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lundi 31 décembre 2018

Prague : Sainte Agnès de Bohème, le musée


La visite du couvent de Sainte Agnès de Bohème se poursuit avec le musée : les collections nationales se sont réparties en plusieurs édifices, et c'est ce lieu qui accueille celles réservées à la peinture et à la sculpture médiévale.

Essentiellement de l'art religieux, évidemment, puisque c'était le principal, voire unique, domaine où pouvaient s'investir les artistes. Ce riche musée offre la possibilité de découvrir la richesse de l'art de Bohême, avec de vraies personnalités qui s'expriment. Un grand coup de cœur de ma part pour un artiste particulier !


Pour ne pas surcharger cet article, j'ai fait des choix draconiens et ai supprimé beaucoup d'œuvres qui m'avaient beaucoup intéressé. Voilà donc ma sélection personnelle. 


La Madonne de Zbraslaw

Cette Vierge à l'enfant, qui fut très révérée dans ces contrées, porte la couronne des rois de Bohême. La magnificence de sa cape a permis au peintre anonyme d'exercer ses talents.


Une série de grandes Vierges à l'Enfant en bois permet de se livrer au petit jeu des comparaisons : physionomie plus ou moins poupine, position avec plus ou moins d'appuis, ligne plus ou moins sinueuse, interaction (ou non) avec l'enfant. A partir des contraintes du sujet, que de variantes qui conduisent à des solutions expressives différentes !



Les influences françaises se repèrent dans celle-ci (plis, forme du visage notamment).

Théodoric de Prague, Saint Luc - Charlemagne

Mon grand coup de cœur, le voici.

Théodoric de Prague fut peintre à la cour de Charles IV, dans les années 1350. C'est donc un représentant de la peinture gothique, mais quel artiste inventif !

Exceptionnel technicien, tout d'abord : souplesse des tissus, exactitude des détails anatomiques (la main par exemple), qualité des lumières et des ombres. Un maître du modelé et des fondus.

Théodoric de Prague, Sainte Catherine - Saint Matthieu

Mais un artiste inventif avec des détails nouveaux, comme cet ange qui murmure à l'oreille de Saint Matthieu.

Théodoric de Prague, Grégoire le Grand

Un maître qui fait éclater le cadre (prolongement de la peinture sur l'encadrement), combien de siècles faudra-t-il attendre avant de retrouver cela ? Et quelle minutie dans le détail, les objets de l'écritoire notamment !

Théodoric de Prague, Saint Ambroise

Et quel jeu sur les surfaces, avec des ajouts de bois sculpté.

C'est fabuleux. Un artiste visionnaire, dont les portraits me semblent montrer un réalisme incroyable et possèdent une force picturale rare. Un maître de la couleur, aussi.

La Madone de Kralicky

 Cette sculpture des années 1370 est encore d'un autre style ; elle provient de Silésie, qui faisait alors partie du royaume de Bohême.

La Pietà de Lasenice

 Cette Pietà de la même période présente une Vierge au regard fixe, que je ne trouve pas si endolorie. Mais le contraste avec le corps déjà raide du Christ fonctionne bien.

Maître de l'autel de Trebon, Mise au Tombeau

Un autre artiste inventif que ce peintre anonyme, qui recompose une scène archi-classique en réinventant l'espace. Choix de la perspective et puissance de ce tombeau en diagonale qui divise la scène différemment. Par ailleurs, il montre chacun des personnages (Saint Gilles, Saint Augustin, Saint Jérôme) avec une manifestation différente de la douleur.

Maître de l'autel de Trebon, Résurrection

Du même artiste, une très personnelle Résurrection où lumière et choix du rouge, qui se lit verticalement et lie les registres dynamisent la composition. La représentation des soldats est très pittoresque.

Saint Pierre de Slivice

 Cette statue de la fin du XIVe siècle est un bon exemple de l'influence tchèque amenée à se diffuser dans le gothique international, avec une forte tension entre le formalisme des draperies et le réalisme du visage.

La Pietà de Nesvacily

On est dans les années 1420, et l'évolution se mesure aisément. Le visage de la Vierge demeure peu torturé mais le corps du Christ exprime une forte tension.

Maître de l'autel de Rajhad, Arrestation de Saint Jacques 

Encore un maître inconnu, qui peignait en Moravie vers 1430 en utilisant une palette très riche. Cet admirable panneau montre le grand prêtre Abiathar attachant Saint Jacques le Majeur pour le conduire devant le roi Hérode Agrippa.

Le Retable de Zaton

 Un triptyque à volets où on cherche à remplir l'espace au maximum. C'est intéressant de voir comment l'artiste apporte des solutions plastiques différentes dans chaque case. La Crucifixion est très expressive avec les deux larrons en arrière-plan et un Christus patiens, le Christ mort aux yeux fermés. 

Maître du Retable de Majetov, Adoration des Mages

 Encore un inconnu avec une grande maîtrise technique et une vraie personnalité. Le fini pictural est impressionnant. Quelle utilisation des aplats, aussi ! Un panneau de 1450.

Anonyme morave, Annonciation

L'artiste s'est bien donné du mal pour enfermer ses personnages dans un cadre clos et étouffant, ce qui leur procure une proximité rare dans les représentations ordinaires de cette scène.

Hans Pleydenwurff, Décapitation de Sainte Barbe

 Pleydenwurff travaillait à Nuremberg où il fut influencé par la peinture hollandaise, ce qu'on constate dans les visages comme dans le fond paysagé. Albrecht Dürer sera le stade suivant dans la peinture de Nuremberg.

Plusieurs éléments de l'iconographie de Sainte Barbe / Barbara apparaissent ici : la tour, sur la montagne à gauche, le rocher qui s'ouvre, le berger traître dont les moutons sont métamorphosés, et évidemment la décapitation par le terrible papa. Elle semble ici être devenue une princesse dont la couronne gît à terre.

Hans Maler de Cheb, Polyptyque

 L'artiste, originaire d'une région frontalière avec la Bavière, a incorporé de nombreuses influences dans ce retable commandé en 1480 pour le nouveau monastère de Kadan.

Maître d'Eggenburg, Saint Venceslas libère les prisonniers

Un panneau survivant d'un ensemble disparu, avec quelques maladresses (une raideur qui me donne l'impression de mannequins articulés, des proportions audacieuses) mais de véritables portraits grâce à un trait sûr des figures.

L'art en Bohême joua un rôle décisif dans le réalisme des visages.

Retable de Dubany

 Ce triptyque expose au centre une Maria Gravida, une Vierge enceinte. Ces effigies étaient toujours l'objet de pèlerinage populaire de jeunes femmes qui espéraient enfanter rapidement.

Retable de Velhartice

 Ce retable fut commandé vers 1500 par la riche famille des Svihovsky, dont les armes figurent sur les blasons des Saints Venceslas et Sigismond. Il est parvenu complet avec sa prédelle (la partie horizontale tout en bas) , et j'ai bien l'impression que c'est le seul dans ce cas ici.

Maître du retable des Chevaliers de la Croix, Sainte soignant un malade

La sainte pourrait être Hedwige de Silésie, ou faire référence à la Sainte Agnès du couvent où nous nous trouvons. Peu importe, le peintre inconnu a réalisé une peinture de grande qualité bourrée de détails : les nœuds des oreillers, les parties du lit, les étoffes différentes des coussins (à carreaux ou rayées), le chevet, par exemple. Portraits réalistes, draperies pleines de volume, force des couleurs complémentaires, cet artiste-là savait y faire !

Le retable de Rabi
 
Ce retable de 1450 présente un Saint Georges combattant à cheval. Pour une fois, pas de dragon apparemment. Même si celui-ci provient d'une confusion dans la traduction !


Anonyme, Le Christ au repos
 
Cette sculpture de 1520 montre une scène rare chez nous, mais que j'ai déjà vue à Vienne : le Christ songeur après la scène des outrages. Travail très réaliste ici.

Déploration, vers 1530

J'ai été frappé dans cette œuvre-ci et les deux suivantes par la physionomie du Christ. On est habitué à un canon qui varie finalement assez peu, mais ces trois-là montrent un type vraiment autre. Sculptures également expressives par ailleurs.

Crucifixion du Monastère de Kadan

Crucifixion du Monastère de Kadan

 Oui, ces deux versions si singulières de la Crucifixion proviennent bien du même monastère.

Bustes reliquaires des Saints Adalbert et Venceslas

De belles expressions dans des sculptures très soignées.

La Pietà de Kadov

 Cette fois, le sculpteur a choisi de désarticuler le corps du Christ qui s'effondre dans les bras de sa mère. Je ne sais pourquoi, je suis particulièrement touché par ce bras ballant que je trouve incroyablement réaliste. Quel contraste entre les deux personnages ! On a vu des Vierges plus éplorées, mais celle-ci est d'une tristesse digne qui, me semble-t-il, met encore davantage en valeur le corps de son fils mort. Une merveille d'expressivité.

La Lamentation de Zebrak

 Un vrai maître que ce sculpteur dont on ignore le nom, mais pas la biographie. Apprenti dans la région du Danube, il traduisait en volume des gravures qui circulaient, notamment de Cranach. L'individualisation des réactions des personnages, le poids du mort me parlent particulièrement.

Allégorie de la mort

 Peut-on parler de réalisme pour une allégorie ? Ce genre de représentation se développa en même temps que l'idée de rédemption, dynamisée par la croissance du culte luthérien.

Monogrammiste IP, Assassinat des cinq frères saints

 Je ne connais ni l'artiste ni le sujet mais ce travail de miniaturiste, ça m'impressionne toujours !

Monogrammiste IP, Retable de Zlichov

 Ce retable, encore une fois vraiment original, se divise en deux parties : le Christ sauveur et le Jugement dernier. La présence d'un squelette dans la scène inférieure lui donne un caractère tout nouveau.


Monogrammiste IP, Retable de Zlichov, détail

Quelle maîtrise technique ! Le rendu des os est vraiment saisissant.

Monogrammiste IP, deux panneaux

 Toujours pas convaincu de la valeur de cet artiste ? Et ces deux miniatures alors ? Le Christ au Mont des Oliviers et L'apparition du Christ aux trois Marie.

Le cycle Capuchin

 Quatorze panneaux, des portraits de taille identique, réalisés vers 1410. Très énigmatique. Et pourtant, on voit la patte d'une forte personnalité.

Le cycle Capuchin, quatre panneaux

L'effet lisse des carnations, ce modelé du visage me semble très original dans la peinture de cette époque. Cela dit, le Christ ressemble beaucoup à l'autre saint portraituré à sa droite.

Panneau du retable de Vyssi Brod : l'Annonciation 

 L'abbaye cistercienne de Vyssi Brod fit réaliser au milieu du XIVe siècle un grand retable dont le musée expose de nombreux panneaux. Je ne montre ici que quelques-uns, cette Annonciation à l'iconographie précise, inspirée par les sermons de Bernard de Clairvaux ; on voit des paons, symboles d'immortalité, avec une cassette ouverte (les trésors ne sont pas sur Terre mais au ciel), un vase de lys (pureté de la Vierge). La manne annonce l'arrivée du Sauveur.

Panneau du retable de Vyssi Brod : Le Christ au Mont des Oliviers

 Un Christ au Mont des Oliviers où l'artiste se joue des proportions pour retenir le symbole (les oiseaux dans les arbres notamment).

Panneau du retable de Vyssi Brod : L'Ascension du Christ

Je conclus avec cette Ascension, centrée sur les témoins au lieu du Christ, déjà disparu. Encore un tableau qui nourrit la réflexion sur l'absence, initiée par l'exposition de Barcelone.

16 commentaires:

  1. Still a pleasure to visit an art gallery with you! A clever guided tour with many
    texts!!
    Thanks for this lovely cultural post..
    Annie

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    1. Thank you very musch, Annie. I appreciate your warm thoughts. All the best !

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  2. C'est la galerie d'Ali Baba ! Que des merveilles inconnues.
    La peinture gothique est souvent sous-estimée et ces chefs-d'oeuvre, toujours publiés avec vos indispensables commentaires, rendent hommage à la grandeur de cet art en Boheme.
    Félicitations pour ce superbe article (et vos photos impeccables, je ne sais pas comment vous faites, les miennes sont toujours floues dans les musées).
    Pierre

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    1. Je suis heureux que vous partagiez mon enthousiasme pour cette peinture médiévale, effectivement moins starisée que Monet ou Picasso !
      Concernant mes photos, n'en doutez pas, j'en fais aussi des floues. Ce ne sont généralement pas celles-là qui apparaissent sur mon blog, c'est tout.

      Un grand merci, Pierre, pour ce (comme toujours) chaleureux commentaire.

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  3. Thumbs up for this amazing guided tour!

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  4. Outstanding guided tour of a magnificent museum!
    Greatest post!
    Gwynedd

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  5. Marvelous. As written, an outstanding guided tour. Great blog!
    Jan

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    1. Thanks Jan for your enthusiastic feedback! A pleasure to read it.

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  6. Amazing paintings clever texts! Outstanding post! A great pleasure to find such data.

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  7. Magnifique article. Superbes photos avec des commentaires intéressants !

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    1. Merci beaucoup pour votre commentaire enthousiaste, cher Anonyme !

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  8. Magnifiques œuvres qu'on apprécie grâce à vos commentaires pertinents et sensibles.
    Merci pour cette belle découverte.

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    1. Merci infiniment, cher Anonyme. Ce commentaire me touche sincèrement.

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