La période Biedermaier est surtout connue pour ses meubles, et souvent synonyme de décoration bourgeoise et un peu superficielle. Pourtant cette première moitié du XIXe siècle s'aventure vers le réalisme social, comme dans toute l'Europe des peintres à ce moment, et donne à travers une peinture de genre une image des différentes classes de la société.
Le Belvedere y consacre plusieurs salles, voici un petit échantillon.
C'est une peinture qui me semble trouver ses origines dans le XVIIe flamand et hollandais, qui commence à explorer toutes les classes de la société, de la population miséreuse et anonyme aux riches bourgeois dont on tire le portrait. Le peuple paysan avait déjà eu droit à ses représentations au XVe siècle, notamment chez Brueghel, mais cette fois, on s'attache autant au récit qu'à la description. Il s'agit de raconter des moments, surtout chez Fendi, que de portraiturer de prospères commanditaires, comme le fait Amerling.Friedrich von Amerling
Friedrich von Amerling, Rudolf von Arthaber und seine Kinder Rudolf, Emilie und Gustav (Rudolf von Arthaber et ses enfants Rudolf, Emilie et Gustav), 1837 |
Arthaber était le directeur d'une fabrique de "châles viennois". La scène fut peinte dans l'atelier d'Amerling, mais de manière à suggérer l'intérieur familial. Personne ne regarde le peintre ou le spectateur, comme s'ils se faufilaient dans une intimité.
Friedrich von Amerling, Henriette Baronin Pereira-Arnstein mit ihrer Tochter Flora (La Baronne Henriette Pereira-Arnstein avec sa fille Flora), 1833 |
La Baronne était une pianiste talentueuse, formée par Muzio Clementi, et elle tint un "salon" littéraire et artistique fréquenté par Beethoven, Liszt et Mendelssohn.
Josef Danhauser
Josef Danhauser, Die Schachpartie (La Partie d'échecs), 1839 |
La dame a gagné, et le vieux monsieur contemple le jeu d'échecs avec stupeur, où le roi est mat. La scène a lieu dans un salon chic, où la statue à droite représente Hercule et Omphale. C'est la déesse qui s'est emparée des attributs du héros, massue et peau de lion, tandis qu'Hercule porte des vêtements féminins. Un tableau donc sur l'inversion des rôles.
Josef Danhauser, Die Scholarenzimmer (La chambre d'étudiant), 1828 |
Une pièce plein de fouillis qui documente la chambre d'un étudiant en peinture, qui reproduit les anciens maîtres (le tableau sur le chevalet) et possède un écorché, caché dans l'ombre.
Josef Danhauser, Mutterliebe - Die Gattin des Künstlers mit Kind (Amour maternel - L'épouse de l'artiste avec leur enfant), 1839 |
Une scène d'intimité familiale. On est loin de la pose de la Virgo lactans, la Vierge au lait, référence de ce type de composition. Ici c'est la paix tranquille du foyer que peint le papa, un bonheur confortable (le coussin soutient le bras de la maman).
Josef Danhauser, Die kleine Virtuosen (Les Petits Virtuoses), 1843 |
La peinture de genre contient parfois des traits d'humour, et c'est le cas avec ces enfants gauches qui délaissent un moment leurs jouets pour se lancer dans les mystères de la musique.
Josef Danhauser, Der reiche Prasser (Le Goinfre riche), 1836 |
Un tableau-pamphlet, comme une parabole (Lazare) ou une fable.
Un mendiant a pénétré dans la pièce sans que le couple d'amoureux ne le remarque. Le goinfre entraine toute sa famille dans la misère.
Josef Danhauser, Die Klostersuppe (La Soupe du Monastère), 1838 |
La suite est racontée dans le second tableau. Prospérité et famille se sont évanouis, seul le chien accompagne le goinfre qui ne daigne pas jeter un regard aux moines qui servent la soupe aux pauvres (les lyricophiles penseront à la scène avec Fra Melitone dans La Forza del Destino). Le mendiant n'a pas changé de place, ni dans le tableau, ni dans la société ; mais cette fois, c'est lui qui pousse le pain vers le nouveau pauvre.
Josef Danhauser, Die Zeitungsleser (Les Lecteurs des journaux), 1840 |
Nouveau sujet : la presse et le rôle joué dans la vie des gens. Sur le journal, on lit Nordbahn, référence à la ligne de chemin de fer projetée par l'empereur Ferdinand, qui fonctionne dès 1838, de Brno à Vienne. Le progrès technologique va mettre les deux conducteurs de chariot au chômage. C'est sans doute un des premiers tableaux à argumenter sur ce fait maintes fois répété.
Ferdinand Georg Waldmüller
Ferdinand Georg Waldmüller, Christtagsmorgen (Matin de Noël), 1844 |
Le matin de Noël, les enfants sont pieds nus : ils ont laissé leurs sabots pour les cadeaux. Les parents surveillent avec bienveillance leur progéniture nombreuse.
Les cadeaux semblent surtout consister en fruits, et il semble qu'il faille aller les chercher sur la fenêtre. C'est ce que fait un des enfants, regardé attentivement par deux des autres.
Des enfants et une dame plus âgée sont partis, comme Sganarelle dans Le Médecin malgré lui, ramasser des fagots en forêt. Les fagots était à cette époque le principal moyen de chauffage et de cuisine, et la forêt viennoise connut une importante déforestation à cette époque.
Ferdinand Georg Waldmüller, Erschöpfte Kraft (Force épuisée), 1854 |
Les tableaux de malades et de mourants connaissent un grand succès au XIXe siècle. Ici la scène est particulièrement dramatique. La mère, à bout de forces, gît sur le sol, si elle n'est pas déjà morte. Le panier à couture renseigne sur les travaux qu'elle fait la nuit pour survivre. L'enfant endormi serait malade.
Beau travail de lumière, exploitée autant à des fins artistiques que narratives.
Ferdinand Georg Waldmüller, Kinder armer Eltern werden von der Gemeinde Spittelberg am Michaelitage mit Winter-kleidern beteilt (Distribution de vêtements d'hiver aux enfants pauvres), 1854 |
Ce tableau de commande raconte un fait précis que le titre complet précise : distribution de vêtements chauds aux enfants, à Spittelberg, le jour de la Saint Michel. Le peintre a dû caser une cinquante d'adultes et une trentaine d'enfants, sans oublier de bien montrer les tableaux des dignitaires, avec un but précis : mettre en avant la générosité des membres de la paroisse (ce que rappelle le crucifix, à droite).
Ferdinand Georg Waldmüller, Arme Gratulaten (Pauvres sont ceux qui félicitent), 1861 |
Les Gratulaten du titre sont ceux qui frappent à la porte pour présenter leurs souhaits, comme on le voit aujourd'hui à Halloween. Ici ils apparaissent dans l'ombre, au fond du tableau, et la lumière marque clairement les deux classes sociales.
On suppose que la scène représente la maison de Waldmüller ; les murs sont décorés de deux de ses tableaux et de son autoportrait.
Ferdinand Georg Waldmüller, Der Abschied der Patin (Les Adieux de la marraine), 1859 |
La scène des adieux devient un grand classique de cette peinture de genre. La bonne et plus riche marraine est remerciée par les enfants aux vêtements plus modestes qui veulent la retenir.
La peinture techniquement irréprochable montre à nouveau le grand soin accordé aux nuances de lumière, qui servent à structurer le récit.
Peter Fendi
Peter Fendi, Der Blick durchs Schüsselloch (Par le Trou de la serrure), 1833 |
J'avais vu, il y a une quinzaine d'années, une exposition consacrée à Peter Fendi qui m'avait fait découvrir ce peintre des petites gens, qui recherche l'instantané pour nous raconter une histoire et souvent cherche à nous faire réagir.
Peter Fendi, Die Pfändung (La Saisie), 1840 |
Les taxes, les mauvaises récoltes, l'augmentation des prix créent des dettes insurmontables. L'officier de justice est venu procéder à la saisie. Il indique à son assistant où il doit transporter le matelas qu'il est en train d'emballer. La famille est au désespoir et la petite fille implore l'officier, espérant l'amadouer. Le frère pleure, le coude contre le mur. Le troisième enfant se blottit dans les jupes de sa mère éplorée. On voit même une autre personne, au visage indistinct, alitée au fond.
Pendant que personne ne le regarde, un agent indélicat fouille les tiroirs à la recherche d'objets de valeur.
Fendi valorise le geste de l'officier pour montrer la faiblesse du peuple face à l'autorité et aux coups du sort, qui se retrouve dépouillée du nécessaire (le matelas !). Le tableau est évidemment un peu larmoyant ; mais la demande était alors forte pour de telles représentations pleines de sentiment, et Fendi sait ailleurs se montrer plus sobre.
Peter Fendi, Die arme Offizierswitwe (La Pauvre Veuve de l'officier), 1836 |
Je pense aux logements de plus en plus sommaires qu'occupe Gervaise dans L'Assommoir, et, même si Zola a écrit son roman quarante ans après ce tableau, j'y retrouve cette image de la soupente misérable.
L'officier a laissé deux enfants à la veuve, un nourrisson qu'elle a emmailloté (empaqueté aurais-je envie d'écrire) sur ses genoux et l'autre qui dort dans le même lit. Je ne sais trop ce que fait la mère avec le carré de tissu ; le raccommode-t-elle ? le tripote-t-elle pensivement ?
C'est un tableau nettement moins photographique que la plupart de la salle, et les bords de la toile montrent davantage d'aplats et de coups de pinceau.
Peter Fendi, Mädchen vor dem Lotteriegewölbe (La Femme à la lotterie), 1829 |
La jeune fille a joué, et a perdu. Elle tient encore son billet dans la main et regarde les chiffres gagnants avec le prix mis en jeu, "Ein kleiner Spiel für Linz".
Le tableau pourrait résonner comme un avertissement contre les dangers du jeu !
Ritter et Schindler
Eduard Ritter, Der kranke Musiker (Le Musicien malade), 1847 |
Nouvelle version d'une chambre avec malade, bien moins dramatique que celle de Waldmüller. La luminosité nous renseigne déjà sur la tonalité du tableau.
La chambre est encombrée et en désordre ; violon sur le tabouret déjà encombré de piles de partitions, chaufferette au sol, robe de chambre sur le fauteuil. Nous sommes bien chez un musicien, qui serre un cor contre lui, au-dessous d'un portrait de pianiste. Mais il est malade ; sa table est pleine de médicaments et il en rajoute avec la main sur la poitrine et une expression de fatigue excessive.
La bonne société vient néanmoins le visiter ; Monsieur présente ses respects pendant que Madame s'inquiète de la santé de l'infortuné.
Albert Schindler, Die Witwe des Landwehrmannes - Bauernstube (La Veuve du milicien - Auberge), 1847 |
Classique intérieur avec fenêtre, genre appelé à se développer fructueusement. C'est un intérieur modeste, mais pas misérable, garni d'objets divers. On repère même un objet doré sur une étagère, de forme rayonnante ; une horloge ? une monstrance religieuse ? Le poêle en céramique est également présent. La veuve n'est pas toute jeune, si bien que je me demande si l'enfant est bien le sien. Elle file, bien installée dans la lumière. Un écheveau pend d'ailleurs aux poutres.
Je vois une tonalité bien plus optimiste dans ce tableau, étonnamment construit comme une boîte avec des perspectives rigoureuses, construit pour guider le regard vers l'extérieur.
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