Ma première découverte de Lear, en 2016, m'avait bouleversé et je ne voulais pas manquer cette reprise. Comme je l'avais écrit, je connais bien la pièce de Shakespeare, chef-d’œuvre absolu, et je trouve que cet opéra en offre une version exceptionnelle.
Je vois cette nouvelle représentation dans des dispositions différentes ; le choc de la découverte est passé, la première audition de la musique est derrière moi et la production m'avait suffisamment marqué pour qu'elle m'apparaisse, cette fois, comme familière.
Je ne peux qu'insister sur l'habileté de l'adaptation du livret et l'incroyable force expressive de cette musique, dont l'âpreté et la rudesse qui laissent briller quelques filons d'une puissante beauté semblent aller de soi. C'est bien la marque d'une version réussie.
La production de Calixto Bieito
Je suis peut-être plus sensible, cette fois, à la puissance visuelle du décor et des éclairages, qui soulignent l'inimaginable violence du récit.
Et je suis également plus sensible au dépouillement progressif, à prendre au sens propre : Lear est littéralement dépouillé de tout (ses biens, sa famille, son statut royal, puis simplement de sa condition d'humain), et le décor s'épure peu à peu pendant que le personnage perd ses vêtements.
La précision d'une direction d'acteurs bouleversante est sensible tout au long, dans le moindre geste, dans le travail sur les expressions. Parallèlement, il me semble voir des renvois à des images culturelles éloquentes, comme, sur l'image ci-dessus, une Pietà inversée, où c'est l'aimante Cordelia qui tient son père à ses genoux.
Il faut dire que la distribution réunit de remarquables chanteurs, certes, mais également connus pour l'intensité de leurs incarnations. Le fiel déversé par Evelyn Herlitzius n'est pas moins puissant que la douleur exprimée par Bo Skovhus.
Distribution parfaite
C'est une chance d'avoir pu retrouver quasiment la distribution exceptionnelle de 2016, avec seulement deux changements. Et c'est encore plus remarquable de constater avec quelle maîtrise ces "petits nouveaux" s'y sont insérés.
Le rôle court du roi de France est tenu par un convaincant Gidon Saks tandis que Michael Colvin lance vaillamment les aigus du duc de Cornouailles. Kor-Jan Dusseljee retrouve le duc de Kent, dans lequel il s'investit toujours pleinement.
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Derek Welton |
Derek Welton, un baryton australien en troupe au Deutsche Oper de Berlin, remplace Andreas Schreibner en duc d'Albany, et il impressionne par la richesse de sa voix qui sied parfaitement à un personnage noble. Belle composition.
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Ernst Alisch |
L'immense acteur allemand Ernst Alisch demeure un inoubliable Fou, d'une incroyable présence scénique. Et pourtant, ce n'est pas si évident d'être un acteur mémorable pour un non-chanteur dans un opéra.
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Andreas Conrad |
J'ai beaucoup entendu Andreas Conrad depuis ses débuts, et je crois que cet Edmund demeure son meilleur rôle, pourtant d'une incroyable difficulté tant les suraigus y sont nombreux. Mais il y impose sa vocalité et conserve le chant sans le pervertir en cri, tout en marquant le rôle d'un jeu engagé.
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Lauri Vasar |
Lauri Vasar, le Comte de Gloster, bouleverse par son humanité et son assurance vocale, surtout qu'il doit incarner un personnage bien plus âgé.
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Andrew Watts |
Andrew Watts demeure un extraordinaire Edgar, et un encore plus stupéfiant Tom qui a perdu toute humanité. Son travail vocal, mêlant sans cesse voix de poitrine et de tête, préservant malgré tout la beauté de son timbre, est hallucinant.
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Annette Dasch |
Annette Dasch reste une merveilleuse Cordelia, pleine de féminité, d'humanité, de douceur. L'intensité du jeu et le chatoiement du timbre, le soin accordé à la ligne vocale, sont absolument dignes d'éloges.
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Erika Sunnegårdh |
Erika Sunnegårdh retrouve la robe fleurie de Regan, qu'elle incarne avec une incroyable maîtrise ; j'ai été particulièrement sensible à son utilisation d'une ligne vocale aux nombreuses vocalises pour dessiner un personnage dangereux.
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Evelyn Herlitzius |
Ricarda Merbeth, la précédente Goneril, avait sans doute un timbre plus adapté à la rugissante Goneril. Mais Evelyn Herlitzius sait dompter ces rôles inchantables (fabuleuse
Elektra !) et s'est souvent mesurée à des personnages maléfiques (comme sa prodigieuse
Ortrud). La voici à nouveau dans une incarnation inoubliable, qui lui permet de mordre les consonnes, de darder les aigus, et de conjuguer une folie hystérique à la classe d'une fille de roi. Je reste un fan absolu.
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Evelyn Herlitzius, Bo Skovhus, Erika Sunnegårdh, Andrew Watts, Andreas Conrad |
Quant à Bo Skovhus, il est bouleversant au-delà du dicible. Incarnation n'est pas un mot faible tant le personnage est habité, tant j'ai l'impression que cette voix-là est celle du roi telle que Shakespeare l'aurait imaginée. Dietrich Fischer-Dieskau, qui avait inspiré le rôle à Reimann et l'avait créé, pourrait être fier de voir le flambeau en de si bonnes mains.
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Annette Dasch, Evelyn Herlitzius, Bo Skovhus, Erika Sunnegårdh, Andrew Watts |
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Fabio Luisi |
Au chapitre des congratulations, il ne faut pas oublier Fabio Luisi, maître d’œuvre de ce succès. La précision infaillible de sa direction, la puissance d'une vision sonore qui conduit l'orchestre jusqu'à ses limites, tout est inoubliable. Orchestre et choeurs sont ovationnés, et ce n'est que justice devant l'excellence de leur travail.
J'ai la chance de revoir un des spectacles les plus marquants de ces dix dernières années, et sans doute un des opéras les plus bouleversants du dernier demi-siècle. A quand la reprise ? Et peut-on espérer une captation, cette fois ?
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Michael Colvin, Ernst Alisch |
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Erika Sunnegårdh, Andrew Watts, Andreas Conrad, Derek Welton |
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Lauri Vasar, Annette Dasch, Evelyn Herlitzius, Fabio Luisi |
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Evelyn Herlitzius |
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Fabio Luisi |
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Ernst Allisch |
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Michael Colvin |
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avec Erika Sunnegårdh |
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Derek Walton |
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Lauri Vasar |
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Andreas Conrad, Annette Dasch |
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avec Evelyn Herlitzius |
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Bo Skovhus, Andrew Watts |
What a representation! Your article gives regrets to those who missed it.
RépondreSupprimerCongrats !
Annie
An unforgettable performance !
SupprimerThanks, Annie, for your nice message.
Votre enthousiasme est communicatif... Apparemment une représentation memorable!
RépondreSupprimerPierre
Je ne connais bien sûr pas cet opéra, mais, en te lisant, j'ai eu l'impression d'y être.
RépondreSupprimerBises.
Mjo
C'est vraiment un pur chef-d'œuvre... Y aurait-il quelque chose sur YouTube qui te permette d'y avoir accès ?
SupprimerGrand merci, gros bisous !
Je connais la pièce, mais pas l’opéra, ni les chanteurs, ni la musique. Tu mets tant de passion dans ton compte-rendu que j’entends presque les chanteurs. C’est vraiment réussi et j’aimerai bien voir cet opéra et pouvoir entendre cette musique si puissante. Bises. Mam
RépondreSupprimerJe suis certain que tu te régalerais ! C'est vraiment dommage que cette oeuvre soit si rare en France.
SupprimerUn grand merci, gros bisous !