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mercredi 12 août 2020

Rome : San Gregorio al Celio (Saint Grégoire sur le Celio)



C'est une église souvent vue mais peu visitée. Quand on va du Colisée au Cirque Maxime (Circus Maximus, Circo Massimo), on ne peut manquer cette église blanche qui se dresse à gauche, sur le côté opposé au Palatin. Elle est consacrée à une des grandes personnalités du Christianisme, et se dresse approximativement là où il habitait.




Saint Grégoire le Grand


Sisto Badalocchio, Saint Grégoire

 C'est une personnalité historique, et non des moindres, pas un saint légendaire à l'existence douteuse. Fils de sénateur, ce jeune homme du VIe siècle suit de brillantes études linguistiques (grammaire, rhétorique) et devient préfet de Rome. Il transforme ensuite la villa de la famille en monastère et mène lui-même une vie de moine. Il est envoyé comme représentant de l'église à Constantinople, où malgré de nombreuses difficultés (il se récrimine de ne pouvoir y trouver de bons interprètes), il rédige d'importants écrits théologiques. Élu pape à Saint Pierre en 590, il fait l'unanimité.

Sa connaissance de l'Orient, son habileté diplomatique, la qualité de ses textes lui valent d'être reconnu par l'église d'Occident comme celle d'Orient ; d'ailleurs il est toujours vénéré par les Orthodoxes. Il restructure l'église, lui assure des revenus en assainissant son économie, crée de multiples monastères qu'il place précautionneusement sous l'autorité directe du Saint-Siège. Enfin, il accorde une attention particulière à la christianisation de la Grande-Bretagne, un de ses nombreux grands succès. Il décède au tout début du VIIe siècle d'une épidémie de peste.

Ses nombreux écrits théologiques, réputés, lui valent d'être placé parmi les quatre Pères de l'église (avec Ambroise, Jérôme et Augustin).

Iconographiquement, il est très fréquemment représenté, souvent en pape avec la mitre et la tiare. La colombe lui est souvent associée, allégorie de l'inspiration divine. Il a souvent, comme les autres Pères, un livre près de lui.

La scène la plus caractéristique est la Messe de Saint Grégoire, où il cherche à convertir un quidam qui doute de la réalité du Christ, et ce dernier apparaît alors miraculeusement. Je trouve que c'est très révélateur qu'on ait écarté les éléments authentiques (grammairien, auteur, personnalité politique) pour retenir un épisode plus haut en couleur. Saint Jérôme subit le même sort, alors que ce brillant homme de lettres se trouve flanqué d'un lion davantage issu du conte.



Un dernier élément, c'est en son hommage que fut créé le chant "grégorien" par des moines lorrains, au Moyen-Age.


L'église se dresse sur le Celio à l'endroit donc où s'étendait la villa familiale de Grégoire, transformée en monastère (dédié à Saint André). Le pape Grégoire II le restaura en 720, c'est là qu'on trouve les bases de l'édifice actuel.


C'est au XVIIe siècle, grande époque de restructuration des églises romaines, qu'elle connaît de grands ajouts ; le cardinal Scipione Borghese fait transformer la façade, ajouter un portique, et créer l'escalier qui descend vers la via San Gregorio. C'est un procédé bien connu à Rome (avec l'Aracoeli notamment, la  Scalinata di Spagna...) : les escaliers jouent le rôle de socle qui mettent en valeur le monument, qui se voit de loin.


Le portique carré, hérité des atriums romains, fait également penser à un cloître. Les tombeaux ne manquent pas ; je pense que le patronage prestigieux de l'église n'y était pas pour rien.


Un archange Saint Michel adolescent foudroie le démon à ses pieds (je n'en vois guère que les flammes) et sauve un enfant effrayé. Un super-héros.

La nef

 


Version sobre, austère même : la nef est monochrome, seulement égayée par le pavement cosmatesque et une unique grande fresque à la voûte. C'est une nef de 1725, on voit que le baroque n'est alors plus à la mode.



Placidio Costanzi, Le Triomphe de la Foi
 
 Protégé par un voile (signe inquiétant !), la large voûte conserve la tradition des plafonds peints.

John Parker, Saint Benoît et Saint Grégoire

Ç’aurait été extraordinaire de ne pas avoir de retables dans les chapelles ! Peu de stars parmi leurs auteurs, pourtant. Le premier, d'un certain John Parker, raconte que Saint Benoît (celui de la règle, fondateur du monaschisme) aurait prédit à Grégoire qu'il deviendrait pape. C'est bien difficile d'identifier Grégoire ici ; je l'avais pris pour une Vierge enfant avec Sainte Anne, c'est dire !

Francesco Ferdinandi, La Mort de Saint Romuald

De Francesco Ferdinandi, La Mort de Saint Romuald. Le peintre utilise une touche de bleu électrique, comme le fait souvent Le Guerchin avec son lapis-lazuli favori.
 
Sa présence pourrait surprendre, mais c'est que Romuald fonda l'ordre des Camaldules (un sous-groupe des Bénédictins), qui sont responsables de cette église depuis nombre d'années. Aujourd'hui, c'est une petite communauté, m'apprend le moine que je harcèle de questions pour m'y retrouver ; ils ne sont plus que six et vivent dans le monastère attenant.


Je ne suis pas certain qu'il s'agisse vraiment du siège de Saint Grégoire, mais c'est un siège très ancien, qui date du Ier siècle avant notre ère.



Antonio Balestra, La Vierge avec les saints André et Grégoire

Saint André est crucifié sur son X dans le retable du maître-autel ; sa présence rappelle peut-être le premier monastère fondé par Grégoire.

Antonio Balestra, La Vierge avec les saints André et Grégoire

On repère aussi facilement Grégoire ; coiffe rouge mais colombe et livre !


Vierge à l'enfant et saints, le programme coutumier. On ne peut guère s'approcher mais c'est un excellent retable, a priori.

Francesco Mancini, L'Immaculée Conception

La proclamation de l'Immaculée Conception fit l'objet d'un grand programme de propagande ; rien de tel pour asseoir le dogme que de le présenter en images, dont on sait le grand pouvoir sur les esprits. Donc la scène apparaît souvent, surtout à Rome. Cette version est celle de Francesco Mancini, peintre un peu oublié qui obtint de grands succès sur la scène baroque au début du XVIIIe siècle. Le Louvre possède une très bonne Flora de lui.

Pompeo Batoni, Vierge à l'Enfant et saints

Une série de saints et bienheureux inconnus (Castora francescana, jamais entendu parler !) mais un excellent retable de Pompeo Batoni, un des meilleurs artistes du XVIIIe italien.


Giambattista Ponfredi (euh... un élève de Marco Benefial, paraît-il) est l'auteur de celui-ci, une apparition dans un ermitage des Camaldules.

Sisto Badalocchio, Saint Grégoire

L'autel me paraît très ancien mais le moine ne sait rien à son sujet. En fait, il date de 1490 : il représente les Trente Messes de Saint Grégoire et est dû au sculpteur Luigi Capponi.
 
Le retable est celui que j'ai déjà montré, avant le bref rappel sur Saint Grégoire. Mitre, tiare, colombe.

La chapelle de Ricci



Giovanni Battista Ricci était un peintre lombard, né à Novara, et comme tant de ses semblables, il déménagea à Rome, la grande ville prestigieuse où on peignait à tout va. Il réalisa d'ailleurs des chantiers prestigieux, à Santa Maria Maggiore ou à la Bibliothèque du Vatican. Fin coloriste, son programme pour cette chapelle est un éblouissement.


Cet élément architectonique, même prestigieux, est visiblement un ajout qui dénature, encore une fois, la fresque derrière lui.


Image bien romaine où on retrouve le Château Saint Ange !



De l'autre côté, c'est une autre histoire. Il a dû composer avec une icône médiévale, une Vierge à l'Enfant mélancolique.


Il s'est débrouillé pour l'intégrer à l'ensemble ; ainsi, elle bénéficie de la protection d'une multitude d'anges.




La structure des peintures est complexe, et j'ai bien failli être berné. C'est l'histoire du lion qui m'a trompé. On pense toujours à Saint Marc, puisque c'est l'association la plus courante, mais c'est aussi un attribut de Saint Jérôme, comme je le rappelais précédemment. Et à Rome, on peut même y voir une évocation finaude des papes prénommés Léon.

En clair, on trouve donc :
- des Prophètes et des anges, dont un porte la Croix ;
- quatre Pères de l’Église ;
- quatre évangélistes.

Plus une voûte céleste avec un Christ bénissant dans un cercle de lumière.


Esaias, nous le connaissons sous le nom d'Esaïe. Il a droit à un extrait de son livre, ET IN PACE DEDUCEMINI, et vous serez conduits dans la paix.


C'est le crâne qui est donc l'élément essentiel, bien plus que le lion, pour identifier Saint Jérôme.



Cette fois, sans le crâne, c'est Saint Marc qui rédige son Évangile. Le lion est clairement l'animal asiatique à crinière courte que l'Antiquité romaine avait diffusé.


Un taureau placide, qui nous contemple d'un oeil désabusé, s'est protégé sous le manteau de Saint Luc.









Une dernière surprise : dans un renfoncement, presque invisible, se dissimule une charmante Vierge à l'Enfant médiévale aux coloris vibrants. La tradition assure qu'elle aurait parlé à Saint Grégoire !

4 commentaires:

  1. C'est toujours avec un grand bonheur que je découvre ces merveilles et que je lis tes commentaires.
    Je ne retiens pas grand chose, mais c'est un plaisir du moment.
    Bises. Mjo

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    1. Merci beaucoup ! Le premier ravi de redécouvrir tout cela, c'est bibi !
      mais j'ai un épouvantable retard dans les articles, au moins la moitié du séjour. Je te garantis de la lecture pour un moment !
      Gros bisous.

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  2. Just great! Beautiful pictures and many top-quality texts!

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