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mercredi 19 décembre 2018

Toulouse : Die tote Stadt (La Ville morte) au Capitole


C'est avec Torsten Kerl que j'ai découvert Die tote Stadt de Korngold sur scène, au Liceu de Barcelone, et j'avais été saisi par la force de cet opéra, la beauté de son orchestration, et par la puissance de l'incarnation du ténor. J'ai revu cet opéra à plusieurs reprises, notamment à Berlin, et je ne garde que des souvenirs remarquables de ces représentations. L'occasion de retrouver cette œuvre, finalement toujours rare, sur une scène française était trop belle.



Me revoici donc au Capitole de Toulouse, à remercier le directeur Christophe Ghristi pour sa prise de risque.


La production de Philipp Himmelmann



Le livret basé (mais avec de notables divergences) sur l'étonnant roman de Rodenbach, Bruges la Morte, raconte l'obsession d'un homme dont la bien-aimée est défunte, qui cherche à la retrouver en façonnant une jeune fille, Marietta, à son image. Thème qu'on retrouve par ailleurs dans le chef-d'œuvre de Hitchcock, Vertigo (Sueurs froides).


 Créée à Nancy en 2010, la production de Philipp Himmelmann repose sur un dispositif scénique impressionnant, un espace divisé en six cubes reproduisant, au début et à la fin de l'opéra, les mêmes éléments de décor. Durant les scènes de la troupe qui répète Robert le Diable, l'espace s'évide pour réunir les alvéoles horizontalement, l'opposition fonctionnant entre haut et bas.

La très bonne idée consiste à isoler les personnages complètement au début et à la fin, montrant l'impossibilité de communication entre eux. Cela impose un jeu très rigoureux des interprètes : Paul étrangle Marietta, mais les personnages se trouvent dans deux cases différentes, sans se toucher ni se voir. La synchronisation a certainement été obtenue au prix de longues répétitions !


Les scènes de troupe, glaçantes, font leur effet, appuyé par des costumes contemporains. A vrai dire, l'actualisation fonctionne bien mais n'apporte pas grand-chose. Et le même souci de sortir le thème de son contexte est perceptible aussi dans la suppression de toute référence à Bruges. C'est vrai qu'elle demeure très présente dans le roman, mais beaucoup moins dans l'opéra.

Je reprocherai toutefois le choix de la fin ; alors que dans le livret, Paul quitte le lieu des souvenirs en refermant la porte, ici il se contente de s'asseoir dans son fauteuil. Le metteur en scène refuse donc au personnage la possibilité de se libérer de ses fantômes. Sans doute, selon lui, ne peut-on se remettre d'une pareille monomanie.

Distribution de haut vol


Evgenia Muraveva et Torsten Kerl

Katharina Goeldner, Norma Nahoum, François Almuzara

François Almuzara, un ténor né dans la région, se montre un Comte Albert prometteur et Antonio Figueroa se tire bien de sa double incarnation, Victorin et Gaston.

Julie Pasturaud, Antonio Figueroa


Norma Nahoum et Julie Pasturaud sont d'efficaces Juliette et Lucienne, mettant à profit leur différence de timbre pour composer un duo de demoiselles en jupe écossaise très vivant.

Matthias Winckhler, Katharina Goeldner, 
Norma Nahoum, François Almuzara

Katharine Goeldner (un Komponist ici même il y a bien une vingtaine d'années, une belle Mrs Grose à Lyon en 2014) incarne une Brigitta de grande classe, stylée, avec une voix solidement tenue.

Antonio Figueroa, Thomas Dolié, 
Evgenia Muraveva, Leo Hussain

Mais c'est Thomas Dolié qui fait le plus impression parmi les membres de la troupe. Ce baryton, que je connais depuis quasiment ses débuts (un Papageno à Marseille), a considérablement mûri et sa voix colorée, remarquablement projetée, saisit immédiatement. Il chante le fameux Lied de Pierrot avec nuance et expression. Les scènes devraient profiter de ce bel artiste qui ne fait sans doute pas la carrière qu'il mérite. Encore un beau baryton français à ajouter à l'enviable brochette dont nous disposons actuellement !

 En revanche, je n'ai jamais entendu l'autre baryton, Matthias Winckhler, qui incarne un Frank impeccable, avec une voix concentrée, très émouvant dans sa caractérisation de l'ami fidèle.


Evgenia Muraveva, Torsten Kerl

J'avais raconté sur ce blog ma découverte d'Evgenia Muraveva au Mariinsky de Saint Petersbourg, en Lisa de Pikovaya Dama. Sa carrière s'est développée en peu de temps (Lady Macbeth de Mzensk puis Lisa de nouveau, à Salzburg, Mefistofele à Lyon) et elle doit chanter toute une série de rôles en Italie, à la Scala, à Rome, Naples…

Elle prouve ici la gamme de ses atouts, une voix projetée, longue, étendue, très soigneusement colorée. Une superbe Marietta qui apporte une forte caractérisation à son rôle ; il faut dire que le metteur en scène voit le personnage comme une séductrice un peu vulgaire, alors que le livret des années 1920 dessine le portrait d'une femme libre de ses choix et de ses amours.

Torsten Kerl

 Torsten Kerl a beaucoup chanté Paul depuis sa prise de rôle, il y a presque vingt ans. La voix a évidemment évolué avec l'âge, mais l'engagement total, la maîtrise vocale (obtenue avec des moyens tout différents), le contrôle du souffle et de la tessiture (de la cave au grenier) se sont encore accentués. Endurant dans un rôle d'une terrifiante exigence, toujours musical dans le choix des colorations et des nuances, il fascine toujours par l'intensité de l'incarnation. Il réussit à nous faire oublier la difficulté de la partition pour tout mettre au service du personnage.

Un rôle qu'il aura marqué durablement. Bravo, Monsieur.

Orchestre et chœurs ne sont pas moins remarquables, épanouis de luxuriance sonore, offrant un riche nuancier tout au long de la soirée. Le chef Leo Hussain dirige avec gourmandise, se régalant de partager avec nous les saveurs de cette musique parfumée aux multiples influences (Wagner, Strauss, mais aussi l'opéra italien).

Katharine Goeldner

François Almuzara

Torsten Kerl

Matthias Winckhler

Norma Nahoum et Julie Pasturaud


Thomas Dolié

12 commentaires:

  1. Strange show, isn't it ? But a very inspiring post !
    Annie

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  2. Ce spectacle me semble très singulier ; mon père était fan des musiques de film de Korngold donc le nom ne m'est pas inconnu.
    Belle critique, détaillée et riche.
    Pierre

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    1. Effectivement Korngold fit une grande carrière à Hollywood dans la musique de film. Le Robin Hood avec Errol Flynn, c'est lui !
      Merci, Pierre.

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  3. Vous allez à Toulouse et vous ne faites pas le marché ? Et moi qui attendais l'article avec impatience !
    Clair

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    1. Evidemment, j'ai fait le marché !
      Mais comme j'ai déjà mis plusieurs articles sur les halles toulousaines, je ne pense pas devoir en rédiger un autre. C'est toujours un peu pareil...

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    2. Chaque marché est différent. N'hésitez pas à écrire l'article. Vous comblerez des lecteurs !
      J'y compte !
      Clair

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    3. Je vais faire de mon mieux, mais mon emploi du temps est très serré. Ne vous attendez pas à un article formidable !

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  4. Intéressante critique bien argumentée. Avoir les vraies photos des artistes, c'est un bonus incroyable !
    Corey

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    1. Un grand merci pour ce commentaire élogieux, Corey !

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  5. J'ai revu cet opéra avec beaucoup de plaisir, même si le sujet est un peu morbide. Ta critique montre qu'il s'agit d'une oeuvre qui mérite d'être produite, en particulier avec des chanteurs, un chef, un orchestre de grande qualité. Surtout Torsten Kerl et l'ensemble de la distribution pour leur magnifique prestation. Une critique très intéressante pour un opéra aussi rare.
    Merci et grosses bises.
    Mam.

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    Réponses
    1. Je suis bien d'accord, c'est une œuvre qui mériterait bien davantage de représentations !
      Un grand merci pour ce commentaire aussi affectueux que détaillé. Gros bisous.!

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