salle des Arts et des Métiers

A l'époque du cardinal Hippolyte, la salle était son bureau privé, sans doute peu décoré ; l'inventaire de 1678 ne mentionne qu'une seule toile, aujourd'hui disparue. C'est lorsque le palais devint propriété de l'état, en 1925, que fut réalisée cette série sur les corporations de Tivoli par Emilio Notte, peintre futuriste qui montre plutôt ici un retour à la tradition.

Tivoli, Villa d'Este : Salle des Arts et des Métiers, les Meunières

Sa version des meunières évoque vaguement les femmes de Michel-Ange.

Tivoli, Villa d'Este : Salle des Arts et des Métiers, Sibylle de Tibur

La Sibylle de Tibur, solide matrone, feuillette le livre des droits civiques.

Tivoli, Villa d'Este : Salle des Arts et des Métiers

Les artisans me feraient plutôt penser aux fresques qui ornent divers immeubles à Vienne, comme la Windmühlhof, ou le réalisme socialiste soviétique, façon Deineka.

La chapelle


Tivoli, Villa d'Este : la chapelle
Federico Zuccari,  Vierge à l'Enfant

La petite chapelle est un délicat écrin imaginé par Federico Zuccari, avec trompe-l'œil obligés, scènes de la Bible et de la vie de la Vierge. Le retable est étonnant : la Vierge à l'Enfant y échappe au canon de Jésus sur les genoux. Ici la mère prie devant son bambin, qui marche à quelques pas d'elle.


Le carrelage de terre cuite a traversé les siècles. C'est la première fois que je parviens à le photographier ! D'ordinaire, la foule dense empêche même de le voir.

La chambre du Cardinal


Tivoli, Villa d'Este : la chambre du Cardinal

Le mobilier fut totalement dispersé et les salles sont maintenant bien vides. Celles de l'étage inférieur présentent des fresques sur tous les murs mais ici, c'est en hauteur que la décoration se concentre.

Difficile, en l'absence de lit, de voir ici une chambre ; heureusement, inventaire et témoignages documentent abondamment la villa.

Tivoli, Villa d'Este : la chambre du Cardinal, le plafond

Le plafond fut sculpté par Flaminio Bollinger et Giovanni da Tivoli tandis que Leandro Romano et Giovanni Battista Veneziano le peignirent et le dorèrent. Ils représentèrent le blason du cardinal, l'aigle avec une devise tirée d'Ovide, Ab insomni non custodita dracone : le dragon (draco) en question, 
c'est le Ladon, le monstre qui gardait les pommes d'or des Hespérides.  Muret, un Français ami du cardinal, lui envoya une lettre où il expliquait qu'Hippolyte n'avait pas besoin de conquérir ces fruits puisqu'il les possédait déjà. Le jardin de la villa d'Este était donc assimilé à celui des Hespérides...

Tivoli, Villa d'Este : la chambre du Cardinal, le plafond et les fresques

Les fresques qui ceinturent le plafond furent peintes par Cesare Nebbia, artiste connu pour ses fresques à la Trinité des Monts, et son atelier ; il représenta les Vertus, groupées par deux autour de médaillons. La palette acidulée, en particulier avec ces verts pastel et ces roses, s'inscrit clairement dans le maniérisme.

Tivoli, Villa d'Este : la chambre du Cardinal, le plafond et les fresques

Le choix iconographique ne manque pas d'intérêt. La Loi, à gauche, s'apprête à inscrire les textes dans le Code ; l'encrier est déjà prêt. A droite, la Foi, sûre d'elle, va clamer sa victoire au son des trompettes.

L'antichambre


Tivoli, Villa d'Este : l'antichambre, le plafond et les fresques

Livio Agresti, le responsable du programme général de décoration, se vit confier les peintures de l'antichambre, la pièce qui précédait la chambre, et du salon voisin. Pas de plafond en bois cette fois : celui-ci était entièrement orné à fresques, tout comme la frise autour de la salle. 

On retrouve, sans doute dans un souci d'unité, les médaillons vides, tout aussi mystérieux. Seize figures de Vertus, toujours identifiées par l'inscription, se tiennent debout dans la frise. Ce thème fut particulièrement développé dans l'art et la littérature de la Renaissance, période où la symbolique était recherchée.

Tivoli, Villa d'Este : l'antichambre, le plafond et les fresques


Des grotesques s'alignent dans les bandes qui séparent les parties du plafond ; des tableautins présentent des vues inspirées de Tivoli dans l'Antiquité. A l'époque, la ville se nommait Tibur, et son nom est relié à la fameuse sibylle qui aurait annoncé à Auguste la venue du Christ.

Au centre, deux putti encadrent le blason d'Hippolyte II. Il a fait figurer son statut de cardinal, avec le chapeau rouge et les glands qui pendent de chaque côté.

Le salon supérieur

Tivoli, Villa d'Este : vue depuis le salon supérieur


La fenêtre ouverte permet de profiter d'une vue plongeante sur les jardins, où la végétation dissimule entièrement les fontaines, et au-delà sur la campagne méditerranéenne.

La pièce principale profitait évidemment de cette vue sur un ample panorama, pour éblouir les visiteurs dès leur arrivée dans ce salon de réception.

Tivoli, Villa d'Este : le salon supérieur, le plafond et les fresques

Dernière pièce de l'appartement dans l'ordre de la visite, ce salon supérieur était en fait la première pour les invités de l'époque. 

Livio Agresti coordonna donc un groupe d'artistes pour la décoration, qui poursuit les thèmes précédents ; on retrouve la série de Vertus groupées en duo autour de pavillons.

Tivoli, Villa d'Este : le salon supérieur, la Sagesse (Sapientia)

La Sagesse porte un casque guerrier mais une robe aux effets de voiles transparents dans un camaïeu maniériste.

Tivoli, Villa d'Este : le salon supérieur, la Patience (Patientia)

La Patience nous fixe, impassible. Je présume qu'elle tient en main une horloge à eau. 

Cette fois le peintre propose un décor végétal et un effet tridimensionnel avec le pied posé sur le cadre, trompe-l'œil très prisé à la Renaissance ; de nombreux peintres l'utilisèrent dans le portrait à cette époque.

Tivoli, Villa d'Este : le salon supérieur, le plafond et les fresques

Toujours en respectant le programme, le plafond intègre de petits paysages, ce genre pictural alors en plein épanouissement. La campagne romaine de Tibur s'y présente dans une perspective réussie ; ces peintures pourraient être bien plus récentes si la palette maniériste ne révélait leur époque.

Tivoli, Villa d'Este : le salon supérieur, le blason

Cette fois le blason n'occupe pas le centre du plafond mais l'encadrement des fenêtres. Les hôtes qui voulaient profiter de la vue ne pouvaient le manquer.

Exposition : les peintures antiques au port franc de Genève

Le port franc de Genève serait le plus grand musée du monde ; plaque tournante du marché de l'art, on y saisit régulièrement tableaux, dessins, objets précieux. Ces quelques fresques furent saisies par la police ; la partie la plus intéressante de ces belles peintures me semble les natures mortes qui renseigne utilement sur l'alimentation de la Rome antique.

Fresque du Ier siècle, Persée et Andromède

Cassiopée a prétendu que sa fille Andromède était aussi belle que les Néréides de Poséidon. Furieux, ce dernier a répondu par un monstre marin, une inondation. Seul le sacrifice d'Andromède, attachée sur un rocher pour être dévorée par la créature, pourra faire cesser cette calamité. Persée, qui vient juste de vaincre la méduse Gorgone, tombe amoureux de la jeune fille et attaque le monstre. Il en sera récompensé et pourra épouser Andromède (non sans s'être débarrassé de l'oncle de celle-ci qui la convoitait).

L'artiste a repris tous les éléments : rocher, monstre, et les deux protagonistes. Délivrée des coiffes sophistiquées de la noblesse romaine, sa chevelure semble faire d'elle notre contemporaine.


Fresque du Ier siècle, Paysage avec bâtiments

Dans un paysage de collines rocheuses et arborées s'élèvent plusieurs bâtiments : une colonne qui semble surmontée d'une statue, une tour ronde qui rappelle le Mausolée de Cecilia Metella, un temple à fronton triangulaire.

Fresque du Ier siècle, Nature morte

Promesse de régals à venir : deux langoustines  et des oursins sur la corniche, une botte d'asperges, des petits pains et des huîtres. Une idée de recette ?

Fresque du Ier siècle, Nature morte

Mangez des produits de la mer ! Dans une mignonne corbeille tressée toute semblable aux nôtres, quelques poissons variés et deux seiches.

Fresque du Ier siècle, Nature morte

Autre proposition culinaire : accorderait-on ces langoustes avec les fruits rouges sur l'arbre à l'arrière, dans lequel il me semble reconnaître un arbousier ?

Fresque du Ier siècle, Nature morte

On est si familier de ces représentations, notamment grâce au développement de la nature morte dans la peinture hollandaise ou flamande, qu'on ne saisit pas immédiatement combien cette peinture est extraordinaire : elle a deux mille ans et pourrait avoir été peinte à n'importe quelle époque. Le plat rempli de cerises, le panier de figues pourraient avoir été peints de nos jours. Les figues importées de Carthage prouvaient les mérites de la flotte commerciale qui arrivait au port d'Ostie.

Fresque du Ier siècle, Nature morte

La grenade était un fruit de choix dans l'Antiquité, paré de multiples vertus. J'ai davantage de mal à identifier les fruits violacés ; la couleur me rappelle la prune mais la forme me laisse perplexe.

L'extraordinaire ici est cependant la brousse qui égoutte dans le petit panier, rare témoignage des produits laitiers de l'Antiquité.



Décorés comme des grottes avec des reliefs, couloir et escalier conduisent à la seconde partie de la villa.


Scènes mythologiques et animaux se mélangent dans les peintures.

4 commentaires:

  1. A wonderful palace, with great paintings. I didn't know Roman people made cheese!
    I still tear so much with your informative texts.
    I wait for your next post!
    Annie

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  2. Un grand bravo pour ce travail remarquable qui m'a bien aidée à me retrouver dans mes propres photos. A toutes fins utiles, je vous signale la thèse de Fannie Caron-Roy (2015) consultable à: https://papyrus.bib.umontreal.ca/xmlui/handle/1866/13773
    Il y a un désaccord entre vous sur l'attribution de la Vierge à l'Enfant de la chapelle
    Encore merci

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    Réponses
    1. Merci pour ce commentaire judicieux, cher Anonyme, ainsi que pour la suggestion du document. Je vais consulter avec intérêt cette thèse, les documents sont rares et mes sources anciennes. J'avais eu bien du mal à les trouver, d'ailleurs. Je présume que le travail de cette chercheuse se fonde sur des bases bien plus fiables.

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