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mercredi 21 octobre 2020

Rome : Santa Maria in Aquiro

 

J'avais découvert cette église très méconnue il y a une quinzaine d'années et j'avais été sidéré par ses trésors, trois merveilleux retables caravagesques... Je retourne avec grand plaisir à Santa Maria in Aquiro !

Rome, Santa Maria in Aquiro : la façade

 

Une ancienne église de plus, sans doute du Ve siècle, édifiée sur la  base antique de la Basilique de Matidia. On la trouve mentionnée pour la première fois au VIIIe siècle lors de son agrandissement. En 1540, elle est attribuée à la Confraternità degli Orfani, la Confraternité des Orphelins, et sa reconstruction débute à la fin du XVIe siècle, sous la direction de Francesco da Volterra. A sa mort, Carlo Maderno reprend les travaux ; quel architecte infatigable ! On voit ses réalisations à San Giovanni Battista dei Fiorentini, à Sant'Ignazio, à Santa Maria del Popolo, évidemment à Santa Maria della Vittoria... Une des signatures les plus réputées de son temps. Ici, il travaille avec son élève Filippo Breccioli. Le tympan de la façade sera complété en 1774 par Pietro Camporese.


Quant au curieux nom de Aquiro, il dérive bizarrement (mais à Rome, on n'est pas à ça près) de Cyrus, un noble donateur.


L'intérieur


Rome, Santa Maria in Aquiro : la nef

 

Dans les années 1860, la nef est complètement restaurée par Luca Carimini, et sans doute les modifications furent-elles d'importance. La décoration de Cesare Mariani la complète, alternant stucs et grandes peintures.


Rome, Santa Maria in Aquiro : voûte

 

On voit un balancement entre le goût du moment et le souvenir du baroque, mais on a perdu la liberté de ce mouvement. La voûte se divise en faux caissons, organisés autour de trois octogones. Anges, évangélistes, scènes de la vie de la Vierge, tout est ici signé Cesare Mariani.


Rome, Santa Maria in Aquiro : le transept

 

Comme une évocation du Panthéon, les voûtes du transept sont ornées d'une fine résille. Dorée, cette fois.

 

Rome, Santa Maria in Aquiro : la coupole

Sur le tambour élevé de la coupole alternent vraies et fausses fenêtres. Mais c'est visiblement la lanterne qui apporte le plus de luminosité.

Prophètes et Sibylles prennent leurs aises dans cette peinture de Mariani.

Rome, Santa Maria in Aquiro : bas-reliefs

Sans grand risque, je pense qu'il s'agit ici de néo-baroque comme nous avons du néo-gothique chez nous. Sans doute plus un esprit d'hommage que de copie. Les dorures du balcon n'ont rien de commun avec les bas-reliefs davantage saint-sulpiciens.

Rome, Santa Maria in Aquiro : Cesare Mariani, Saint Basile

 

Les piliers de la nef ne sont pas laissés vierges ; Basile le Grand, né à Césarée (Kayseri) dans l'actuelle Turquie, était un des grands intellectuels de son temps, expert en grammaire, rhétorique, littérature, grand théologien, homme pieux qui distribua son héritage aux pauvres. Docteur de l'église, il est honoré dans les religions catholique et orthodoxe, où maintes icônes le représentent. 

Hélas, il n'est guère commode à reconnaître, à la différence de son homonyme (le Saint Basile russe, le Bienheureux). Merci à Mariani qui a calligraphié son nom ! Le châle rayé ne m'aurait guère aidé.


Je n'ai pas inclus les autres peintures, des saints Jean Chrysostome, Grégoire et Ambroise.


Rome, Santa Maria in Aquiro : lunette avec la Visitation

 

Toujours de Mariani, une Visitation ensoleillée occupe toute la lunette au-dessus du choeur.


Le chœur 

Rome, Santa Maria in Aquiro : choeur
 

Le maître-autel fut refait en 1866, en même temps que la nef. Je trouve cette décoration en marbres polychromes assez sobre et réussie, pour une fois.

 

Rome, Santa Maria in Aquiro : maître-autel

La Vierge à l'Enfant avec Saint Etienne, autrefois donnée à Pietro Cavallini, est maintenant attribuée à un de ses élèves. Difficile à photographier mais peinture tout à fait charmante !

Ce n'est pas le cas lors de mon passage (voir la précédente photo d'ensemble) mais il y a quelques années (cette photo-ci) étaient disposés des bustes qui seraient des reliquaires. Je ne sais s'ils ont été volés, sont en restauration ou simplement à l'abri.


La chapelle de l'Annonciation


Rome, Santa Maria in Aquiro : Francesco Nappi, L'Annonciation

 

Certaines chapelles ne demandent pas une visite approfondie mais celle de l'Annonciation est intéressante à plus d'un titre. Outre le retable de l'autel, elle constitue un bel ensemble de peintures de Carlo Saraceni, un Vénitien qui accomplit la majeure partie de sa carrière à Rome ; il fit un tableau à quatre mains avec Borgianni, une Vierge à l'Enfant et Sainte Anne. Sa Judith montre combien il fut sensible aux leçons du Caravage.


L'Annonciation sur l'autel fut exécutée au tout début du XVIIe siècle par Francesco Nappi, peintre milanais qui laisse des oeuvres dans Santa Maria della Consolazione. Bien que l'artiste soit classé dans le courant maniériste, on voit ici davantage l'influence caravagesque dans un puissant clair-obscur. C'est une curieuse interprétation d'une scène presque immuable, puisque Nappi a ajouté un trio d'angelots en prière. Le panier au premier plan est moins rare ; l'objet blanc qu'il contient est peut-être un nécessaire de couture. La patristique a proposé l'image d'une Vierge couturière qui élabore un monde nouveau ; on voit parfois des exemples de Vierge à la quenouille qui procèdent de la même métaphore.


Rome, Santa Maria in Aquiro : voûte de Carlo Saraceni

 

A la voûte, Saraceni a peint des Allégories des Vertus et des Anges musiciens autour d'un Couronnement de la Vierge. Effet de multitude, lumière, nous sommes gratifiés des effets attendus.

 

Je rappelle que ce thème d'origine anglaise fut largement développé dans le gothique français avant de s'épanouir dans le baroque romain.


Rome, Santa Maria in Aquiro : Carlo Saraceni, La Naissance de la Vierge

 

Les peintures sur les parois furent réalisées à l'huile sur le mur, technique en vogue chez les peintres vénitiens mais malheureusement d'une conservation difficile. Saraceni utilise comme Nappi un fort clair-obscur et comme lui s'écarte de la tradition ; le bébé est bien dans les mains de la servante, cependant la composition se peuple d'une foule de personnages, avec un effet de masse renforcé par l'absence de perspective.


Rome, Santa Maria in Aquiro : Carlo Saraceni, La Présentation de Marie au temple


Sa Présentation de Marie au temple s'oppose par la lumière et conserve la composition étagée. Bien qu'au centre, on ne remarque pas immédiatement l'enfant. Les pilastres éclairés attirent l'œil en premier, qui dérive ensuite sur la haute coiffe du prêtre.


La chapelle de Saint Sébastien


Rome, Santa Maria in Aquiro : Anonyme, Saint Sébastien

La réfection de cette chapelle au XIXe siècle sur un projet de Raffaele Francisci n'est pas une grande réussite. L'autel supporte un Saint Sébastien un peu maladroit mais assez expressif, évidemment dans l'épisode incontournable de la sagittation. Il est donné pour un suiveur des Carrache, ce qui n'est pas non plus un grand honneur à leur faire !


La chapelle de la Passion


Rome, Santa Maria in Aquiro : chapelle de la Passion

 

Les principales merveilles de cette église sont rassemblées dans cette chapelle de la Passion. Pas les décorations de Gianbattista Speranza, mais les trois retables, présentés en fer à cheval comme les Caravage de la chapelle Contarelli de Saint Louis des Français.


Rome, Santa Maria in Aquiro : chapelle de la Passion

 

L'attribution de ces peintures est un mystère encore non résolu. On les certifiait comme trois retables de Gerrit van Honthorst, grand caravagesque flamand, auteur de splendeurs à Rome (un Concert à la Galleria Borghese, une Dérision du Christ à Santa Maria della Concezione, par exemple). Le plan affiché de l'église, certains guides du XXe siècle l'indiquent encore.

Aujourd'hui les spécialistes s'accordent sur une des trois et les deux autres font toujours l'objet de débats. Cela n'ôte rien à leur qualité. 


Rome, Santa Maria in Aquiro : chapelle de la Passion, Lamentation sur le Christ mort

 

Au-dessus de l'autel, la Lamentation semble aujourd'hui l'oeuvre de Mastro Jacomo, un caravagesque dont la Galleria Doria Pamphili conserve plusieurs tableaux.

Le clair-obscur y est magnifique, et la tension est vivement exprimée par la tête renversée du Christ. L'émotion des personnages autour du corps est variée, et culmine avec le geste de tendresse de Marie-Madeleine sur la main ; dans une tout autre composition, Borgianni proposait la même marque d'affection.


Rome, Santa Maria in Aquiro : chapelle de la Passion, La Flagellation

 

Tout aussi réussie, cette Flagellation est la seule où on retrouve unanimement le pinceau de Honthorst. Il utilise également l'obscurité comme élément dramatique, faisant émerger de l'ombre des bourreaux aux gestes violents. Les yeux clos, Jésus semble se pencher en arrière pour éviter les coups. Carnations et tissus sont également magnifiques.


Rome, Santa Maria in Aquiro : chapelle de la Passion, Le Couronnement d'épines


Troisième magnifique retable avec un Couronnement d'épines qui met superbement en valeur le vermillon de la cape du Christ. Encore un clair-obscur dramatique et spectaculaire. L'expression résignée du Christ s'oppose à nouveau à celle des bourreaux : l'assistant semble interroger le personnage en armure avant de poser une couronne qu'on distingue à peine. Le "soldat" tient la main en l'air pour lui donner le roseau en guise de sceptre, mais on croirait qu'il va frapper. Son expression goguenarde est haute en couleur !

Si certains conservent l'attribution à Honthorst, d'autres spécialistes penchent pour Trophime Bigot, un peintre arlésien qui vécut à Rome. Ce n'est pas impossible mais le catalogue de cet artiste est très incertain, et l'identification avec le "maître à la chandelle" est encore contestée. Je peux me risquer à avancer que sur quelques-uns de ses tableaux assurés, la lanterne est présente, comme dans l'Homme qui crie.


Quels que soient leurs auteurs, il s'agit d'un remarquable ensemble qui justifie bien une visite dans cette église sans touristes.

4 commentaires:

  1. I loved this church and the last incredible paintings ! As wonderful as Caravaggio's !
    Thanks for this amazing post.
    Annie

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    Réponses
    1. Thank you Annie ! I am very happy you loved it !
      Still a pleasure to read your kind feedbacks...

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  2. Je suis venu plusieurs fois à Rome et je n'ai JAMAIS entendu parler de cette église qui figurera sur mon programme prioritaire si j'ai le plaisir d'y retourner.
    Comment vous remercier pour tous les passionnants articles que vous avez écrits et le travail exceptionnel que vous faites ? C'est sans équivalent sur internet.
    Vous lire est un des grands plaisirs de ma vie !
    Voyagez, continuez à nous enchanter !
    Jeanne

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    Réponses
    1. Vous ne me voyez pas, Jeanne, mais je rougis derrière mon ordinateur. Je suis très touché par votre gentillesse et vos compliments, évidemment immérités. Comme je le répète toujours, je fais de mon mieux...
      Bonne lecture et encore un immense merci !

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