Dans le Midi de la France, les occasions sont trop rares d'entendre un Liederabend, une soirée de Lieder allemands. Celle de bénéficier, en plus, de splendides interprètes, était trop belle : me voici donc au Capitole pour un beau moment de musique en compagnie de la fine fleur du genre.
Un programme intelligemment composé
Les deux traditionnelles parties du récital se répondent en miroir. Schubert / Rihm / Schubert, puis Wolf / Berg / Wolf, un compositeur plus moderne encadré par deux séries d'un ancêtre plus classique.
Nous voyageons des sources du Lied, cet art qui fusionne texte et musique en de splendides miniatures, vers ceux qui le réinventent.
Les grands poètes allemands (Rückert, Mörike) sont ici conviés, mais le vrai fil rouge se trouve dans les vers de Goethe, mis en musique par Rihm (Tasso-Gedanken) et Wolf (Chants du harpiste, le splendide Grenzen der Menschheit qui clôt le récital).
Les Schubert retenus ne figurent pas parmi les tubes, et c'est une constante des récitals de Gerhaher de refuser la facilité de la célébrité pour nous conduire au plus profond du labyrinthe du Lied ; cependant les Rückert-Lieder retenus, intenses, profonds, parfois amers, donnent bien la couleur de ce programme intellectuel, certes, mais puissamment expressif.
Au centre de la première partie, un nouveau cycle de Rihm (le compositeur de Jakob Lenz, proposé à Aix à l'été 2019) écrit pour Gerhaher. Je recopie scrupuleusement un extrait du texte du baryton fourni dans le programme : " La vague, symbole de la force créatrice libre, et la navigation (…) évoquent toutes deux le traitement que subit la créativité poétique et la manière dont les artistes survivent à ce qui les menace fondamentalement, ou se brisent sur les rochers. (…) La force avec laquelle l'artiste représente la réalité de la vie humaine est le sujet du drame de Torquato Tasso."
Au sommet de l'interprétation
Le flambeau de Fischer-Dieskau est brillamment tenu aujourd'hui, et Matthias Goerne comme Christian Gerhaher en sont mes porteurs préférés.
L'instrument de Gerhaher n'est pas en soi absolument exceptionnel : une voix solide, mais sans grave particulièrement assis, sans aigu d'une brillance éblouissante. Un timbre franc, homogène, mais sans or rutilant, qui paraît presque fragile. Mais la science de l'interprète lui permet de transcender tout cela, et de métamorphoser ses faiblesses en force.
C'est qu'il sait conduire sa voix avec une impressionnante maîtrise, en lui offrant une plasticité, un contrôle du souffle, qui la plient à tous les besoins de l'interprétation. Puissance phénoménale, non, mais projection souveraine qui donne l'impression que c'est à vous qu'il s'adresse, et à vous seul, tellement tout est perçu avec clarté.
Le texte avant tout, articulé avec minutie. C'est de là que vient le Lied. Je n'ai pas de doute, ici c'est Prima le parole dans le vieux conflit texte contre musique.
Mais une variété de nuances, de colorations, qui recrée en permanence le récit et apporte le plus profond de l'expression. La douceur d'une voix caressante pour raviver l'évocation dans Abendbilder, le timbre blanchi pour la douleur désolante des Gesänge des Harfners (Chants du Harpiste), et toujours la confidence pour nous accompagner dans le voyage.
Le pianiste Gerold Huber est son propre compagnon de voyage, interprète ami de longue date. Je crois qu'ils se sont rencontrés à l'université, et ces longues années sur les routes (géographiques et musicales) nous valent un dialogue et une respiration commune de la plus belle eau.
C'est une soirée passionnante, mais qui pétrit le cœur d'émotion. Une merveille.
Gerold Huber |
Christian Gerhaher |
Je laisse en fin le programme complet :
Franz Schubert
Lieder sur des poèmes de Rückert
Sei mir gegrüßt D 741
Dass sie hier gewesen D 775
Lachen und Weinen D 777
Du bist die Ruh D 776
Greisengesang D 778
Wolfgang Rihm
Tasso-Gedanken
1 Bist du aus einem Traum erwacht
2 Ganz ruht mein Gemüt auf diesem Werke nun
3 Gedanken ohne Maß und Ordnung
4 Die Träne hat uns die Natur verliehen
Franz Schubert
Lieder sur des poèmes de Silbert
Abendbilder D 650
Himmelsfunken D 651
Hugo Wolf
Lieder sur des poèmes de Goethe
Gesänge des Harfners (Chants du Harpiste)
1 Wer sich der Einsamkeit ergibt
2 An die Türen will ich schleichen
3 Wer nie sein Brot mit Tränen aß
Alban Berg
Vier Gesänge (Quatre mélodies) op.2
1 Dem Schmerz sein Recht (F. Hebbel)
2 Schlafend trägt man mich (A. Mombert)
3 Nun ich der Riesen Stärksten überwand (A. Mombert)
4 Warm die Lüfte (A. Mombert)
Hugo Wolf
Lieder sur des poèmes de Mörike
Begegnung
Lied eines Verliebten
Auf ein altes Bild
Auf eine Christblume II
Schlafendes Jesukind
Lied sur un poème de Goethe
Grenzen der Menschhheit
I know the Trout, perhaps one or two other songs. It seemed to be a great concert! And this is a great post again.
RépondreSupprimerAnnie
Thank you very much, Annie!
SupprimerJe ne connais rien à tout cela mais votre article dégage une grande admiration pour ces artistes et leur programme. Encore un univers qui me reste à découvrir !
RépondreSupprimerMerci, une fois encore.
Pierre
L'univers du Lied, c'est une galaxie entière où les chefs-d'œuvre se multiplient. Je ne peux que vous engager à le découvrir avec ces artistes (ou d'autres, Fischer-Dieskau ou Goerne sont également des références pour la voix de baryton sur ce répertoire).
SupprimerMerci à vous, Pierre !
Je ne connaissais pas ces deux fabuleux interprètes, mais je pensais que j'allais entendre un récital exceptionnel, et ce fut le cas. L'article vient enrichir mon ressenti grâce à ta connaissance de la musique et des lieder en particulier; ton commentaire m'apprend tant de choses.
RépondreSupprimerBises. Mam.
Un grand merci pour tous ces compliments ! Un peu immérités tout de même.
SupprimerMais effectivement, c'était bien un récital exceptionnel.
Gros bisous !