Paris : exposition Jérémie Jung, Art Nouveau étranger au Musée d'Orsay

Jérémie  Jung, Photographies d'Estonie

Une exposition de photographies complète l'exposition sur les peintres baltes. Le photographe Jérémie  Jung s'est immergé dans la culture spécifique de deux de ces régions pour en transmettre quelques beaux instantanés.

L'île de Kihnu est située dans le Golfe de Riga. Comme les hommes, marins pêcheurs, passent leur temps en mer, ce sont les femmes qui s’occupent des affaires intérieures et qui ont maintenu vivante la culture. Successivement dominés par les Danois, les Suédois, les Polonais, les Allemands, et enfin les Russes, les habitants de Kihnu ont toujours tenu à conserver leurs traditions (costume, langue, musique, religion). Aujourd’hui, comme tant d’autres dans le même cas, ils tentent de préserver leur authenticité tout en s’ouvrant à la modernité du continent. La richesse culturelle de l’île est inscrite au Patrimoine UNESCO.

Une photo pleine d'humour, le retour de la messe, qui montre la constante du costume typique.

Je n'ai jamais entendu parler du Royaume de Setomaa et je découvre donc que les Setos sont des finno-ougriens qui ont intégré des éléments slaves. Comme les Lapons, leur territoire est à cheval sur plusieurs pays : deux cents Setos vivent en Russie et quinze mille en Estonie, ce qui ne simplifie pas les regroupements et fêtes pour tout le peuple.

Ils sont protégés par une divinité mythique, le roi Peko, dieu de la Fertilité, et un vice-roi bien vivant qui est élu chaque année.

C'est visiblement une gageure de maintenir un patrimoine culturel avec une population aussi clairsemée et de tels obstacles, avec un climat rude et sans doute de grandes tentations pour les plus jeunes, mais les belles images de  Jérémie Jung donnent envie d'en savoir davantage.

L'Art Nouveau étranger

Scandinavie, Europe du Nord, Europe centrale

Albert Edelfet, Journée de décembre

L'Art Nouveau eut pour objectif premier de repenser le cadre de la vie quotidienne. De nombreux peintres y contribuèrent, élargissant leur champ de compétences. Par exemple, l'extraordinaire Kolo Moser, peintre autrichien surdoué, se lança dans la création de vaisselle, d'objets du quotidien.
A ce moment où on revalorisait (ou reconstruisait) l'identité nationale, les traditions du passé, l'art folklorique, les motifs liés à l'histoire nationale (vrais ou réinventés) furent incorporés à la création artistique.

En Norvège, le style néo-viking s'imposa ; en terre tchèque, toute jeune nation (alors dirigée par le formidable Masaryk), on recréa les mythes fondateurs ; en Russie, on instilla des motifs traditionnels ; dans les pays germaniques, le Jugendstil donna lieu à une incroyable activité créatrice, structurée en plusieurs réunions d'ateliers.

Elena Polenova, Chaise - Lars Kinsarvik, Fauteuil

Me voici encore en complète continuité avec l'exposition Âmes Sauvages, qui montrait la naissance de ce passé national ; en Norvège, c'est la même chose. Toute la fin du XIXe siècle est marquée par la redécouverte (ou l'invention, ça dépend du point de vue) de cette culture identitaire, ce qui vaut à la référence viking d'inonder toutes les formes artistiques. Ce fauteuil devient le support de l'imagination de l'ébéniste Lars Kinsarvik, qui transforme les structures droites en mâts sculptés et les formes plates en bas-reliefs.

C'est intéressant de voir comme l'art nouveau se joue des frontières ; partout les mêmes variations sur la ligne. La chaise (qui a droit à une galerie à elle toute seule, dans le passionnant Musée des Arts appliqués à Vienne) est un objet emblématique de ces mouvements.

Heinrich Vogeler, Spaziergang

Vogeler, illustrateur allemand mort au Kazakhstan, a conçu une étonnante tapisserie nommée Promenade. Sur fond de mer paisible où un bateau étend ses voiles, trois personnages avec de discrets symboles médiévaux (couvre-chef, cape d'hermine) passent silencieusement. Le cadre intérieur donne l'impression de regarder la scène depuis une fenêtre.

Stephan Sinding, Banquette

Sculpteur honoré de grandes commandes nationales, Sinding se risqua aussi dans les arts appliqués ; c'est pour lui-même qu'il conçut cette banquette dont le haut dossier devient un bas-relief. Un cavalier y est assailli par des jeunes filles. Dans cette thématique médiévale, on a vu notamment des références wagnériennes (Parsifal ou Siegfried).

Karel Vitězslav Mašek, Libuse

Smetana, le compositeur de La Fiancée Vendue, a consacré un magnifique opéra à cette prophétesse légendaire, fondatrice du peuple tchèque et de la ville de Prague. Mašek la montre immense (par rapport au fleuve derrière elle), en fort contraste sur le fond nocturne. Le tableau se rattache au symbolisme ; on y a vu des liens avec les œuvres d'Osbert ou de Mucha. Et pourquoi pas Gustave Moreau ?

Jan Kastner, Chaise

Jan Kastner était directeur du département du bois au sein de l’École supérieure des Arts décoratifs de Prague. Il a imaginé ce siège inventif, aux formes rustiques rehaussées d'éléments très marqués Art nouveau ; la tête évoque certaines toiles de Klimt et les motifs végétaux se retrouvent alors partout en Europe.

Ede Wigand, Mobilier

Architecte, écrivain, le Hongrois Wigand était aussi un designer à l'imagination féconde. Comme Kinsarvik, il voit dans le mobilier la possibilité de sculptures racontant le passé.

Marie de Saxe-Cobourg-Gotha, Armoire

Ce n'est pas tous les jours qu'on voit un meuble dessiné par une reine. Cette petite-fille de Victoria (celle de Grande-Bretagne) et du tsar Alexandre II épousa le prince Ferdinand et devint reine de Roumanie. Grande patriote envers son pays d'adoption, elle s'engagea à la Croix Rouge comme infirmière volontaire,  écrivit un livre, Mon pays, pour apporter des fonds à sa nouvelle terre, et le représenta à la signature du Traité de Versailles. Elle avait reçu aussi une éducation artistique, fait indéniable ici ; massive, imposante, mais aussi novatrice par l'utilisation du métal martelé et l'insertion, plutôt mesurée, de motifs géométriques.

Henriette Grandjean (Ecole d'art de La Chaux-de-Fonds), Banquette-coffre

Sans doute très inconfortable, un meuble assez élégant avec une décoration végétale en frise.

Pièces de la Manufacture Royale de Copenhague

La Manufacture Royale de Copenhague, comme la plupart de ces institutions nationales, ne rata pas l'étape Art Nouveau. Je pense même que la porcelaine en Occident est une des formes d'expression à avoir le plus été impactée par ce mouvement.

Johan Axel Gustav Acke, Miroir de l'eau

Il s'agit d'un tableau et de son cadre extravagant (que j'ai regardé en premier !). Très difficile à prendre en photo, compte tenu du peu de recul et du reflet.

Conçue tout d'abord comme un vrai tableau, cette toile fut transformée par l'artiste, un an après, en écran à poser. Sculpture et peinture se répondent et célèbrent l'être humain comme un élément de la nature, avec ses oiseaux et ses branches. L'archipel de Stockholm était alors un lieu fécond d'inspiration naturaliste ou symbolistes pour nombre d'artistes (Carl Larsson, Andreas Zorn, Bruno Liljefors...)

Manufacture Arabia, Vases en faïence

Vers 1902, en Finlande, la Manufacture Arabia retient surtout les motifs géométriques pour sa nouvelle ligne Feenia aux couleurs joyeuses.

Hugh Baillie Scott, Fauteuils

Membre éminent du groupe Arts & Crafts, animé par William Morris, cet ancien agriculteur devint architecte et créateur de meubles. Il vécut notamment sur l'Île de Man où on peut voir plusieurs des maisons qu'il conçut.

A l'arrière, Väinö Alfred Blomstedt, Tapisserie

Le Finlandais Blomstedt, qui vécut à Paris, était un de ces artistes touche-à-tout comme l'Art Nouveau en suscita : peintre, illustrateur, graphiste et artiste textile. L'art japonais l'influença autant que les motifs traditionnels. Je ne sors pas de ces thématiques depuis le néoprimitivisme russe de la Nouvelle Galerie Tretyakov !

Boleslas Biegas, La nostalgie du pauvre

Œuvre d'un sculpteur polonais qui vécut une large partie de sa vie à Paris, cette fascinante statue en plâtre dégage une incroyable expressivité.

Gustav Wentzel, Enterrement d'un marin à la campagne en Norvège

Le rapport avec l'Art Nouveau me semble bien lointain, il s'agit de toute évidence d'une œuvre réaliste placée là faute de mieux. La toile est intéressante en ce qu'elle documente un événement rare en insistant sur sa solennité. Les drapeaux déployés ne manquent pas l'hommage national. Malgré les fourrures, ces personnages officiels me paraissent bien peu vêtus...

Edvard Munch, Nuit d'été à Aasgaardstrand

Tout aussi inattendu ici que celle du MNAC de Barcelona, voici une peinture par Munch d'un village qu'il peignit souvent. On retrouve ses qualités, éléments qui structurent fortement la composition (bâtisse, arbre, mur) et spatialisent la toile, couleurs franches contrastées (tonalités froides et chaudes) qui la dynamisent. Cette toile de 1904 fut présentée à Paris, au Salon des Indépendants.

Bruno Paul, Fauteuil

Forme accueillante pour ce siège ; Bruno Paul, artiste protéiforme, participa au développement de l'Art Nouveau à Berlin.

Georg Achen, Intérieur

Classique tableau "près de la fenêtre", thème généralement accolé à de jeunes filles rêveuses depuis l'essor du romantisme. Ce tableau fut directement acheté à l'artiste par l’État dès qu'il fut exposé.

August Endell et Wenzel Til, Guéridon

En 1898 furent créés à Munich les Vereinigte Werkstätten für Kunst im Handwerk, la Réunion des Ateliers d'art dans l'artisanat. Cette structure révolutionnaire proposait de faciliter la création et la production, et obtint très vite des succès magistraux. De cinquante ouvriers à la création, on passa à six cents en moins de dix ans et des répliques de cet atelier furent créées à Hambourg, Brème et Berlin. Parmi ses membres, Peter Behrens, Bernhard Pankok, Bruno Paul, Richard Riemerschmid, signataires du Deutscher Werkbund, un pacte d'alliance entre artistes et industriels en vue de moderniser la production.

Arnold Böcklin, Méduse

Peu d’œuvres de ce grand peintre allemand en France. Il faut aller à Berlin ! Mais celle-ci en papier mâché est saisissante.

Peter Behrens, Mobilier

Behrens réalisa ces meubles pour sa propre salle à manger, à Darmstadt. Le bois est du peuplier, ce qui me semble plutôt rare pour du mobilier.

Frits Thaulow, Hiver en Norvège

Beau rendu de la neige ! Evocation d'une époque où le ski est surtout un moyen de déplacement. Ce tableau fut présenté à l'Exposition Universelle de 1889.

Karl Koepping, deux verres

Etats-Unis, Grande-Bretagne, Autriche

Ernst Riegel, Coupe sur pied

Aux Etats-Unis, malgré la persistance des modèles historiques fréquents dans ces jeunes nations où on entretient la mémoire et les modèles du passé des immigrés, de nouvelles figures s'emparent de la création. Tiffany crée des vitraux, des bijoux, des lampes qui le rendront célèbres, mais aussi des vases.

Les architectes Frank Lloyd Wright, à l'origine de la maison d'architecte moderne, ou Louis Henry Sullivan, un des pères du gratte-ciel, n'hésitent pas à s'illustrer aussi dans les arts décoratifs.

Louis-Comfort Tiffany, Vases en verre soufflé (favrile glass)

Diverses réalisations de Frank Lloyd Wright

Louis Henry Sullivan (Winslow Brothers Company), Fragment de la décoration peinte de la Trading room du Stock Exchange de Chicago

Louis Henry Sullivan, George Grant Elmslie, Kristian Schneider,
Section d'un chapiteau octogonal de la salle des cotations
de la Bourse de Chicago

Louis Henry Sullivan, George Grant Elmslie, Kristian Schneider,
Face d'un chapiteau octogonal de la salle des cotations
de la Bourse de Chicago

En Grande-Bretagne, la révolution lancée par Arts & Crafts et  William Morris continue son chemin. Il prône l'étude de l'art gothique pour en dégager un art rationnel, aux nombreux motifs végétaux, mais aussi en rendant visibles des structures épurées.

Charles-Francis-Annesley Voysey, Tenture éditée par Liberty

Le style Liberty illustre clairement cette tendance.

Charles Rennie Mackintosh, Mobilier de chambre à coucher d'une chambre d'hôte de Hous'hill à Nitshill (Glasgow)

Architecte créatif, l'Ecossais Charles Rennie Macintosh commence aussi avec Arts & Crafts, et évolue avec ce mobilier, souvent caractérisé par l'élévation qui constitue sa marque de fabrique.

Charles Rennie Mackintosh, Mobilier de chambre à coucher d'une chambre d'hôtes de Hous'hill à Nitshill (Glasgow)

La pureté des lignes, la simplicité de la décoration, l'emploi de la ligne plus que de la courbe donnent une incroyable modernité à ses réalisations. Je suis sûr qu'Ikea lui est redevable ! (Beaucoup au Bauhaus allemand aussi).

Charles Rennie Mackintosh, Mobilier de chambre à coucher d'une chambre d'hôte de Hous'hill à Nitshill (Glasgow)

Arthur Heygate Macmurdo, Chaise

A Vienne, en 1903, Josef Hoffmann et Koloman Moser créent  des ateliers, les Wiener Werkstätte, à l'instar des Vereinigte Werkstätten. Ce foyer de création bouillonnante, à l'origine du style Secession, va produire absolument de tout. J'ai vu il y a des années une série passionnante d'expositions au Belvedere, à Vienne, qui montrait la richesse et la variété de cette production.

Formes orthogonales, structures rectilignes qui cloisonnent l'espace se retrouvent dans tous les arts, graphiques comme appliqués. Les architectes Adolf Loos et Otto Wagner participent également à cette création.

Otto Wagner, Armoire

Koloman Moser, Corbeille

Je ne connaissais pas Kolo (c'est ainsi qu'il signait) Moser avant ma première visite au Leopold, cet extraordinaire musée viennois, où je m'étais rendu pour... les peintures d'Egon Schiele. J'y ai découvert tout un monde inconnu de l'école viennoise, Lovis Corinth, Albin Egger Lienz, Emil Joakob Schindler... Moser est fascinant dans sa capacité à s'illustrer dans les domaines les plus divers. Ses objets restent actuels.

Un fauteuil d'Otto Wagner sous le tableau de Leopold Blauensteiner, Chute d'eau sur la Pielach

Adolf Loos, Mobilier de l'appartement Turnowsky

Détail de la cloison : une estampe de Heinrich Vogeler

Leopold Bauer, Tapis

Joszef Rippl-Ronai, Dans le jardin des Somssich

Rippl-Ronai, c'est un Hongrois proche des Nabis et des peintres de Pont-Aven. Malgré son talent et le fait qu'il ait vécu une large partie de sa vie en France, il demeure bien méconnu.

Dans une vitrine de Karl Witzmann, des objets de Josef Hofmann pour le Wiener Werkstätte

Kolo Moser, Services de verres

Bon, j'ai eu beaucoup de plaisir à me replonger dans cette période créative, mais je préfère ressortir pour profiter un peu du soleil parisien.

Petite promenade

Créativité métallique à l'avant d'un bâtiment officiel.

Une pause à la maison Pradier, pas l'adresse de Franklin-Roosevelt où je vais le plus souvent, mais à Saint Michel. Salade de quinoa et opéra avant ma soirée.

Je traverse au Pont au Change, avec sa vue réjouissante sur le Palais de la Cité. La Conciergerie est juste à ma gauche.

Je poursuis par le Faubourg Saint-Honoré et ses galeries d'art.

La Chambre de Commerce et d'Industrie, en travaux, semble un chapiteau de cirque.

Palais Royal

J'atteins le Palais Royal, lui aussi transformé par ses colonnes relookées.

Et, comme l'an dernier, je peux profiter des bijoux de la roseraie.