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dimanche 27 mars 2022

Vienne, Albertina : Exposition Amedeo Modigliani (1)

 

A l'automne 2021, l'Albertina de Vienne organise une superbe rétrospective comme ce musée en a le secret (entre autres, Dürer, Monet ces dernières années). Cette fois, elle est dédiée au peintre-sculpteur Amedeo Modigliani. 

Vu l'abondance de l'exposition, je divise en plusieurs volets, comme d'habitude.

J'ai déjà eu la chance de visiter plusieurs expositions consacrées à Modigliani, et celle-ci se démarque un peu en proposant de l'accompagner d’œuvres d'autres artistes. Il ne s'agit pas d'une exposition "Au temps de", procédé parfois un peu fourre-tout pour compenser la rareté de pièces exposées d'un artiste vedette (Rembrandt et Vermeer font souvent les frais de cette pratique), mais bien d'éclairer les différentes influences qui viennent susciter et enrichir les travaux de l'artiste. On verra donc aussi bien les signatures de Picasso ou de peintres fauves que des sculptures cycladiques, africaines..

Né à Livorno, Modigliani étudie d'abord dans les grands centres artistiques que sont Florence et Venise avant de gagner Paris en 1906. Le Catalan Picasso et le Roumain Brancusi s'y sont déjà installés, et le jeune Amedeo, alors âgé de 22 ans, gravite dans leur cercle où se joignent Apollinaire et Max Jacob. Les premiers jouent un rôle majeur dans la trajectoire artistique de Modigliani.

Vienne, Albertina : Amedeo Modigliani, Tête de femme, 1914-15

Sans être totalement dans sa manière, qui privilégie les portraits de face, c'est tout de même déjà bien un Modigliani, avec une palette fauve qui contraste avec le gris métallique des yeux sans pupille.

Vienne, Albertina : Amedeo Modigliani, Tête, 1911-12

On retrouve chez Brancusi le goût pour ces têtes allongées qui caractériseront longtemps les figures de Modigliani, donnant parfois l'impression d'un œuvre qui évolue peu. Mais il ne faut pas oublier que l'artiste est mort jeune, des suites d'une maladie pulmonaire. Les pièces s'étalent sur une petite vingtaine d'années, sans rapport avec la longue et prolifique carrière de Picasso.

Vienne, Albertina : Amedeo Modigliani, Tête avec un collier, 1911-12


Vienne, Albertina : Pablo Picasso, Garçon en culotte courte, 1906

Voici justement le peintre catalan qui avant ses expérimentations cubistes, déroule avec passion ses périodes bleues et roses.

Vienne, Albertina : Pablo Picasso, Fernande, 1906

Touche-à-tout de génie, Picasso se lance dans toutes les formes, avec une connaissance approfondie de l'histoire de l'art. Sans être vraiment connectée avec les têtes de Modigliani, cette sculpture montre un goût indéniable pour l'allongement.

Vienne, Albertina : Pablo Picasso, Buveuse endormie, 1902

Pleine période bleue. Influencé par Gauguin et Munch, Picasso accentue les silhouettes tout en diminuant le modelé. Les sujets sont alors le peuple, les artistes faméliques ; chagrin et désespoir sont les sentiments qui dominent. 

Vienne, Albertina : Amedeo Modigliani, Tête, 1913

Chacun connaît ces têtes toutes en verticalité, et voici donc quelques propositions sur les influences établies.

Vienne, Albertina : Tête de femme, Angkor (style du Bayon)

C'est au Musée Guimet qu'Amedeo a découvert la sculpture asiatique. L'Ecole Française fouille alors avec passion les sites angkoriens et rapporte quelques chefs-d’œuvre, exposés dans une fameuse salle (il faudra que je fasse un article sur ce musée, un jour, j'y ai passé de nombreuses heures !). Comparativement  notre sculpture classique, héritée de l'art grec, celle-ci se caractérise par un modelé moins vigoureux. On sait que cette tête-ci, au mystérieux sourire, fascinait particulièrement l'artiste.

Vienne, Albertina : Pablo Picasso, Etude pour Les Moissonneurs, 1907


Vienne, Albertina : Pablo Picasso, Etude pour Les Baigneuses en forêt, 1908


Vienne, Albertina : Pablo Picasso, Etude pour Nu debout, 1908

Les Demoiselles d'Avignon datent de 1907 et Picasso continue à investiguer cette voie, imprégnée d'art africain (qu'on appelait art nègre, mais je suppose que le terme est à éviter de nos jours).

Vienne, Albertina : Amedeo Modigliani, Tête, 1911-12


Vienne, Albertina : Amedeo Modigliani, Tête de profil, 1911-12


Vienne, Albertina : Amedeo Modigliani, Tête sur un socle, 1911-12


Vienne, Albertina : Amedeo Modigliani, Tête de profil, c. 1911


Vienne, Albertina : Amedeo Modigliani, Tête, 1911

On connaît mieux, je crois, Modigliani peintre, et pourtant c'est à cet art qu'il se consacra majoritairement à son arrivée à Paris, et ce jusqu'en 1914.

Le procédé habituel consistait à faire des études préparatoires, souvent en terre cuite, avant de se lancer dans le travail dans la pierre. Mais Constantin Brancusi pratiquait déjà la technique de la taille directe, donc directement sur le minéral sans passer par les étapes préparatoires, et cela impressionnait beaucoup Modigliani.

L'autre influence très perceptible ici est celle de l'art égyptien, découvert au Louvre, avec sa finesse du grain et la beauté de ses surfaces lisses. On retrouve chez Brancusi et Modigliani ces mêmes polis qui donnent envie d'y passer la main.

Vienne, Albertina : Amedeo Modigliani, Lola de Valence, 1915

Cette toile me fait une curieuse impression. Plus qu'une personne, la mystérieuse Lola de Valence, ce tableau m'a semblé représenter une statue. Je me suis interrogé sur la cause de cet effet. La position n'est pas des plus courantes chez Modigliani, sans être absolument unique pour autant. Finalement, je pense que ce sont les yeux couleur chair qui m'ont suggéré cette impression.

Vienne, Albertina : André Derain, Les Grandes Baigneuses, 1908

Un beau Derain tout à fait pertinent. On y trouve une palette très proche de celle de "Modi", une gamme de bruns orangés qui s'opposent à des teintes froides qui varient les bleus et les gris.

Le thème des Baigneuses, recherche d'une harmonie entre l'homme et la nature, a toujours été fortement marqué par l'esthétique de son temps. Après les variations de Boucher, il est en pleine ébullition et donne lieu à de stupéfiantes versions de Cézanne, Picasso et même Gauguin (voir le magnifique tableau exposé à Washington). Derain n'est alors pas si éloigné du cubisme dans sa représentation du corps humain.

Vie/nne, Albertina : André Derain, Le Couple, 1907

Les sculptures de Derain, c'est plus rare. Celle-ci expose une sorte de force brute, de masse concentrée, qui me rappelle beaucoup l'art précolombien. J'ignore si c'est réellement le cas, mais les jeunes loups autour de Picasso fréquentaient assidûment les musées, y compris le Musée du Trocadéro. Je crois que c'est là qu'on pouvait voir, à l'époque, ces témoignages lointains. Je pense aussi aux statues-blocs égyptiennes.

Derain fut le premier du groupe à pratiquer la taille directe. Il allait directement choisir sa pierre  Chatou, près de la maison familiale,

Vienne, Albertina : Pablo Picasso, Etude pour Les Demoiselles d'Avignon, 1907


Vienne, Albertina : Statues antiques des Cyclades

Je retrouve ces mystérieuses statuettes, comme j'en ai beaucoup admiré cet été, au musée archéologique d'Athènes notamment. Elles offrent une grande ressemblance, visage dépouillé de traits, bras serrés autour de la taille, tête allongée au nez saillant.

Le Louvre en possède également, c'est sans doute là que Modigliani et ses copains les avaient vues. Je suis toujours impressionné par le rôle des grands musées parisiens dans le développement de l'art du XXe siècle !

Vienne, Albertina : Amedeo Modigliani, Nu féminin, bras croisés, c. 1911

C'est vrai que l'influence ici est très perceptible.

Vienne, Albertina : Amedeo Modigliani, Nu féminin, bras écartés, c. 1911

Certes, Modigliani était un fervent adepte de la taille directe, mais il préparait avec énormément de soin ses sculptures par des dessins.

Vienne, Albertina : Amedeo Modigliani, Caryatide, c. 1911


Vienne, Albertina : Amedeo Modigliani, Nu féminin, tête tatouée, c. 1911


Vienne, Albertina : Amedeo Modigliani, Caryatide, 1911

La caryatide version Modigliani n'a guère de commun avec celle de l'Erechteion, à l'Acropole d'Athènes ! C'est une créature hybride, fruit d'influences multiples synthétisées.

Un panonceau de l'exposition rappelle que Modigliani était juif et suggère que sa vision du corps humain s'affranchit de tout stéréotype racial. Je n'y avais jamais pensé.

Vienne, Albertina : Amedeo Modigliani, Caryatide, 1913



2 commentaires:

  1. Un de mes artistes préférés et inspirant! Il y a des œuvres que je ne connaissais pas. Merci pour cette belle visite.

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    1. Merci beaucoup à vous, r, pour ce commentaire chaleureux !

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