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samedi 21 décembre 2019

Paris : Exposition Léonard de Vinci au Musée du Louvre (1)



C'est l'évènement du moment ! La grande exposition rétrospective consacrée à Léonard de Vinci se tient actuellement au Musée du Louvre. Suivez-moi à l'intérieur pour y faire de nombreuses découvertes...



J'ai déjà vu des expositions consacrées à Léonard de Vinci, mais celle-ci est effectivement exceptionnelle. Par le nombre de pièces exposées tout d'abord, notamment les fragiles dessins qu'on voit si rarement. Beaucoup de musées ont sacrifié leur pièce maîtresse, même si tous n'ont pas joué le jeu. L'Annonciation des Offices, la Ginevra Benci de Washington, la Dame à l'hermine de Cracovie sont restées dans leur musée, mais voir la Vierge au fuseau est une belle compensation. Et l'Homme de Vitruve est pour une fois visible !
Les commissaires d'exposition ont habilement comblé ces manques en proposant des réflectographies de peintures et parfois des copies. Celle de la Cène est sans doute plus fidèle à l'original que les vestiges dégradés qu'on admire à Santa Maria delle Grazie.

Les débuts : études de draperies


Le petit Léonard naquit en 1452 à Vinci, un ravissant petit village toscan, et il passa sa jeunesse à Florence dans l'atelier du sculpteur Andrea del Verrocchio. Les ateliers étaient à l'époque des groupes bruissants d'apprentis, qui commençaient fort jeunes avant d'évoluer dans la formation. Ils participaient à la réalisation des œuvres, copiaient celles de leur maître qu'ils quittaient lorsque leur éducation était aboutie.

Andrea del Verrocchio, L'Incrédulité de Saint Thomas, vers 1467-1483

 Chez le sculpteur Verrocchio, on travaillait notamment le drapé. On recouvrait des bas-reliefs de terre avec des linges trempés dans de l'argile liquéfiée et on obtenait de saisissants volumes.

Reconstitution de la Draperie Saint-Morys

L'un d'eux a spécialement été reconstitué pour l'exposition.

Atelier d'Andrea del Verrocchio, Draperie Jabach III, vers 1473-1477

Les premiers dessins sont anonymes et on hésite à en attribuer certains.

Andrea del Verrocchio ou Léonard de Vinci, Draperie Richardson, vers 1473-1477

Andrea del Verrocchio ou Léonard de Vinci, Draperie Medicis 433, vers 1473-1477

Léonard apprit beaucoup dans cette formation ; l'idée de base que c'est de l'ombre et de la lumière que naît le relief, tout d'abord.

Andrea del Verrocchio ou Léonard de Vinci, Draperie Jabach VIII, vers 1473-1477

Il acquit rapidement une conviction, qu'il exprimera plus tard dans une phrase célèbre : pour lui, la peinture est supérieure à la sculpture car dans la première, la lumière est interne à l'oeuvre alors qu'elle reste extérieure dans la seconde.

Léonard de Vinci, Draperie Jabach IV, vers 1473-1477

Le Louvre possède une riche collection de ces études de drapés, qui sont baptisées du nom de leur plus ancien propriétaire connu.

Léonard de Vinci, Draperie Medicis 420, vers 1473-1477

Elles sortent parfois à l'occasion d'expositions (je me rappelle l'une d'elles, consacrée justement à l'étude de draperie), mais c'est exceptionnel de pouvoir en admirer autant et de les comparer.

Léonard de Vinci, Draperie Jabach I, vers 1473-1477

Ce dessin montre une nouvelle étape, où la conception de l'espace fait d'ombre et de lumière supplante le motif traité.

Léonard de Vinci, Draperie Jabach IX, vers 1475-1482

Léonard de Vinci, Draperie Jabach XIII, vers 1475-1482

Léonard de Vinci, Draperie Jabach XIV, vers 1475-1482

Léonard de Vinci, Draperie Saint-Morys, vers 1475-1482

L'impressionnante Draperie Saint-Morys montre une infinité de nuances ; on y voit même les réflections de la lumière sur le tissu, projetées à l'intérieur des plis. C'est à partir de ce dessin qu'on a reconstitué le bas-relief que je montrais au début.

Andrea del Verrocchio, Léonard de Vinci ou atelier, Tête de jeune homme, vers 1470-1472

On pense que cette tête pourrait avoir été dessinée d'après un modèle vivant ; les hachures, tracées par un gaucher (de droite à gauche), pourraient pencher pour l'attribution à Léonard.

Léonard de Vinci, Étude de bras pour l'Annonciation, vers 1470-1472

Une étude pour le bras de l'ange qui fut reportée sur le panneau, avant que Léonard ne modifiât sa composition.

Andrea del Verrocchio, Étude de tête, vers 1470-1475

Très délicate tête qui fut perforée afin de permettre son report sur une autre surface : on tamponnait le dessin avec de la poudre de charbon et il était reproduit aisément.

Léonard de Vinci, Paysage de la vallée de l'Arno, 5 août 1473

 Le dessin le plus ancien de Léonard révèle déjà son intérêt pour la nature, les stratifications rocheuses par exemple, mais aussi le mouvement de l'eau ou des feuilles.

Att. Lorenzo di Credi, Le Miracle de Saint Donat d'Arezzo / L'Annonciation, vers 1480

Les deux panneaux sont exceptionnellement réunis car présentés dans deux musées différents.Il s'agissait de la prédelle d'un retable à la cathédrale de Pistoia ; celui du bas, au Louvre, s'inspire ouvertement de l'Annonciation de Léonard aux Offices, sa première réalisation picturale.

Alesso Baldovinetti, Vierge à l'Enfant, vers 1460

 Dans l'atelier de Verrocchio, on peignait traditionnellement à la tempera, un mélange de pigments avec de l'œuf. Mais d'autres pratiquaient des techniques mixtes. Baldovinetti fut un des tout premiers, et ce panneau montre l'utilisation conjointe de la détrempe et de la tempera.

Hans Memling, Homme tenant un sesterce, vers 1471

 Les peintres du Nord utilisaient un medium révolutionnaire, la peinture à l'huile. A Florence, le grand atelier concurrent, celui des Pollaiuolo, la diffusa rapidement et Léonard se passionna aussitôt pour cette technique.

Expérimentations


C'est en fait un titre qui pourrait recouvrir tout l'œuvre de Léonard ; mais cette conquête de liberté, ce plaisir à défricher et à déchiffrer les possibles, se manifeste soudain avec force.

Léonard de Vinci, Étude de Vierge à l'Enfant, vers 1478-1480

Les dessins du XVe siècle se reconnaissent souvent à la précision du trait ; ici, Léonard fait un bond en avant. La plume tourbillonne, esquisse de multiples contours, crée une forme imprécise où pourtant le motif se reconnaît. Le peintre nomme cette technique componimento inculto.

Le dessin moderne est né !

Léonard de Vinci, Tête de femme, vers 1485-1490

La pointe d'argent est impitoyable ; comme avec l'aquarelle, les corrections y sont impossibles. Léonard trace pourtant avec une sûreté infaillible et crée de délicates nuances d'ombre.

Léonard de Vinci, Bernardo Bandini de' Baroncelli pendu, décembre 1479

 Un croquis rapide de l'exécution de Baroncelli, qui avait tué Giuliano de' Medici (Julien de Médicis) avant de réussir à s'enfuir et d'être ultérieurement livré par le sultan de Constantinople.

Léonard de Vinci, Etude pour un Saint Sébastien, vers 1478-1482

 Intéressante solution graphique pour un Saint Sébastien que Léonard ne peignit jamais.

Léonard de Vinci, Étude pour une dame à la licorne, vers 1478-1480

Un croquis plein de charme et de délicatesse. La thématique de la Dame à la Licorne avait été abondamment développée au Moyen-âge. On connaît notamment les séries de tapisseries au Musée de Cluny parisien et aux Cloisters de New York.

Léonard de Vinci, Étude pour une Sainte Marie-Madeleine, vers 1478-1480

Un croquis très vigoureux, évoquant le mouvement.

Léonard de Vinci, Études diverses, vers 1478-1480

Léonard de Vinci, Étude de profils, vers 1478-1480

Le portrait de profil était à la mode à Florence, on en voit de nombreux exemples peints.

Léonard de Vinci, Études pour une Vierge lavant les pieds de l'Enfant / pour des fesses de bébé, vers 1478-1480

La Vierge à l'Enfant était un motif incontournable pour un peintre de l'époque, qui devait s'attendre à honorer de nombreuses commandes sur ce thème.

En 1478, Léonard a plusieurs Vierge  en projet, et s'intéresse notamment à y introduire un chat. Plus tard, ce sera un agneau qu'il placera dans une de ses célèbres réalisations.

Léonard de Vinci, Étude pour une Madone au chat, vers 1478-1480

Ce qui est intéressant dans ces esquisses, c'est de voir combien Léonard  cherche à fixer la vie, en travaillant des postures diverses, en saisissant le mouvement.

Léonard de Vinci, Étude pour une Madone au chat, vers 1478-1480

Léonard de Vinci, Étude pour une Madone au chat, vers 1478-1480

Léonard de Vinci, Étude pour une Vierge à l'Enfant, vers 1478-1480

Léonard de Vinci, Étude pour une Adoration des bergers, vers 1478-1480

Le projet d'Adoration des bergers ne fut jamais mené à terme, mais plusieurs travaux préparatoires sont conservés.

Léonard de Vinci, Étude pour une Adoration des bergers, vers 1478-1480

Léonard de Vinci, Étude de personnages, vers 1480-1482






Aussi incroyable que ça paraisse, même ces photographies attirent les téléphones comme des aimants et il est difficile de les cadrer en entier sans écran importun. Je suis l'un de ces photographes, je sais...

L'Adoration des Mages évoquée par la réflectographie ci-dessus est un tableau exceptionnel, conservé aux Offices de Florence. Pas par son état, car il est inachevé, comme plusieurs autres de Léonard qui semblait souvent plus intéressé par la recherche que par la complétude. Mais par le nombre de personnages : on en compte soixante-dix, ce qui est unique dans l'oeuvre léonardesque.
En rupture avec la tradition italienne, le peintre s'applique à individualiser les personnages par des expressions différentes. Il s'en souviendra au moment de réaliser La Cène.

Léonard de Vinci, Étude pour l'Adoration des Mages, vers 1480-1481

Cette étude montre notamment l'intérêt du peintre pour la perspective.

Léonard de Vinci, Étude pour une Adoration, vers 1480-1481



Léonard de Vinci, Étude pour l'Adoration des Mages, vers 1480-1481

Léonard de Vinci, Étude pour l'Adoration des Mages, vers 1480-1481

L'Adoration est un tableau complexe où Léonard a ajouté successivement des groupes multiples ; chevaux et cavaliers y figurent à l'arrière-plan.

Léonard de Vinci, Étude de cavalier combattant un dragon, vers 1480-1481

Léonard de Vinci, Étude pour l'Adoration des Mages, vers 1480-1481

Un travail centré sur le décor et la perspective, minutieusement tracé à la règle.

Léonard de Vinci, Madone Benois, vers 1480-1481

 L'Ermitage de Saint-Petersbourg exposait deux Léonard, et seule la Madone Benois est venue. En fait, la Madone Litta a été retirée du catalogue depuis plusieurs années pour être attribuée à un de ses collègues, Boltraffio ou d'Oggiono. J'en ai photographié une copie dans la villa de Gorki à Moscou.

Ici l'Enfant tend à sa mère une fleur cruciforme, symbole de la Passion. Il est très grave alors que la Vierge est souriante. On pourrait croire qu'elle ignore le destin de son fils mais il faudrait plutôt imaginer qu'elle envisage la Résurrection. L'iconographie de la Vierge à l'Enfant a toujours été transformée par les courants de pensée religieux...

Léonard de Vinci, Étude de mains, vers 1485-1492


Léonard de Vinci, Saint Jérôme pénitent, vers 1480-1482

Ce panneau venu du Vatican nous montre un Saint Jérôme intense, un des plus beaux qui soient. Comme l'Adoration des Mages, Léonard a choisi de le laisser inachevé, marquant ainsi la liberté du peintre. C'est un cas rare dans l'histoire de l'art ; non seulement son œuvre se limite à quelques peintures, encore moins que pour Vermeer, mais plusieurs n'ont volontairement pas été terminées.

Léonard de Vinci, Saint Jérôme pénitent, vers 1480-1482 (détail)

La connaissance de l'anatomie transparaît dans la précision du dessin.

Léonard de Vinci, Saint Jérôme pénitent, vers 1480-1482 (détail)

Le lion n'est qu'un assemblage de traits. Fascinant, presque abstrait.

4 commentaires:

  1. L'exposition affiche, hélas, complet. Je l'aurais visitée avec encore plus de plaisir après avoir lu votre passionnante publication, riche et toujours intelligemment commentée.
    J'attends la suite avec impatience !
    Félicitations.
    Pierre

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    Réponses
    1. Merci beaucoup ! J'aurais aimé détailler davantage les commentaires mais le temps me manque. Le second volet est pour bientôt !

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  2. Article très complet et détaillé qui me permet de retrouver les chefs d'œuvre de cette fabuleuse exposition. Vous avez fait un travail formidable !
    JRM

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