Le Belvedere de Vienne accueille temporairement une rare toile provenant d'une collection privée, Dame mit Fächer (La Femme à l'éventail) de Klimt, et propose autour d'elle une petite exposition.
Le tableau fut commencé l'été 1917, peu avant l'attaque que subit Klimt et qui l'emportera au début de 1918. Il s'agit d'un de ses deux derniers tableaux avec Die Braut (La Fiancée) ; celui-ci était presque achevé.
Un goût pour l'Orient
Vienne, Belvedere : Moriz Nähr, L'Atelier de Gustav Klimt |
Klimt possédait une importante collection rattachée à l'Extrême-Orient et particulièrement au Japon, statuettes, céramiques, tissus et particulièrement
Lors de la rétrospective du Leopold Museum, on avait reconstitué cette pièce et j'en avais inséré deux photos dans mon article. Différentes pièces de sa collection y sont également visibles.
Vienne, Belvedere : Emilie Flöge en robe chinoise Dame mit Fächer dans l'appartement d'Erwin Böhler Deux autres tableaux de Klimt chez Böhler |
L'attrait de Klimt pour l'Extrême-Orient n'était pas unique. Depuis que les cabinets de chinoiserie avaient envahi l'Europe des XVIIe et XVIIIe siècles, cet Orient des merveilles n'avait jamais cessé de fasciner. Le Japon, pays longtemps fermé aux Européens (seule la minuscule Dejima, à Nagasaki, constituait un fragile point d'échange), envoyait à présent des productions locales via Nagasaki, Kagoshima ou Yokohama. Le thé, les soiries, les céramiques arrivaient en Occident, et surtout l'art de l'estampe japonaise était enfin connu. Les collectionneurs se les arrachaient, et l'influence de cet art fut immense. Vienne avait d'ailleurs monté en 2018 une passionnante exposition sur ce thème, Faszination Japan.
Klimt était un ami proche de Heinrich et Hans Bohler, ce qui joua sans doute un rôle dans la commande de leur cousin Erwin. Ce dernier avait fait redécorer son appartement sur Parkring par Josef Hoffmann et c'est pour ce nouvel espace que Klimt peignit trois tableaux, dont Unterach am Attersee (Unterach sur l' Attersee) et Baumlandschaft (Paysage d'arbres) qu'on voit sur la dernière photographie.
"C'est incroyable combien les broderies chinoises ont de vibrantes couleurs" déclara Klimt à un journaliste. La robe portée par la Dame à l’Éventail se réfère sans doute aucun à ce type de broderies.
Le peintre exhibait à tous ses visiteurs sa collection de textiles chinois, ; ces carrés étaient des sortes de décoration que l'empereur accordait à ses mandarins.
Vienne, Belvedere : Vases de porcelaine émaillée, Chine, vers 1900 |
Vienne, Belvedere : Bols, période Xianfeng et Daoguang |
L'arrière-plan de Dame mit Fächer comprend des motifs d'animaux et de végétaux, avant tout connus pour leur emploi dans la porcelaine chinoise.
On retrouve particulièrement les motifs de lotus du bol de gauche (période Xianfeng, soit 1850-1860) et de phénix de celui de droite (période Daoguang, soit 1820-1850).
Vienne, Belvedere : Kigayawa Utamaro, La Courtisane Shiratsuyu de la Maison Wakana, vers 1795 |
Vienne, Belvedere : Katsukawa Shuncho, La Courtisane Hinazuru de la Maison Choji, vers 1790 |
Vienne, Belvedere : Kikugawa Eizan, La Courtisane Tamakazura de la Maison Tama dans la rue Edo dans le nouveau Yoshiwara, vers 1813 |
Vienne, Belvedere : Gustav Klimt, Elisabeth Lederer, 1914-1916 |
Les Lederer commandèrent de nombreuses toiles à Klimt, dont la frise Beethoven, et établirent la plus importante collection de ses œuvres. Plusieurs dames de la famille firent faire leur portrait, et celui de Serena, au Metropolitan Museum, est particulièrement célèbre. Je le mettrai un jour dans un article, j'en ai des séries entières à faire sur ce musée !
Le fond s'orne de motifs orientaux, ce que pratiquera Klimt dans plusieurs de ses dernières œuvres.
Voilà donc le deuxième des derniers tableaux de Klimt. L'original était exposé dans la rétrospective Klimt, c'est intéressant de comparer avec cette reproduction.
Friederike Maria Beer-Monti déclara : " Klimt avait une grande collection de robes chinoises et japonaises dont il m'a fait essayer quelques pièces. Quand je lui ai dit que je possédais un modèle en soie réalisé à la main par le Wiener Werkstätte, que j'appelais ma 'robe Klimt', il m'a demandé de l'amener. Il s'est montré enthousiaste et a décidé de me peindre dans cette tenue." Cette grande amatrice d'art avait également commandé, l'année précédente, son portrait par Schiele.
Le fond représente des scènes de la mythologie coréenne, inspirées d'un vase que Klimt possédait dans sa collection. Quant au tableau, il faut se rendre au musée de Tel-Aviv pour le voir.
Walburga Neuzil, dite Wally, était la compagne d'Egon Schiele ; elle posa pour lui dans de nombreuses toiles (dont certaines érotiques, bien connues).
La version de Klimt n'est connue que par des photos en noir et blanc, l'original ayant été détruit par une bombe incendiaire quand les Allemands se retirèrent d'Autriche.
Encore une fois, Klimt retient des motifs orientaux pour le fond, lotus et phénix.
Dame mit Fächer (La Femme à l'éventail)
Vienne, Belvedere : esquisses de Gustav Klimt, Dame mit Fächer (La Femme à l'éventail) |
Il nous reste seize esquisses dans les derniers carnets de Klimt, auquel il continuait à travailler en janvier 1918. La position de la dame avait été arrêtée mais il testait diverses compositions pour le fond.
Voici donc le tableau si rarement vu.
On retrouve bien le fond jaune avec les motifs tirés de vases et de tissus orientaux.
Le motif chinois est surtout repérable sur les épaules.
Le modèle est inconnu. Klimt a choisi une femme à la peau parfaite comme les dames japonaises des estampes, mais il dénude les épaules et la gorge en jouant sur la séduction. Le cou est démesurément allongé, et c'est sans doute un choix artistique. Rien n'était indiqué à ce sujet dans l'exposition.
La pose accentue le port altier et valorise le regard assuré, contrastant avec la féminité des cheveux bouclés et les touches légères de maquillage (une touche de rose, un soupçon de bleu).
Klimt assurait qu'on ne trouverait jamais d'autoportrait dans sa production. "Seules les femmes valent la peine d'être peintes."
Je ne connaissais le tableau que par des reproductions et je n'ai jamais eu la chance de le voir. Vôtre article est très intéressant en montrant ces influences orientales.
RépondreSupprimerMerci beaucoup pour cette excellente publication.
Pacôme
Merci beaucoup Pacôme. Le mérite ne m'en revient guère, je n'ai fait que reprendre les objets présentés dans l'exposition.
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