Baldassare Peruzzi, le peintre des perspectives, est également l'auteur des portraits de dieux et des scènes mythologiques. Un beau programme pictural qui, comme les autres salles, rend d'abord hommage à la culture du propriétaire, le banquier Agostino Chigi. Le choix des scènes était toujours défini dans le contrat, parfois avec beaucoup de précision quant à l'exécution, et il ne se limite pas ici aux mythes les plus réputés.
Dieux et déesses
Rome, La Farnesina : salle des perspectives, Mercure |
Le chapeau ailé est un indice indubitable pour identifier le dieu Mercure, qui regarde du coin de l'œil ; il a posé une table de grand violon devant lui. Le dieu messager est présent avec son caducée dans la loggia de Galatée, assiste Jupiter qui enlève Europe dans la salle de la frise, et tient un vrai rôle dans l'histoire de Psyché, dans la loggia d'Amour et Psyché. Dans cette dernière salle, on l'a vu avec deux instruments à vent, une chalemie et une flûte. Mais un instrument à cordes, c'est beaucoup plus rare. Mercure devient ici un vrai musicien sans que j'y voie de raison particulière.
Rome, La Farnesina : salle des perspectives, Neptune |
Neptune est également apparu dans les salles précédentes et brandit bien haut son trident afin qu'on l'identifie sans difficulté. Joli effet de trompe-l'œil avec la main sur la corniche.
Rome, La Farnesina : salle des perspectives, Jupiter |
L'aigle accompagne déjà Jupiter dans la loggia d'Amour et de Psyché, et il ajoute ici sa foudre. Peruzzi lui a prêté un regard plein de vivacité.
Rome, La Farnesina : salle des perspectives, Apollon |
Un Apollon aux traits doux présente sa lyre. Comme Mercure, il est vivement mis en lumière et l'ombre nette contribue à l'illusion du relief.
Rome, La Farnesina : salle des perspectives, Diane et Minerve |
Rome, La Farnesina : salle des perspectives, Diane |
Diane la chasseresse caresse le compagnon de ses exploits tout en montrant nettement son arc et son carquois.
Rome, La Farnesina : salle des perspectives, Minerve |
Rome, La Farnesina : salle des perspectives, Cérès |
Rome, La Farnesina : salle des perspectives, La Forge de Vulcain |
La Forge de Vulcain est un thème approprié pour une cheminée. Ce n'est pas la scène représentée par Vélasquez où Apollon vient lui apprendre que sa femme, l'infidèle Vénus, entretient une relation avec Mars, mais la vision descriptive d'un atelier idéal où on travaille les métaux. Rappelons que le banquier Chigi gérait les mines d'alun papales.
Les scènes mythologiques et les Métamorphoses d'Ovide
"Mon premier amour pour les livres, je le dois au plaisir que j'eus à lire les Métamorphoses d'Ovide ; (...) je renonçais à tout autre plaisir pour celui de les lire "
Céyx et Alcyone
Rome, La Farnesina : salle des perspectives, Céyx et Alcyone |
Ovide nous narre la légende d'Alcyone et de son époux, le roi Céyx, le tuteur des enfants d'Hercule. Alors qu'il se rend consulter un oracle, il se noie. Morphée prévient Alcyone qui cherche partout le corps de son bien-aimé et le découvre, flottant dans les eaux. Les dieux touchés par son chagrin les transforment tous deux en martins-pêcheurs.
Deucalion et Pyrrha
Apollon et Daphné
Rome, La Farnesina : salle des perspectives, Apollon et Daphné |
Harcelée par Apollon, Daphné demande à son père de la transformer en laurier. Comme la plupart des artistes (et je pense bien sûr aussi au chef-d'œuvre du Bernin), Peruzzi choisit le passage précis de la transformation ; toutefois dans le moment retenu, Daphné est déjà presque un arbre.
Vénus et Adonis
Rome, La Farnesina : salle des perspectives, Vénus et Adonis |
Proserpine, celle qui possédait l'élixir de beauté dans la loggia de Psyché, a découvert Adonis dans un coffre en bois et en est amoureuse. Vénus l'est également et ses sentiments sont réciproques. Elle a appelé Jupiter qui a dû trancher en ordonnant qu'il passerait une partie de l'année avec chacune d'elles. Comme il a divisé l'année en quadrimestres, la déesse de la beauté (et mère de Cupidon) est avantagée en en récupérant deux.
Le Triomphe de Bacchus
Rome, La Farnesina : salle des perspectives, Le Triomphe de Bacchus |
Pélops et Œnomaos
L'Helikon (le prétendu "Parnasse")
En voilà un qui m'aura donné du fil à retordre, notamment parce que l'identification courante repose sur une erreur.
Je récapitule tout cela dans mon article sur ce faux Parnasse.
Le Triomphe de Vénus
Rome, La Farnesina : salle des perspectives, Le Triomphe de Vénus |
Le Triomphe de Vénus fait pendant à celui de Bacchus. Il s'agit cette fois d'une scène nautique, rappelant qu'elle est issue de l'écume de la mer. Vénus et Anchise étaient les parents d'Enée, le fondateur mythique de Rome, et elle a toujours bénéficié ici d'une place de choix.
Iris et Hypnos
Rome, La Farnesina : salle des perspectives, Iris et Hypnos |
La scène fait partie du mythe d'Alcyone ; Iris réveille Hypnos (en grec) / Somnus (en latin), le dieu du sommeil. Il devra envoyer son fils Morphée, le dieu des rêves, vers Alcyone. Ainsi sera-t-elle avertie par un songe de la mort de Ceyx.
L'antre du Sommeil se trouve dans un pays lointain, dans une grotte retirée et obscure, bercée seulement par le murmure du Léthé et dont l'entrée, dépourvue de porte et de gardien, est défendue par des plantes soporifiques. Au centre de la grotte se dresse le lit du seigneur des lieux, le Sommeil, entouré de ses innombrables fils, les Songes.
Céphale et Procris
Rome, La Farnesina : salle des perspectives, Céphale et Procris |
Encore un roman d'amour tragique ; Céphale et Procris sont des mariés amoureux. Aurore est séduite par la beauté du jeune homme et veut le détourner de sa bien-aimée. Elle le pousse à se déguiser pour l'éprouver et, presque comme dans Cosi fan tutte, la jeune fille est séduite par un homme travesti qu'elle connaissait déjà. Elle s'enfuit mais ils se réconcilient finalement.
Phaéton
Rome, La Farnesina : salle des perspectives, Phaéton |
Phaéton obtient de son père Hélios la permission de conduire le char du soleil. Mais le jeune homme inexpérimenté ne parvient pas à ses fins ; les chevaux, constatant un conducteur inhabituel, se dévient de leur course. Ils mènent le char trop haut et la terre se glace, ou trop bas et les fleuves s'assèchent. Jupiter y remédie en foudroyant Phaéton.
Vénus à sa toilette
Rome, La Farnesina : salle des perspectives, Vénus |
Vénus, la déesse de la beauté, est à sa toilette. Son fils Cupidon s'est multiplié en de nombreux putti qui volètent dans les arbres.
Apollon
Rome, La Farnesina : salle des perspectives, Apollon |
Depuis qu'il a perdu Daphné, métamorphosée en laurier, cet arbre est devenu un symbole d'Apollon. Il en tresse une couronne, que les Grecs placent sur la tête des poètes pour les honorer. Cette couronne de lauriers devient chez les Romains un symbole de triomphe. Je rappelle que le terme imperator, empereur, désigne d'abord le général vainqueur lorsqu'il revient à Rome. Ce sont ses soldats qui lui accordent ce titre honorifique et déposent en même temps la couronne de lauriers sur sa tête. Il la porte tout le long du défilé de l'armée triomphale ; plus exactement, c'est un esclave qui la lui tient au-dessus de sa tête !
Arion
Rome, La Farnesina : salle des perspectives, Arion |
Le musicien et poète Arion est attaqué par les marins lors d'une traversée ; ses assaillants lui concèdent cependant de pouvoir jouer de la musique une dernière fois. La beauté de sa musique attire le monde marin, et un dauphin le sauve en le portant sur son dos jusqu'au cap Ténare, l'extrémité méridionale de la Grèce.
Ce mythe offre quelques ressemblances avec celui d'Orphée et célèbre la puissance des arts. Les deux sont illustrés dans le même étage (Orphée dans la précédente salle de la frise), c'est dire si Agostino Chigi croyait fermement en ce message.
Pan et Syrinx
Rome, La Farnesina : salle des perspectives, Pan et Syrinx |
Le conte de Syrinx n'est qu'une variante de celui de Daphné : une jeune fille innocente harcelée par un dieu, qui se réfugie dans la métamorphose. Syrinx fuit donc le dieu des troupeaux et des bergers, un homme aux pattes de bouc, et se transforme en roseaux. Pan en tranchera quelques tiges, les joindra avec la cire d'abeille. Ainsi naîtra la flûte de Pan, également baptisée syrinx.
Peruzzi souligne le parallèle entre les deux récits, en attribuant les mêmes places et presque les mêmes gestes aux deux personnages.
Avertissement
Je tiens à préciser que j'ai très peu de documentation sur cette salle ; j'ai repris mon Ovide pour limiter le nombre de billevesées que je pourrais écrire, et je me suis borné à formuler des hypothèses. Elles me paraissent logiques dans le contexte de la villa mais ce ne sont que des propositions. Il existe sans doute des travaux universitaires qui analysent brillamment ce programme iconographique, mais je n'y ai pas eu accès. La plupart des commentaires sur cette salle se limitent aux perspectives du bas, et au mieux énumèrent les titres des mythes. J'ai essayé de proposer quelque chose d'un peu plus détaillé.
Article aussi formidable que les précédents. Il faudrait l'avoir avec soi quand on visite la Farnesina.
RépondreSupprimerBravo, vous faites un travail exceptionnel. J'attends avec impatience les Noces d'Alexandre !
Jeanne
Ce sera pour bientôt, j'espère.
SupprimerEncore un grand merci pour tous vos commentaires, Jeanne.
Quel travail de préparation dans cet article ! Bravo.
RépondreSupprimerMerci beaucoup pour ce chaleureux commentaire !
SupprimerFormidable et passionnant ! Bravo pour vos recherches. C'est un article remarquable.
RépondreSupprimerChristian
Merci beaucoup, Christian, pour ce message enthousiaste !
SupprimerPassionnant, comme toute cette série d'articles ! Je me félicite d'avoir découvert ce remarquable blog !
RépondreSupprimerMerci beaucoup pour ce chaleureux message !
SupprimerRemarquable travail. C'est un article passionnant !
RépondreSupprimerMerci beaucoup,
Adèle
Merci à vous, Adèle, pour ce chaleureux message !
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