Après les loggias de Galatée et d'Amour et Psyché et la salle de la frise, voici la plus grande pièce de la maison, la grande salle des perspectives.
L'escalier, un tour de magie
Rome, La Farnesina : l'escalier |
L'escalier qui conduit au premier étage est bien élégant avec ses marbres et ses stucs. Il contient cependant un petit secret ; pour pouvoir le faire paraître plus long qu'il n'est, on a joué avec la perspective, comme dans une peinture. Ainsi les corniches sont diminuées à leur extrémité et les panneaux de marbre plus étroits et irréguliers.
La salle des perspectives
Rome, La Farnesina : la salle des perspectives |
Le premier étage, le piano nobile d'un palais, comprenait expressément une grande salle de réception pour les banquets. Salle de représentation par excellence, c'était toujours celle qui devait produire l'effet le plus spectaculaire. Donc un plafond à caissons dorés et creusés et un sol de marbres précieux étaient indispensables. Les murs entièrement recouverts de fresques permettaient toutes les fantaisies.
Rome, La Farnesina : la salle des perspectives |
Cette salle jouissait d'un confort particulier ; une cheminée, ornée de peintures en rapport avec sa fonction. J'y reviendrai dans un second article en développant la frise.
Rome, La Farnesina : la salle des perspectives, la cheminée |
Elle se fond dans le décor ; la partie supérieure prolonge la frise et les corniches, et ses côtés s'harmonisent aux pilastres du mur.
Rome, La Farnesina : la salle des perspectives, les portes |
C'est le règne du trompe-l’œil. Les portes sont encadrés de véritable marbre, mais l'encadrement est enchâssé dans un dispositif de fausses colonnes. Les dessus-de-porte prennent appui sur la fausse corniche pour proposer une seconde, feinte celle-là. Ca fonctionne admirablement !
Rome, La Farnesina : la salle des perspectives, les fenêtres |
Du côté des fenêtres, point n'est besoin de proposer des paysages peints ; les vrais, ceux du jardin, suffisent amplement. Néanmoins les colonnes feintes se poursuivent pour l'unité de la pièce.
Rome, La Farnesina : la salle des perspectives, une fenêtre |
Le renfoncement est étudié pour s'adapter aux colonnes et aux pilastres.
Rome, La Farnesina : la salle des perspectives |
On voit ici pourquoi la salle a reçu son nom. Peruzzi a joué magnifiquement sa partie ; on a vraiment l'impression que le carrelage se prolonge sur une alcôve donnant sur un balcon dominant la ville.
La perspective d'Alberti, un génie de la Renaissance
Rome, La Farnesina : la salle des perspectives, les colonnes |
Leon Battista Alberti a vécu à Rome où il a terminé sa carrière. Entré au service du pape, il l'a suivi dans ses déplacements qui lui ont permis de côtoyer l'élite intellectuelle et politique ; même Laurent et Julien de Médicis diffèrent un voyage pour venir le voir. C'est un vrai homme de la Renaissance : sportif accompli dont on dit qu'il pouvait sauter, pieds joints, au-dessus de la tête d'un homme, fin lettré qui organise même un concours de poésie, auteur de pièces de théâtre et d'un roman érotique, philosophe qui écrit sur le rôle de la famille, musicien réputé fabuleux organiste. Architecte, il trace les plans de divers édifices ; son tympan de Santa Maria Novella à Florence est sans doute une de ses plus célèbres réalisations.
Mais il s'avère également aussi un mathématicien, un théoricien, un physicien qui invente le premier anémomètre et un génie de la cryptographie qui élabore sans cesse des codes secrets. D'ailleurs c'est le premier à analyser les fréquences des lettres dans les messages. Il réfléchit dans un traité sur la sculpture à la définition des volumes en trois dimensions, ouvrant grand de nouvelles portes qui conduisent au dessin d'architecture (en faux volume et non en plan) ; en quelque sorte, c'est le précurseur de l'imagerie numérique tridimensionnelle, la fameuse 3D. Ce n'est pas un hasard si Léonard de Vinci suit de près les travaux de cet autre génie... C'est avec les recherches d'Alberti que Léonard réalise l'homme de Vitruve.
Il reprend grâce à sa connaissance de l'Antiquité des principes de géométrie pour rédiger un traité de perspective, base d'une peinture plus convaincante, de la maîtrise du trompe-l’œil, et évidemment de la cartographie qui s'en trouve renouvelée.
Rome, La Farnesina : la salle des perspectives, les colonnes |
Son principe de perspective est limpide : il considère que le spectateur est doté d'un seul oeil, dont part une ligne qui s'introduit dans la peinture pour achever sa course dans l'arrière plan, sur le fameux point de fuite. Toutes les lignes qui seraient dans la réalité des parallèles sur les côtés deviennent convergentes. On a appelé cela perspective centrale ou cavalière.
La notion sera développée avec le principe de réduction des rapports intermédiaires : des points à égale distance dans le réel se rapprochent au fur et à mesure qu'ils sont placés vers le lointain. Et celle d'ombre et de lumière, si importante pour créer le relief, vient compléter l'ensemble.
L'ouvrage où il développe sa théorie de la perspective, De pictura (De la peinture), n'est publié qu'au XVIe siècle à Nuremberg et à Bâle. Mais il a été rédigé en 1435 et ses travaux ont été diffusés parmi les peintres. Il est donc logique qu'en 1508, lorsque Peruzzi inaugure la salle, il ait utilisé ces principes novateurs pour parfaire sa perspective.
Les panoramas
Rome, La Farnesina : la salle des perspectives, les panoramas |
A la Villa d'Este, Durante Alberti (à ma connaissance sans lien avec Leon Battista) avait proposé ses vues de la campagne de Tivoli. Logiquement cette villa urbaine donne également à voir ce qui l'entoure, la ville de Rome. On reconnaît les murailles crénelées et les colonnes antiques.
Rome, La Farnesina : la salle des perspectives, les panoramas |
Mais aussi les campaniles de la Rome du XVIe siècle. Le souci d'exactitude pousse Peruzzi à nous signaler l'église en construction dont la toiture n'est pas terminée.
Les graffitis
Rome, La Farnesina : la salle des perspectives, graffiti avec une église (basilique des Saints Apôtres ?) |
C'est en France qu'il faut trouver l'origine de l'histoire, lorsque François Ier décide de confisquer tous les biens du duc de Bourbon. Celui-ci se rallie illico à l'ennemi, Charles Quint. Le pape excommunie le duc à qui cela fait ni chaud ni froid. C'est que Charles Quint représente l'empire romain germanique, et qui a été élu comme Charlemagne Imperator Romanorum, empereur des Romains. Il est pourtant l'ennemi du pape, qui redoute plus que tout la domination de cet empereur, le plus puissant de son temps, qui risque d'unifier les royaumes italiens et de faire disparaître l'état pontifical.
Charles Quint agit avec beaucoup de finesse, en déchaînant tout d'abord les Colonna contre le pape Clément VII, un Médicis ; Colonna et Médicis sont aussi ennemies que Capulet et Montaigu. Il envoie ensuite le duc de Bourbon à la tête de son armée composée de Landsknechts, des lansquenets luthériens. L'assaut donné en 1527 est terrible, et on le nomme à juste titre le sac de Rome. Seul un cinquième de la population survivra, des monuments sont détruits ; la basilique Saint Pierre voit sa construction interrompue pour plusieurs années.
La Villa Farnesina, fraîchement terminée, est investie par les troupes qui y campent. Les lansquenets n'hésitent pas à laisser des graffitis dans la salle des perspectives. Le plus célèbre est une phrase en allemand : Was sol ich schreiben und nit lachen die La[nz]knecht habenn den babst lauffen machen. (Les Lansquenets ont fait courir le pape. Pourquoi, moi qui suis en train d'écrire, ne pourrais-je pas en rire ? )
Rome, La Farnesina : la salle des perspectives, graffiti avec un aqueduc |
Au-dessus de l'aqueduc et de l'amphithéâtre, un soldat a écrit le nom de Verginia.
Rome, La Farnesina : la salle des perspectives, graffiti avec l'Ospedale di Santo Spirito |
L'hôpital du Saint Esprit créé par Sixte IV est maintenant surmonté d'un dessin assez rustre d'une tête masculine bien visible. On aperçoit plus difficilement l'expression Babilon, et la comparaison de Rome avec la décadente Babylone était tout sauf flatteuse.
Pour la partie mythologique avec les dieux et déesses, et les Métamorphoses, il faudra lire le prochain article.
Toujours aussi passionnant. Je ne connaissais pas Alberti, ce génie que vous réhabilitez. Je me sens plus cultivée en vous lisant.
RépondreSupprimerJeanne
Un grand homme en effet ! J'espère ne pas être trop ennuyeux dans ces informations mais effectivement, Alberti méritait bien un petit coup de projecteur.
SupprimerMerci beaucoup, Jeanne !
Excellent article ! Très utile pour visiter la villa où les explications font défaut.
RépondreSupprimerMathis
Merci beaucoup ! Je ne prétends pas remplacer les guides mais c'est vrai quon apprécierait plus d'informations sur place !
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