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lundi 24 août 2020

Rome : Santa Maria della Vittoria (Sainte Marie de la Victoire)


Une extraordinaire église baroque, qu'il ne faut pas seulement visiter pour l'inoubliable Extase de Sainte Thérèse du Bernin.




Carlo Maderno fut chargé de l'architecture de cette église au début du XVIIe siècle, une commande du cardinal Scipione Borghese, collectionneur d'art et client privilégié du Bernin. Prévue pour être dédiée à Saint Paul, elle le fut finalement à Sainte Marie "de la Victoire" pour célébrer la victoire de la Montagne Blanche ; cette bataille lors de la guerre de Trente Ans eut lieu près de Prague et vit triompher les Catholiques contre les Protestants.

Dans ce contexte, il s'agit bien d'un manifeste politique, comme le Gesù, et le baroque y prend le caractère particulier de la Contre-Réforme, avec un effet recherché d'abondance et d'ors opulents.


Le bâtiment est surtout un écrin d'une grande simplicité : un parallélépipède à nef unique, évidé de chapelles peu profondes ; le modèle le plus basique pour mettre en valeur des effets.

Comme au Gesù toujours, la sobriété de la façade ne prépare absolument pas à cette profusion, et l'entrée dans l'église crée toujours la surprise attendue, une des clefs de l'art baroque.


Les voûtes



Le plafond représente évidemment la scène louée par l'église : dans cette fresque de 1675, Giovanni Domenico Cerrini montre une Vierge triomphante. Cet élève de Guido Reni est aussi connu pour un Christ et la Samaritaine aux Galeries Nationales et une Assomption à Santa Maria in Vallicella.


Toujours dans la fresque, ici au premier plan, on voit des corps anéantis ; ce sont les Protestants expulsés et envoyés aux Enfers. Un véritable manifeste donc, destiné à surprendre et à convaincre.


Stylistiquement, les effets de mouvement et de trompe-l’œil s'associent pour donner une impression d'un ciel agité, en perpétuelle action. Ce n'est pas toujours facile de distinguer les statues blanches de leurs homologues peints.


Arcs, pendentifs sont ainsi envahis en prolongement de la fresque du plafond. Les anges écrabouillent leurs victimes avec un sourire trompeur.


Le trompe-l’œil apparaît tôt dans la peinture occidentale ; les Romains de l'Antiquité décoraient leurs villas de faux jardins qui semblaient s'ouvrir derrière les murs, et la conquête de la perspective, la peinture du volume ont toujours été des clefs de la peinture naturaliste. Palais et villas ont à la Renaissance, nécessité des prodiges des peintres ; on sait les merveilles de Mantegna à Mantoue ou de Raphaël à la Farnesina. L'exploitation dans les plafonds d'église arrive plus tard, et Baciccia en fera une réalisation spectaculaire au Gesù, terminée en même temps que celle-ci. Le chef-d'œuvre à Rome demeure cependant l'incroyable plafond d'Andrea del Pozzo à Sant'Ignazio, une des plus virtuoses propositions de toute l'histoire de l'art !

 



Saint Paul est porté par les anges et accueilli par un concert. Un intéressant témoignage de musique baroque qui rappelle qu'à Rome, le continuo (ou basse continue, la basse  dont l'harmonie, les accords pour faire simple, étaient notés avec des chiffres) était tenu avec un théorbe, à gauche, mais aussi une harpe, à droite.



On découvre aussi, plus surprenant, un personnage en armure, représentant de l'armée impériale.


La fresque de l'abside détonne un peu ; c'est une partie tardive, de 1885, illustrant la bataille de la Montagne Blanche. Luigi Serra ne l'a pas mal peinte, mais elle est réellement d'un autre style, et c'est curieux de voir ce fait historique rapporté à un moment où l'enjeu politique n'est plus le même !



Les sculptures



Les chapelles qui contiennent des groupes sculptés utilisent le même principe ; une façade de temple avec colonne et fronton, et un intérieur à lucarne qui exploite la lumière naturelle.

Je rappelle toujours que les chapelles étaient source de financement important pour une église, un peu comme les affiches publicitaires des sponsors sur un terrain de football. Le choix du saint présenté était généralement un jeu de mots avec le patronyme, ou plus souvent le saint patron du principal commanditaire.

La photo précédente montre la plus récente, La Vierge du Carmel remet le scapulaire à Simon  Stock, de Balzico, un sculpteur du XIXe siècle. Le scapulaire, élément de la tenue monastique, est composé de morceaux de tissu rejoints sur les épaules (scapula = épaule, en latin) et Simon Stock fut un célèbre Carme anglais du XIIIe siècle.



Domenico Guidi a sculpté un Songe de Saint Joseph, inspiré visiblement de la sculpture du Bernin.


Le principe du donateur, personnage extérieur montré en spectateur/adorateur de la scène, était un moyen habile de se faire représenter à l'intérieur d'une église.


L'extase de Sainte Thérèse




Peut-être l’œuvre religieuse la plus célèbre du Bernin, et sans doute une de ses grandes réussites avec les éblouissantes pièces de la Galerie Borghese.

C'est lui aussi qui a conçu entièrement la chapelle, y compris son architecture, reprise avec succès dans les autres.



La scène représente Sainte Thérèse d'Avila, la fondatrice de l'ordre des Carmélites ; quelques années avant cette statue, son autobiographie vient de paraître, et elle y décrit une vision d'un bel ange qui lui apparaît, la transperce d'une flèche, la laissant dans la douleur et, en même temps, dans "la douceur de la caresse d'amour".


Le Bernin a donc sculpté un bel ange adolescent au visage d'Apollon, brandissant la flèche comme un Cupidon mythologique.


Sainte Thérèse est déjà sous l'effet de sa pénétration ; son visage éperdu et ses vêtements plissés trahissent son trouble.


Elle n'est plus maîtresse de son corps, qui est abandonné, et le signe me semble être ce pied nu qui pend.

Deux points de vue s'affrontent sur cette Thérèse : la flèche transperçante (symbole phallique bien connu), le visage extatique font penser à un orgasme sexuel. C'est la conception de Lacan.

L'autre tendance soutient qu'il s'agit uniquement de mysticisme et que le texte qui sert de support énonce clairement que la caresse d'amour "se fait entre l'âme et Dieu".


Quelle que soit la version retenue, on ne peut qu'admirer la prodigieuse maîtrise de la sculpture, et l'opposition entre le métal et le marbre, travaillé de différentes manières. L'exposition de Vienne présentait la terre cuite préparatoire.


La chapelle fut commanditée par les Corner, famille vénitienne avec un doge célèbre. Le Bernin les montre dans des loges de théâtre, en train d'observer et de commenter la scène.


Un moyen de figurer les membres d'une famille célèbre mais surtout une intéressante mise en abyme du regard.



Les peintures



Dans la chapelle de Saint André, le retable le montre juste avant le martyre, près de la croix en X qui demeure son attribut principal. Une assez bonne peinture dont l'auteur reste anonyme.




La chapelle de Saint François présente un remarquable retable du Dominiquin, La Vierge offre l'Enfant Jésus à Saint François d'Assise.


C'est également Le Dominiquin qui est l'auteur de ces deux fresques dramatiques, Saint François en extase et Saint François recevant les stigmates.



Dans la chapelle de la Trinité, on peut admirer la fameuse Trinité du Guerchin.


Le Christ, avec une expression à la fois douce et assurée, est revêtu d'un tissu bleu lapis-lazuli, une couleur que j'associe à ce peintre et qui me permet souvent de le reconnaître.


Autour de lui, anges chanteurs et musiciens assurent le concert.


Le monument au Cardinal Berlingero Gessi est basé sur son portrait par Guido Reni.


Ajoutons enfin les jeux de lumière créés par les ouvertures, et les somptueux autels en marqueterie florentine. Tout est fait pour montrer la somptuosité de l'église et assurer sa propagande.





5 commentaires:

  1. La majesté de cette église est impressionnante. L’intérieur paraît simple, mais la profusion des dorures rend les lumières éblouissantes et montre la richesse des lieux. Le plafond est extraordinaire : une peinture très harmonieuse, avec des couleurs d’une grande douceur. Ce qui surprend ce sont les anges qui entourent la peinture mais s’envolent. Avec audace les décorations sont très réussies : les chapelles rayonnent sur les statues. C’est encore Le Bernin qui nous émerveille par l’expression des statues, les magnifiques plissés.
    Les photos montrent la multitude des splendeurs de cette église.
    Merci Fred pour les gros plans de la magnifique Sainte Thérèse d’Avila.

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    1. C'est sans doute un incontournable dans un programme baroque ! Et effectivement, Le Bernin nous émerveille toujours.
      Merci beaucoup pour ce commentaire détaillé !
      Gros bisous.

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  2. Quel site extraordinaire . J'aime beaucoup l'histoire et j'apprends plein
    de nouvelles choses . Merveilleux . Grand merci.

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  3. Merveilleux article qui explique tout ce qu'on voit. J'aime beaucoup votre blog formidable et toutes ces publications sur les églises dans le monde.
    Merci et bravo.

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    1. Merci infiniment pour ce commentaire enthousiaste, cher Anonyme !

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