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dimanche 31 octobre 2021

Vienne : Abbaye et église des Ecossais (Schottenstift, Schottenkirche)

 

Célèbre église du centre de Vienne avec une nef particulièrement réussie.

Au XIIe siècle, Henri II Jasomirgott, duc d'Autriche, quitta Klosterneuburg, un village sur le Danube dans les environs, siège d'une abbaye, d'un palais et producteur de vins merveilleux et pour s'installer à Vienne. A cette époque, la ville ne comportait pas d'abbaye ; il en fallait une !

Il fit venir des étrangers pour établir ce nouveau centre religieux, des Ecossais mais surtout des Irlandais qui s'étaient établis à Regensburg, Ratisbonne, une magnifique cité de Bavière. A l'époque, on rassemblait dans un  tel lieu tout à la fois des lettrés, copistes, médecins, apothicaires, et évidemment des prêtres pour servir la messe. C'était inimaginable de se passer d'une abbaye.

Elle devient bénédictine au début du XVe siècle mais on lui laisse son nom "des Ecossais" car elle est réputée sous ce nom-là, qu'elle conserve jusqu'à nos jours. Elle donne son nom à une porte disparue, la Schottentor, et un large boulevard aménagé au XiXe siècle, le Schottenring, une des principales artères de la capitale. 

Au début du XVIIIe siècle, Johann Joseph Fux devint organiste de l'église. Il sera célèbre pour ses nombreuses compositions, notamment de musique chorale.

Evidemment, l'église médiévale n'est pas celle qu'on voit aujourd'hui. Comme d'habitude. Au XVIIe siècle, on reconstruisit tout pour mettre au goût du jour. Après le siège des Turcs, on procéda à de nouvelles modifications. Au XIXe, on choisit de nouveaux embellissements, surtout dans les peintures. La nef, qui semble un délicieux témoignage du XVIIIe siècle, est en fait une œuvre du XIXe, mais sans doute une des plus réussies de cette époque grâce au choix de couleurs fraîches.

L'extérieur

Le jaune impérial, cher à l'impératrice Marie-Thérèse (on pense immédiatement au château de Schönbrunn), est la couleur essentielle de l'extérieur.

La façade est rythmée par une structure géométrique très forte : une division horizontale et quatre pilastres, dont deux se prolongent visuellement à l'intérieur du tympan, une vraie rareté. Les rectangles plus sombres animent les plans en évitant la monotonie. Malgré les deux tours privées d'élévation (ni flèche, ni bulbe, c'est rare pour des clochers jumelés), la façade est réussie. En fait, les deux éléments supérieurs des tours furent ajoutés à la toute fin du XIXe siècle, lorsque l'intérieur était largement rénové.


Les statues extérieures sont une médiocre réussite. Une Vierge couronnée tient un Enfant porteur d'orbe, où les touches dorées attirent l'attention. C'est une œuvre baroque de Tobias Kracker (1651).

Il ne s'agit pas d'une façade plaquée mais d'un ensemble qui se prolonge sur le flanc droit, le seul visible en fait puisque l'église est englobée dans les bâtiments de l'abbaye.

Une rangée de personnages se tient au-dessus de la balustrade, comme dans beaucoup de palais viennois ou de basiliques romaines (par exemple les gigantesques saints de Saint Jean de Latran).


Je n'ai trouvé aucune information sur ces personnages un peu mystérieux. La tige métallique est sans doute plus un paratonnerre ou un para-pigeons qu'un attribut. La robe paraît celle d'un moine, et il semble désigner son livre (la Bible ? la régle de Saint Benoît ?), toutefois ce n'est pas cela qu'il regarde. La coiffe autant que l'expression surprennent également.

Grâce à l'inscription, on n'a aucune difficulté à identifier le fondateur de l'abbaye sur cette sculpture tardive (1893) de Sebastian Wagner.

La nef

A l'intérieur, comme d'habitude, la grille empêche d'aller plus avant et dissimule toujours l'intérieur des chapelles. Je fais la visite au téléobjectif !

Alors que certaines églises viennoises frappent par l'obscurité où elles plongent immédiatement le fidèle, sans doute pour lui procurer une expérience mystique, celle-ci a choisi de privilégier la lumière (Et lux fit ! dit la Bible) avec un intérieur lumineux en deux tons, un blanc immaculé et un rose saumoné.

La voûte

La charmante voûte ornée de rinceaux gris apporte beaucoup d'animation.

On identifie bien un pinceau du XIXe. C'est Julius Schmid qui fut chargé des peintures  de la voûte.

La Descente de Croix se place dans un paysage buissonnant sur un ciel dramatique.

Un Christ devant sa croix se tient au milieu d'un groupe d'anges, et la lumière rayonnante fait penser à une apparition.

La Vierge à l'Enfant apparaît dans les nuées à des moines arrêtés en pleine nature.

Il s'agit vraisemblablement de la fondation de l'abbaye, Henri II remettant l'acte au supérieur de l'abbaye. Scène abondamment garnie de blasons, où je reconnais au moins celui qui se répète, le rouge barré de blanc : celui de la maison de Babenberg qui gouverna le duché d'Autriche jusqu'au XIIIe siècle.

Le maître-autel


L'autel semble une oeuvre de la Renaissance ; on ne sera pas étonné d'apprendre qu'il est dû à Heinrich Ferstel, le créateur du merveilleux Passage en fausse Renaissance qui commence sur la Freyung, la place sur le flanc de l'église. Cette réalisation-ci fut consacrée en 1883.

Le retable s'avère une mosaïque de la même époque, de Michael Rieser, ce que révèlent bien les visages. La Vierge à l'Enfant avec Saints a été retenue. Le noble à la belle cape rouge est sans doute Henri II ; en haut à gauche, avec mitre et colombe, c'est évidemment Saint Grégoire, un des Pères de l'église. Au-dessous, j'opterais bien pour Saint Benoît avec bure et crosse. Je n'ai pas de proposition pour le saint en haut à droite, et la présence d'un enfant est troublante ; un second Jésus ? Il a l'âge de la scène parmi les docteurs. Mais il ne possède pas de nimbe crucifère, ce qui me fait l'écarter. Un petit Saint Jean-Baptiste est envisageable. Mais en général il est à peu près de l'âge du Christ...

Je suis en panne d'idées.

La chaire

La chaire date de 1832 et semble trouver aussi son inspiration dans la Renaissance italienne, plus que dans le néo-baroque évoqué dans les notices. 

Je suppose que ce sont les Évangélistes qui figurent dans les médaillons. Le seul qu'on distingue indubitablement est accompagné d'un ange, ce serait donc Saint Matthieu, le seul indice dont je dispose pour  l'ensemble.

 Pierre et Paul se donnent une fraternelle accolade au moment des adieux sur ce retable de Sandrart de 1652 (j'avais juste dans mon précédent article !).

Le second affiche une Crucifixion exagérément contrastée. Le peintre a dû vouloir rendre hommage aux Bassano, qui goûtaient fort ce procédé !

Mystère quant aux autres chapelles donc. J'ai perdu les photos prises jadis, la seule fois où j'ai visité complètement l'église, et apparemment personne n'en a publié sur internet. J'ai trouvé quelques gravures du XIXe, avec des commentaires plus que maigres.

J'ai déniché une liste complète des tombeaux et monuments, sans savoir lequel est lequel.

Celui-ci continue à m'interpeler, avec le globe, les instruments de mesure, les canons. Un guerrier explorateur ? Un voyageur pacifique qui a rapporté des armes ?

J'ai lu que les autres retables étaient l’œuvre de Tobias Pock (1651-1655), Joachims (1659), Bachmann (1652) et Julius Schmid lui-même, sans trouver davantage d'éléments. Celui ci-dessus illustre une Sainte Anne avec la Vierge à l'Enfant, entourés d'une série de personnages. C'est apparemment la Sainte Anne de Jeronimus Joachims.

Pour le suivant, j'ai un peu progressé ; dans la liste des retables figure un Martyre de Sainte Barbe de Johann Schmidt l'Ancien, datant de 1659. Ca colle : la légende de la malheureuse la fait bien finir décapitée, et la tour crénelée à l'arrière-plan reste son plus fameux attribut. Là, j'avais tout faux ! Je m'imaginais une Viennoise décapitée par un Turc, c'est dire...

Un monastère vivant

Je reprends ici quelques photos prises lors de ma visite de ces bâtiments. L'ensemble monastique serait le seul de Vienne à avoir été toujours occupé par des moines, et c'est encore le cas aujourd'hui. L'office monastique ne se déroule pas dans la grande nef mais dans cette petite chapelle. 

Les cellules sont donc toujours occupées, mais, pour une partie, la fonction d'hôtellerie a été retrouvée et subvient aux besoins de la communauté. On peut réserver pour environ 90 € la nuit.

Les bâtiments de l'abbaye

Le monastère ne cessa de s'agrandir et on construisit de plus en plus de bâtiments. C'est au XIXe siècle que l'ensemble appartenant à l'abbaye était le plus vaste, un gros pavé percé de plusieurs cours.

Liszt y vécut d'ailleurs. 


L'ensemble comportait des unités d'enseignement et ces établissements jouissaient d'une flatteuse réputation. Johann Strauss fut élève ici. 


Aujourd'hui cet ensemble est depuis longtemps occupé des bureaux et des logements. 



J'ai toujours trouvé à ces cours un air de squares londoniens ! En fait, on les considère comme de bonnes représentantes de l'architecture Biedermeier.


Le musée de l'abbaye


L'abbaye se complète d'un petit musée. On y voit une petite section d'histoire naturelle, ce qui peut surprendre a priori. Mais dans une abbaye qui enseignait, c'est moins stupéfiant. Le Couvent de Strahov à Prague avait aussi un cabinet de curiosités

Un Christ Sauveur de Rubens, de très belle facture, se distingue aussi par une expression très inhabituelle. 

Toutes les salles ne présentent pas toutefois des œuvres de cette qualité. 



Beuckelaer, le peintre des étals des marchés, à cédé à son penchant. Son tableau s'intitule Ecce Homo mais on cherche le le sujet. La présentation du Christ se déroule sur les marchés, en haut à droite. 


Christian Seybold fut un des principaux portraitistes du XVIIIe  autrichien. Il représentait la cour, les nobles aussi bien que le petit peuple. Il exécuta également plusieurs autoportraits ; celui-ci est peut-être un des derniers. 

Le Musée expose une collections d'intarsie, des tableaux de marqueterie de bois, d'une impressionnante maîtrise. 


Une paire de tableaux de Christophe Janneck, un peintre du XVIIIe siècle encore tourné vers le XVIIe. Le précédent représente La Miséricorde de la Samaritaine, avec un charmant paysage en décor, comme une toile peinte. 

Le second est la classique Samaritaine au puits. Les deux paysages s'opposent en symétrie centrale. 

Le "retable écossais" (Schottenaltar

Trésor principal du musée, ce retable est aussi un haut témoignage de la peinture gothique du XVe siècle. 

Son auteur, toujours non identifié à ce jour, fut actif dans la région entre 1460 et 1480,et le style du retable prouve l'influence de la peinture nordique. Il eut de nombreux élèves qui diffusèrent son style en Autriche et à l'étranger. 

Il s'agit incontestablement d'un grand peintre, qui maîtrise une palette vive et contrastée. Les détails sont apportés avec soin, les éléments de décor saisis avec précision, les matières sont excellentes. 

En outre les personnages sont variés et l'émotion rendue avec mesure : du drame mais pas de pathos excessif. 

Les scènes de la Passion surmontent ici celles de la vie de la Vierge. La présentation est adaptée à la salle, le retable était à l'origine vertical. En outre quelques panneaux ont malheureusement disparu. 



Jonas connaît une aventure incroyable, en étant avalé dans les ténèbres du ventre d'un poisson avant de revenir à la lumière. Ce thème connaît le succès comme préfiguration de la Résurrection mais inspirera aussi une célèbre aventure de Pinocchio ! 

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