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lundi 3 décembre 2018

Paris : Britannicus à la Comédie Française


Grande représentation à la Comédie Française ! 


Le Café Pouchkine, version parisienne.

Sur le chemin de la Comédie-Française, voici, près de la Madeleine, la succursale du Café Pouchkine, la fameuse adresse russe où je me suis régalé d'un fabuleux chocolat.

La Comédie Française depuis l'avenue de l'Opéra.

Me voici à destination.

Racine, dans la galerie de la Comédie-Française.

L'auteur du jour est évidemment révéré dans la maison.

Les célèbres luminaires.

George Sand, très féminine, trône dans le vestibule.

Britannicus



La deuxième tragédie de Racine est un grand succès de la maison, la plus jouée de l'auteur avec Andromaque. J'ai eu d'ailleurs la chance d'applaudir ici Françoise Seigner et Richard Fontana, à la fin des années 1980, puis Dominique Costanza et Alexandre Pavloff dans les années 2000.
Britannicus, c'est une pièce passionnante qui parle de pouvoir, de liens familiaux, de la transformation d'un personnage. Le public, le privé, le personnage. Les trois dimensions sont traitées.

Pour faire simple, avant le début de la pièce, Claude a épousé Agrippine et adopté son fils Néron. Plutôt que Britannicus, le propre descendant de Claude, c'est Néron qui gouverne Rome depuis deux ans, grâce aux manœuvres d'Agrippine. Pour le moment, il a satisfait tout le monde.

Dominique Blanc, Laurent Stocker
Mais, ce matin-là, Néron a fait enlever Junie, la fiancée de Britannicus. Agrippine n'était pas préalablement au courant et s'inquiète, d'autant plus qu'elle est tenue à distance par Burrhus, le gouverneur de Néron.

Dominique Blanc, Laurent Stocker

Elle prend conscience de l'affaiblissement de son pouvoir et décide de prévenir Britannicus pour s'assurer de son soutien. Narcisse, le gouverneur de ce jeune homme, l'encourage, mais il est en fait un agent double qui prévient aussitôt Néron.

L'empereur oblige Junie à déclarer à Britannicus qu'elle ne l'aime plus ; cependant celle-ci finit par avouer le stratagème à son bien-aimé.

Agrippine pense convaincre Néron de se réconcilier avec son demi-frère ; bien au contraire, Narcisse le persuade de s'en débarrasser. C'est là qu'on entend le fameux vers "J’embrasse mon rival, mais c'est pour l'étouffer."

Hervé Pierre, Dominique Blanc

Sur ordre de Néron, Britannicus est empoisonné lors d'un banquet. Junie entre au couvent, enfin, chez les Vestales, et Agrippine maudit Néron. "Ne crois pas qu'en mourant, je te laisse tranquille."

Toute la troupe aux saluts

On a analysé cette pièce passionnante avec des axes multiples. Ce qui ressort le plus souvent, c'est une relation alchimique entre Agrippine et son fils, qui est en train de se déchirer, en même temps que la folie de Néron pointe. Ces débuts d'un monstre ont grandement intéressé acteurs et metteurs en scène, et beaucoup n'ont pas résisté à quelques excès...

Stéphane Varupenne, Georgia Scalliet, Laurent Stocker, Dominique Blanc, Hervé Pierre, Clotilde de Bayser, Sébastien Pouderoux

La mise en scène de Stéphane Braunschweig


un des gardes, Stéphane Varupenne, Georgia Scalliet, 
Laurent Stocker, Dominique Blanc

Braunschweig est un metteur en scène toujours passionnant, qui procède à des analyses fouillées des œuvres en sachant se garder de tout parti pris, et en révélant son étude dans des mises en scène claires. Depuis le début des années 1990 (un extraordinaire Ajax de Sophocle), j'ai vu une grande quantité de ses spectacles de théâtre et d'opéra, en appréciant toujours l'acuité de son regard.

Laurent Stocker, Dominique Blanc, Hervé Pierre, Clotilde de Bayser

L'actualisation de la pièce tient parfaitement ; pas un thème ici qui soit étranger au spectateur du XXIe siècle. Nous avons donc affaire à un bureau présidentiel, peu accessoirisé mais bien marqué dans le contemporain. Le choix du décor marque bien l'axe retenu : la politique, les jeux de pouvoir, comme axe principal.

Agrippine ne montre aucun amour fusionnel ; c'est une femme politique qui se bat pour accéder au pouvoir, ce que la société lui refuse. Elle a utilisé les hommes de sa vie pour se faire une place, son premier mari Enobarbus, son second Claude, son fils Néron. "Une loi moins sévère a mis Claude dans mon lit, et Rome à mes genoux." Si elle panique, ce n'est pas que les sentiments de Néron montrent de la distance envers elle, mais parce que toutes les manœuvres d'une vie tournent soudain court.

Néron est également un politique ; s'il se rebelle contre sa mère, c'est qu'il est excédé d'entendre qu'il est encore dans ses jupons. S'il éloigne Junie de Britannicus, s'il tue ce dernier, c'est aussi parce que son demi-frère représente un risque. Il pourrait organiser la sédition, monter une révolution contre l'empereur, et conserver le pouvoir signifie aussi briser l'élan des ennemis. On perd un peu le côté pervers du personnage, le sadisme ("J'aimais jusqu'à ses pleurs que je laissais couler"), remplacé par une violence froide, tout aussi impressionnante.

Quant à Narcisse, c'est un ancien affranchi qui s'est attribué une indéniable puissance comme conseiller de Claude, et qui est tombé dans l'ombre. Servir Néron, c'est donc revenir dans la lumière du pouvoir.

Dans la dernière scène, Braunschweig choisit de montrer le cadavre de Britannicus, que les règles de la bienséance tiennent hors-champ dans la pièce. Théâtralement éclairé, mis en scène comme un tableau, mais bien visible. Tout révéler. Ca semble être le credo de ce spectacle.

Dominique Blanc, Hervé Pierre, Clotilde de Bayser, Sébastien Pouderoux

C'est l'ensemble de ces jeux de pouvoir, de ces enjeux psychologiques, qui font de cette pièce un génial ancêtre de House of Cards, et tout dans cette mise en scène me semble le suggérer.

Enfin, dans cette perspective, l'alexandrin est fluide et jamais martelé, encore moins déclamé. Les accents des mots sonnent bien davantage que ceux des vers.

Extraordinaire distribution


Georgia Scalliet (trop pressée, je n'ai pas eu le temps
 de lui tirer le protrait !)

Georgia Scalliet est une impeccable Junie ; pure, déchirée, désespérée, incroyablement belle dans son chagrin. Tendue comme un arc devant ses souffrances.


Laurent Stocker

Voilà plusieurs années que je n'avais plus vu Laurent Stocker, toujours remarquable, et son Néron sobre et calculateur est exceptionnel. J'ai le sentiment qu'il a bien observé certain chef d'état de la décennie précédente ; en tout cas, sa composition éveille des souvenirs.

Il se sert à merveille de ses particularités, un physique d'éternel jeune premier qui n'hésite pas à charmer, mais aussi un jaloux de son "grand" frère (euh, demi) qui rêve de le supprimer.

Quand il contraint Junie à s'écarter de Britannicus, pas de grands gestes. Immobile, le regard vers le ciel, c'est un bloc glacé de violence tendue. Très impressionnant.

Laurent Stocker à gauche, Stéphane Varupenne à droite

Stéphane Varupenne incarne un intéressant Britannicus, plus enflammé qu'à l'ordinaire. Un homme qui tente de se délivrer d'un piège sans y parvenir. Sincère, authentique. Bien incapable de résister aux forces qui se déchaînent contre lui.

Dominique Blanc
Dominique Blanc, encore une de ces grandes comédiennes dont on a le sentiment qu'elles jouent leur vie sur scène. Loin de ces furieuses qui précipitent leur texte, elle l'articule avec autant de netteté qu'elle a conçu ses plans. Elle montre à la perfection combien il est difficile pour une femme d'occuper un poste de pouvoir. Je pense toujours à ce vers "Et Rome veut un maître, et non une maîtresse."

Sébastien Pouderoux

Sébastien Pouderoux tire profit de la vision de Braunschweig pour composer un Narcisse tout aussi calculateur, loin de ces sicaires d'opérette qu'on a pu voir. Je l'ai trouvé très efficace dans la persuasion insinuante, un dangereux Iago en imperméable.

Hervé Pierre

Hervé Pierre donne un relief tout aussi inhabituel à Burrhus. Le personnage est très habilement construit et on comprend pourquoi c'est à lui que revient le dernier mot de la pièce (" Plût aux dieux que ce fût le dernier de ses crimes ! ") ; il est le témoin, mais seulement le témoin, jamais acteur. Tout au long de la pièce, son bras pend, la main gantée. Un infirme de guerre qui ne peut plus rien.


Clotilde de Bayser sur son vélo

Même force inaccoutumée chez Albine, que d'habitude on  ne remarque même pas, et à qui Clotilde de Bayser apporte sa diction parfaite et sa classe.


Encore une fois, je sors d'une représentation de tragédie avec le plaisir intense d'une pièce en alexandrins. Mais surtout en me répétant que ce théâtre-là est toujours actuel, et qu'il est bien dommage que l'image d'un art suranné écarte tant de spectateurs d'un chef-d'œuvre semblable.

14 commentaires:

  1. That's great ! Your text is very clever. And lovely pics of the actors !
    Annie

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  2. Pour une fois, j'ai vu ce spectacle. C'est donc un double plaisir de lire votre article. J'avais eu quasiment la même distribution, sauf je crois le Narcisse.
    Et je suis entièrement de votre avis. Quelle pièce de notre temps !
    Un grand merci.
    Pierre

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    1. Effectivement, je crois que c'est Benjamin Lavernhe qui interprétait Narcisse lors de la création du spectacle. Bravo pour votre sagacité. Et encore merci à vous, Pierre !

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  3. Parfait. Les enjeux de la pièce sont très bien expliqués et l'analyse du spectacle limpide. Bravo pour votre critique.
    Sébastien

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    1. Merci beaucoup pour ce commentaire élogieux, Sébastien!

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  4. J'aurais tellement aimé y être ! Merci pour ce bel article.
    Christopher

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  5. Bonjour merci pour ce petit résumé et la présentation des personnages.
    Ma professeur de français nous a emmenés au cinéma avec ma classe et elle nous a demandé de répondre à une feuille mais il y a une question ou je bloque. Est ce que vous saurais y répondre ?
    La question est:
    " A quoi vous fait penser le décors de la scène? Comment interprétez-vous ce choix?"
    Voilà
    Merci d'avance

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    1. Cher Anonyme, comme je l'ai écrit, je pense que le décor évoque un lieu de pouvoir, comme le bureau de la Maison Blanche. Aon avis, ce choix insiste sur l'aspect politique de la pièce et met au premier plan les tensions du pouvoir qui s'y exercent.
      Merci pour votre commentaire!

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  6. J'aurais souhaité être avec toi, j'aime tellement Racine et Britannicus, mais l'analyse que tu fais de la pièce qui parle de notre époque (pouvoir, manigances, traitrises) est remarquable. Sans oublier la qualité de l'interprétation des acteurs mise en valeur.
    Bel article, passionnant, très détaillé… un régal. Ainsi c'est come si j'y étais.
    Merci. Bisous.
    Mam.

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    Réponses
    1. C'est certain que tu te serais régalée…
      Quelle grande pièce, tout de même.
      Un grand merci pour ces mots affectueux.
      Bisous

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