La Galerie Tretyakov (ou Tretiakov), c'est un peu la Chapelle Sixtine des icônes. Cette fois, je visite les salles à fond ! Que de merveilles...
L'icône (du grec eikon, image), désigne une représentation religieuse pour panneau de bois. Pendant une longue période, l'art religieux fut le seul domaine d'expression et les commandes des artistes concernaient uniquement la Vierge à l'enfant et les portraits de saints. La dévotion et le culte ont également souvent assuré une meilleure conservation de ces témoignages artistiques ; dans un autre domaine, beaucoup de temples antiques nous sont parvenus parce qu'ils ont été transformés en églises.
La Galerie Tretyakov, c'est sans doute la plus prestigieuse collection au monde, qui aligne tous les grands noms : Théophane le Grec, Dionysius, Andreï Roublev, à côté d’œuvres anonymes souvent exceptionnelles.
J'avais visité ces salles la première fois que j'étais venu ici, mais mon but était alors de visiter la totalité du musée. Cette fois, je parcours moins de salles, mais je m'attarde davantage.
Fresque de Saint Nicolas, Kiev, vers 1110 |
Les écoles de Novgorod, Pskov, Tver
Icônes de Novgorod
Icône de Saint Nicolas, Novgorod, fin du XIIe siècle |
Au XIIe siècle, les hordes mongoles dévastent une large partie de la Rus', l'ancienne Russie. Novgorod est épargnée et jouit d'un prestige certain ; Kiev a perdu son statut, Moscou n'est pas encore dotée du sien, et la domination de Vladimir dure peu. Novgorod s'intègre dans le réseau commercial des villes hanséatiques qui bordent la Baltique et tire ses revenus du commerce, notamment de la cire et des fourrures. Les marchands étrangers y prospèrent et les Allemands s'y installent.
C'est dans ce contexte prospère que l'école de Novgorod assoit son influence. Simplicité de la représentation, force du trait, rôle des modèles archaïques s'affirment, ce qui n'interdit pas un original travail du cadre.
Icône de la Dormition, Novgorod, fin du XIIe siècle |
La Dormition désigne la mort d'un saint, et ce terme s'applique particulièrement à la mort de Marie, scène fréquemment représentée. Cette icône complexe multiplie les attitudes : un personnage se penche vers Marie, suivi par d'autres sur la droite. Certains manifestent leur chagrin, voire le partagent (à droite, deux personnages s'inclinent l'un vers l'autre). L'un d'eux montre de la perplexité, main au menton.
A l'arrière, un Christ porte un personnage plus petit, emmailloté. Je suppose qu'il s'agit déjà du corps de sa mère. Est-ce pour le conduire au ciel ?
La partie supérieure est tout aussi étonnante ; pas pour les anges qui volettent dans les cieux, mais pour cette ouverture en demi-cercle, vers un firmament étoilé, comme si le fond doré réservait la surprise d'un au-delà. L'effet de relief avec l'ange devant et l'autre derrière est vraiment réussi. Par ailleurs, il me semble bien y voir le même petit personnage enveloppé de bandelettes, et j'y vois une confirmation de mon hypothèse ; la Vierge est bien conduite au ciel, l'équivalent donc de l'Assomption des catholiques.
La Déisis de Vladimir-Souzdal, début du XIIIe siècle |
La Déisis de Vladimir-Souzdal (détail), début du XIIIe siècle |
Le peintre de celle de Vladimir-Souzdal est resté anonyme, et c'est bien dommage car quel artiste ! Il représente trois personnages expressifs, une Vierge qui respecte le canon tout en offrant une expression très douce.
La Déisis de Vladimir-Souzdal (détail), début du XIIIe siècle |
Le Saint Jean Baptiste frappe par sa gravité.
Le Christ Emmanuel avec deux archanges , Vladimir-Souzdal, fin du XIIe siècle |
Le terme Christ Emmanuel est utilisé pour les représentations de Jésus adolescent.
Icônes de Pskov
Icône de Notre Dame de la Tendresse, Pskov, XVe siècle |
La puissante ville de Pskov fait également partie du réseau hanséatique et se détache progressivement de la tutelle de Novgorod. Son école de peinture suit la même voie, en évoluant vers un style propre où les modèles byzantins sont revus avec des tendances novatrices. Les surfaces uniformes (on parlerait d'aplats dans la peinture occidentale) sont une de ces caractéristiques.
Icône de Saint Nicolas, Pskov, XIVe siècle |
Le fond doré est un symbole du ciel et dominera l'art de l'icône jusqu'à nos jours.
Icône de l'assemblée de la Vierge, Pskov, XIVe -XVe siècle |
La Vierge entourée de l'assemblée de saints est un thème courant. Cette icône ne l'est pourtant guère, avec son choix de couleurs audacieuses, basées sur les complémentaires rouge et vert. Le résultat ne me semble guère séduisant mais je ne peux nier l'originalité ni l'expressivité.
Icônes de Tver
Les portes royales (Saint Jean Chrysostome et Saint Basile le Grand), Tver, XIVe -XVe siècle |
Tver est située sur la route de Moscou à Novgorod et c'est au XIIIe siècle qu'elle acquiert son prestige ; c'est alors une principauté où siège un évêché. Au XVe siècle, elle passe sous la coupe de Moscou mais son école de peinture a eu le temps de s'affirmer et elle continuera à produire des icônes qui déclinent souvent les nuances d'une même couleur de base, comme ici avec les variantes de rouge.
Icône de la Crucifixion, Tver, XIVe siècle |
Icône de la Dormition, Tver, XVe siècle |
Cette icône de la Dormition reprend des éléments communs à la précédente de Novgorod (le Christ portant un personnage réduit) et l'inscrit dans un décor plus concret.
Icône de la Vierge du Signe, Tver, XVe siècle |
La Vierge du Signe est un des types d'icône les plus vénérés en Russie. Ce motif s'inscrit dans la tradition de la Vierge orante, qui lève les bras en prière. Sa poitrine porte un médaillon avec l'enfant Jésus. On la nomme parfois Vierge de l'Incarnation.
Icône de la Nativité, Tver, XVe siècle |
Le sens de la narration est également un des signes distinctifs de l'école de Tver. Le panneau se divise en plusieurs petites scènes (telles que les anges, les rois mages, le bain), unies par l'étroitesse d'une palette élégante.
Icône de l'Ascension, Tver, XVe siècle |
Cette icône frappe par sa grande qualité picturale et le soin à individualiser les personnages par des attitudes variées, tout en respectant la rigueur de la composition.
Icône de Saint Nicolas, Vologda, XIVe -XVe siècle |
A quatre cents kilomètres de Moscou, la ville de Vologda s’enorgueillissait d'une fameuse église Sainte Sophie. Le monastère avait été fondé par un moine venu de Kiev, Gerassime. Ultérieurement, la ville jouerait un rôle défensif sur la route d'Arkhangelsk et Ivan le Terrible la protégerait d'un kremlin. Aujourd'hui elle demeure un centre religieux important qui a conservé de splendides édifices historiques.
Icône de Saint Nicolas (détail), Vologda, XIVe -XVe siècle |
Cette icône présente un des saints les plus honorés de la religion orthodoxe ; le modèle du portrait du saint entouré de scènes de sa vie est déjà un classique. La scène d'exorcisme, à droite, me fait penser à ces portraits de Jésuites avec les "bons sauvages" vêtus de pagnes !
Icônes des Balkans
Icône de la Descente aux Enfers, Balkans, XIIIe-XIVe siècle |
A partir du centre byzantin, parallèlement à la Rus' de Kiev, l'icône se diffusa également dans les Carpates et les Balkans. Les religions y étaient multiples, parfois empreintes de paganisme, parfois catholiques, mais la religion orthodoxe s'établit solidement et généra des courants de peinture notables.
La Descente aux Enfers est étroitement associée, dans la religion orthodoxe, à la Résurrection, ce qui assura à ce thème un grand succès. C'est l'évangile apocryphe (c'est à dire considéré comme non authentique, ne faisant pas partie du quatuor officiel Mathieu, Marc, Luc et Jean) de Nicodème qui fournit la trame narrative : le Christ brise les portes des Enfers et tend la main aux défunts, généralement Adam et Ève. Ici l'opération est suivie de près par un couple royal, sans doute commanditaire de l'icône, qui trône sur de curieux tabourets.
Icône des saints Pierre et Paul, Balkans, XVIe siècle |
Registre d'icônes, Le Christ Pantocrator entouré de la Vierge et de Saint Jean, Balkans, XIVe siècle |
Le registre d'icônes (le tchin en russe) est un peu l'équivalent de nos polyptyques : un ensemble, généralement horizontal, destiné à l'iconostase. Ici c'est un Christ sévère, au visage farouche, qui est entouré de la Vierge et de Saint Jean alors que ces derniers montrent du chagrin.
Théophane le Grec
Att. Théophane le Grec, Icône de Notre Dame du Don, Moscou, 1390 |
Théophane le Grec est une des premières stars de l'histoire de l'icône. Sa biographie est pleine de béances, mais on sait que ce peintre byzantin rencontra le succès en Théodosie, l'actuelle Crimée, ce qui lui valut d'être invité à Novgorod, puis à Moscou. Ce fut un artiste aux larges talents, auteur de fresques dans une quarantaine d'églises (aucune n'est conservée), enlumineur, peintre d'icônes. Il révolutionna cet art en y apportant nombre de touches personnelles.
Cercle de Théophane le Grec, Icône de la Dormition, Moscou, 1390 |
Alors que la perspective européenne se dirige vers un point de fuite, l'icône préfère l'inverser : ses lignes convergent vers l'avant de l'icône, ici le lit de la Vierge.
Théophane le Grec, Icône de la Transfiguration, Moscou, début XVe siècle |
La Transfiguration est une scène tirée des évangiles, dans laquelle Jésus amène Pierre, Jacques et Jean sur une montagne. Il est soudain métamorphosé (c'est le mot grec traduit par le latin transfiguration) : ses vêtements blanchissent, son visage s'illumine, et il est encadré par Moïse et Elie, deux prophètes de l'Ancien Testament. La nuée lumineuse gagne bientôt les témoins. La scène a été souvent illustrée, car elle lie étroitement Jésus, personnage du Nouveau Testament, à ceux de l'Ancien, et elle permet à l'église d'en établir le statut surnaturel.
Cette fameuse icône prouve la connaissance du texte évangélique par Théophane, qui en respecte à la lettre tous les détails. Mais le peintre se détache du canon en illustrant la narration avec un grand dynamisme, et en ajoutant ses fameuses touches de blanc un peu partout, y compris dans le décor, pour créer relief et puissance. Jésus est rayonnant comme jamais, grâce à l'utilisation habile du blanc et d'une fiche couche de bleu grisé sur la surface dorée, qui ressort par endroit, et qui acquiert ainsi une grande force plastique.
L'école de Moscou
Icône de Saint Jean Baptiste, Ange du désert, Moscou, XIVe -XVe siècle |
Alexandre Nevski, prince de Novgorod, a gagné son prestige par l'alliance avec les Mongols de la Horde d'Or puis par sa victoire sur les Suédois. Plus tard, il est parvenu à repousser les assauts des chevaliers teutoniques.
Son fils cadet, Daniel, est nommé à la tête d'une petite principauté sur la Moskova. Peu à peu celle-ci gagne en puissance commerciale, politique et militaire. Le pouvoir religieux y est transféré depuis la principauté de Vladimir. Bientôt la victoire du grand-prince Dimitri Donskoy permet de se dégager de la domination des Tatars.
Ce processus qui conduit à l'établissement d'une nouvelle capitale s'accompagne évidemment d'une assis religieuse. On construit des églises partout, et bien entendu dans le Kremlin. L'art de l'icône se dote d'une école qui attire tous les grands noms.
Icône des saints Boris et Gleb, Moscou, XIVe siècle |
Boris et Gleb sont deux figures historiques, des princes de Kiev du Xe siècle assassinés par leur cousin. C'est sans opposer de résistance qu'ils ont accepté la mort et leur héroïsme leur vaut d'être considérés comme des martyrs, sans doute pour des raisons autant politiques que religieuses. Très populaires dans le monde orthodoxe, ils ont également droit aux honneurs catholiques depuis leur canonisation au XVIIIe siècle.
Cette imposante icône reprend le principe du portrait encadré de scènes. On voit tout de suite la grande qualité picturale, ne serait-ce qu'à la délicatesse du modelé des visages.
Icône des saints Boris et Gleb (détail), Moscou, XIVe siècle |
Icône de la Descente aux Enfers, Moscou, XIVe siècle |
Une icône complexe où on retrouve les éléments canoniques, le Christ debout sur la porte des Enfers qui tend les mains. La construction très rigoureuse est dynamisée par la palette vibrante.
Icône de la Descente aux Enfers (détail), Moscou, XIVe siècle |
Un diable pittoresque (à moins que ce ne soit Hadès ?) a été écrasé sous le choc.
Icône de l'Hexameron, Moscou, milieu du XVIe siècle |
Le terme grec hexameron, les six jours, désignait traditionnellement la période de la création. Ici il s'agit de six moments de la vie de Jésus, révérés par l'assemblée en robe blanche.
Icône des saints Vladimir, Boris et Gleb, Moscou, XVIe siècle |
Boris et Gleb sont devenus un trio avec l'ajout de Vladimir, un prince de Kiev à l'époque de la Rus'.
Icône des saints Vladimir, Boris et Gleb (détail), Moscou, XVIe siècle |
Le peintre réussit à créer la vie dans son œuvre, bien qu'il respecte scrupuleusement la palette imposée, ocre, rouge et vert. Le trait n'est pas moins brillant.
L'Eucharistie / La Nativité, Moscou, XVe siècle |
Deux peintures dissemblables dont la provenance n'est pas spécifiée, et leur association est sans doute une idée du musée. L'Eucharistie est magnifiquement peinte, avec beaucoup de plasticité et une fine utilisation d'une palette limitée mais lumineuse. La Nativité reprend le principe de la Vierge au milieu, en connexion avec les scènes qui l'entourent.
La Déisis de Visotski
Construit à Serpoukhov, une ancienne ville à une centaine de kilomètres de Moscou, le monastère de Visotski fut consacré par Serge de Radonezh, le saint patron de la Russie. Ce prestigieux établissement commandé une deesis à sept personnages. Six sont présentés ici, il manque donc le saint Jean Baptiste. Il existe bien, j'en ai vu des photos, peut-être est-il en restauration.
Registre d'icônes, la Déisis de Visotski, Constantinople, 1387-1395 |
Précisons. C'est en 1387 que le supérieur du monastère, Athanase le vieux, voyage à Constantinople pour commander cette déisis. Il va donc chercher l'art byzantin à ses sources.
L'œuvre reçue est remarquable : puissance d'une peinture qui frappe par ses masses colorées, qualité des visages, unité de l'ensemble.
C'est encore un Christ hiératique, au visage fermé, qui est présenté. Cependant les archanges montrent une douceur presque féminine et leurs vêtements présentent des effets de moiré novateurs. L'archange Gabriel est particulièrement réputé.
L'Apôtre Pierre, Déisis de Visotski, Constantinople, 1387-1395 |
L'archange Saint Michel, Déisis de Visotski, Constantinople, 1387-1395 |
La Vierge, Déisis de Visotski, Constantinople, 1387-1395 |
Le Christ Pantocrator, Déisis de Visotski, Constantinople, 1387-1395 |
L'archange Saint Gabriel, Déisis de Visotski, Constantinople, 1387-1395 |
L'Apôtre Paul , Déisis de Visotski, Constantinople, 1387-1395 |
Dionysius
Dionysius, Icône de Notre Dame Hodegetria, 1482 |
A la fin du XVe siècle, se détache la figure de Dionysius, un artiste qui peint avec ses fils Théodose et Vladimir. Très vite il gagne en renommée et reçoit des commandes prestigieuses : des icônes pour la cathédrale de la Dormition au Kremlin, des fresques pour le monastère de Ferapontov. A son époque, il est un des deux artistes les plus réputés.
Il conserve des éléments de l'art byzantin traditionnel ; ses personnages semblent silencieux et immobiles, d'imposantes figures comme cette fameuse Notre Dame Hodegetria aux yeux vides. Je trouve que l'absence de pupille la rapproche de la Vierge du Signe de Tver que j'ai montrée précédemment.
Dionysius, Icône de la Crucifixion, 1500 |
Il représente souvent des personnages disproportionnés, au corps délibérément étiré dans une recherche d'expressivité. Les Étrusques et Giacometti s'y seraient reconnus.
Cercle de Dionysius, Icône "O tebe raduestsia ", début du XVIe siècle |
Dionysius déploie un talent indéniable pour le paysage, et ici le fastueux monastère à coupoles s'accompagne d'un délicieux décor naturel ponctué de végétaux graphiques. Je ne peux m'empêcher de rapprocher de l'art occidental où Brueghel, Dürer ou Léonard de Vinci manifestent le même intérêt.
Cercle de Dionysius, Icône de Saint Jean à Patmos, Moscou, XVIe siècle |
Le thème de Jean exilé par Domitien sur l'île de Patmos où il rédige l'Apocalypse fut souvent illustré dans l'histoire de l'art (Velazquez a peint une superbe version, exposée à la National Gallery de Londres). Cette icône reprend le principe des scènes multiples entourant l'image principale, avec deux personnages cette fois.
Cercle de Dionysius, Icône de Saint Jean à Patmos (détail), Moscou, XVIe siècle |
Si la monumentalité du personnage demeure, cette fois le mouvement plein de vivacité tranche avec l'immobilité précédente. Le camaïeu de verts révèle une recherche d'harmonie.
Dionysius, Icône de Saint Alexis le Métropolite, début du XVIe siècle |
Alexis fut un métropolite, une sorte d'archevêque, au XIVe siècle. Il connut Saint Serge et c'est lui qui, ultérieurement, transféra le pouvoir religieux à Moscou. Il fut sanctifié dès le XVe siècle.
Dionysius, Icône de Saint Alexis le Métropolite (détail), début du XVIe siècle |
Sans vraiment s'écarter du cadre traditionnel, Dionysius impose sa délicate déclinaison de nuances colorées.
Dionysius, Icône de Saint Alexis le Métropolite (détail), début du XVIe siècle |
On retrouve le monastère à tuiles vertes. Cette scène-là devrait logiquement représenter sa fondation.
Dionysius, Icône de Saint Alexis le Métropolite (détail), début du XVIe siècle |
Audience à la cour.
Alexis semble cette fois vêtu d'une robe de moine. Il se peut que cette scène dépeigne la rencontre avec Dimitri Donskoï. Pure spéculation, bien sûr, je n'ai absolument trouvé aucun commentaire sur ces icônes.
Dionysius, Icône de Saint Alexis le Métropolite (détail), début du XVIe siècle |
Il me semble retrouver le lieu présenté précédemment. Cette fois, le saint a pris un coup de vieux.
Dyonisius et ses fils, Déisis , 1500-1502 |
Cette grande Déisis est extrêmement semblable à celle de Roublev, exposée un peu plus loin dans la galerie. Les personnages sont presque identiques et le Christ central trône sur la même succession de formes et de couleurs.
Dyonisius et ses fils, Déisis (détail : l'Apôtre Pierre, Saint Michel, La Vierge), 1500-1502 |
Dyonisius et ses fils, Déisis (détail : le Christ Sauveur), 1500-1502 |
Dyonisius et ses fils, Déisis (détail : Saint Jean Baptiste, l'Apôtre Paul, Saint Demetrius), 1500-1502 |
Andreï Roublev
La grande star de l'icône, c'est lui, un de ceux qui révolutionne vraiment l'art et s'impose comme un grand maître aux yeux de ses contemporains. On sait peu de choses sur lui ; il fut moine à la Laure de Saint Serge, un de ces religieux peintres comme nous en connaissons dans l'art occidental, Fra Angelico, Fra Filippo Lippi...Il fut élève de Théophane le Grec, peut-être de Dionysius. Il peignit des fresques à la Laure de Saint Serge, à la Cathédrale de la Dormition de Vladimir, quelques icônes. Ses témoignages ont rarement été conservés et sont presque tous présentés ici. D'ailleurs, Moscou possède un musée Andreï Roublev qui, malgré son nom, n'expose aucune oeuvre de lui !
Andreï Roublev, Icône de la Trinité, 1420 |
Son icône la plus célèbre est celle de la Trinité, généreusement diffusée à travers de multiples copies. Le thème de l'hospitalité d'Abraham au pied du chêne de Mambré est un classique de l'art byzantin, mais Roublev choisit d'éliminer Abraham et Sarah pour ne conserver que les trois anges, recentrant ainsi le sujet sur la Trinité. Les personnages s'inscrivent dans un cercle, la figure géométrique parfaite. Chacun des anges montre une ineffable douceur dans la physionomie. Et cette icône permet d'admirer le bleu insolent, éclatant, qui rendit son auteur si célèbre.
Andreï Roublev, Icône de la Trinité (détail), 1420 |
La peinture se fait synthétique pour explorer les plis des vêtements, dans une recherche intermédiaire entre simplification et réalisme.
Andreï Roublev et Daniil Tcherny, Registre d'icônes, la Déisis , 1408 |
Voici donc cette Déisis qui ressemble beaucoup à celle de la famille Dionysius. Outre les points que j'ai relevés ci-dessus, les couleurs sont ici plus vives, les vêtements davantage détaillés ; quelle robe somptueuse arborent les deux archanges !
Andreï Roublev et Daniil Tcherny, Saint Jean Baptiste et l'archange Saint Gabriel (Déisis ), 1408 |
Le Saint Jean est représenté traditionnellement, avec la peau de mouton et une modeste cape qui ne couvre même pas les jambes. Il présente un phylactère qui commande de se repentir en attendant le Jugement Dernier. Les spécialistes se disputent l'attribution de cette icône ; la main de Daniil Tchorny, son assistant à la Cathédrale de la Dormition, serait identifiable.
Andreï Roublev et Daniil Tcherny, l'archange Saint Michel et la Vierge (Déisis ), 1408 |
Andreï Roublev et Daniil Tcherny, le Christ en majesté (Déisis ), 1408 |
On peut jouer au jeu des ressemblances avec ce Christ-là, qu'on croit vraiment avoir déjà vu. A la Galerie Tretyakov, on peut courir d'une salle à l'autre ! Finalement, après moultes comparaisons, il me semble que celui-ci a un visage plus doux ; un Christ sauveur que Roublev a voulu aussi plein de compassion, peint avec des touches légères.
Andreï Roublev, Icône de l'Ascension, 1405 |
Cette icône comme les deux suivantes fut peinte pour l'iconostase de la Cathédrale de la Dormition de Vladimir, où Roublev et Tcherny s'étaient donc occupés des fresques. C'était avant qu'on la remplaçât par le modèle actuel baroque. Son Ascension est particulièrement sobre, sans effet. Roublev prend visiblement ses distances avec les versions de ses prédécesseurs.
Andreï Roublev, Icône de la Descente aux Enfers, 1405 |
Cette Descente aux Enfers montre à la fois les ressemblances et les différences avec les versions précédentes. On voit comment Roublev a respecté le cadre imposé dans la composition et le choix des personnages. Mais c'est à lui qu'on doit l'incroyable dynamisme de la palette, avec, à nouveau, une rare déclinaison de bleus.
Le Christ est plein de mansuétude ; le visage reflète la bonté et il s'incline vers Adam et Eve pour leur prendre la main. On a proposé de mettre en regard les atrocités de son époque pour expliquer cette recherche de douceur dans les personnages de Roublev.
Andreï Roublev, Icône de l'Annonciation, 1405 |
C'est encore l'originalité qui caractérise cette Annonciation. Pas tellement pour nous, qui sommes habitués à ces scènes d'intérieur, voire de palais, pour représenter cette scène classique. Mais l'icône russe n'en connaissait pas autant ! Ce décor architecturé à colonnes que creuse la perspective dut en surprendre plus d'un.
Andreï Roublev, Registre d'icônes, la Déisis de Zvenigorod, début XVe siècle |
Ces icônes-là faillirent bien disparaître à jamais. C'est un restaurateur qui les découvrit parmi un tas de planches dans le monastère de Zvenigorod, près de Moscou, en 1918. Elles furent restaurées et étudiées, et on se rendit compte qu'elles étaient dues à Roublev. C'est le même procédé qu'à Vladimir, Roublev était venu y peindre des fresques et il est logique qu'il ait complété son travail par une Déisis.
C'est la liberté d'interprétation qui frappe immédiatement, la souplesse des modelés, l'évidence des formes, la finesse des traits. L'archange Michel irradie la grâce : délicatesse des traits, multiplicité des tons, et un demi-sourire très léger.
Le visage du Christ, malgré la détérioration du panneau, insiste sur la noblesse et la sérénité.
Quant à l'Apôtre Paul, il affiche une expression un peu mélancolique et bienveillante tout à la fois.
In these dark times, it is a pleasure to read your cultural blog and your outstanding posts. This one is amazing ; great pictures, informative texts. Good job, once again !
RépondreSupprimerThank you so much.
Take care of you and yours.
Annie
I think you should make our best to get culture still in life !
SupprimerThank you, dear Annie.
Take care too.
Des icônes, j’en ai vu souvent, et même une exposition à Montbéliard, mais ce que j’ai sous les yeux est plus vivant et surtout de douces couleurs. J’apprends que les icônes ont été échangées de ville à ville et ont enrichi de nombreux marchands, ce qui se comprend car elles sont remarquables : couleurs, traits de dessin, certaines presque photographiques.
RépondreSupprimerJ’ai rarement éprouvé un tel plaisir grâce à tes textes savants et à la beauté des icônes si différentes suivant les artistes. Merci. Bisous. Mam.
C'était un plaisir de revoir cette merveilleuse collection, et comme tu le dis, si éloigné de l'idée qu'on a de l'icône traditionnelle.
SupprimerMerci beaucoup !
Gros bisous virtuels en temps de quarantaine.
Just perfect. Magnificent travel into russian art.
RépondreSupprimerCongratulations !
Thank you, dear Anonymous, for this kind message !
SupprimerUn passionnant voyage dans l'art de l'icône, avec des commentaires érudits. Quelle belle réussite ! Bravo et merci.
RépondreSupprimerLise
Merci infiniment Lise. Quel chaleureux message !
SupprimerPhotos magnifiques pour la plupart. Bien utile. MERCI !
RépondreSupprimerPar contre, il y a beaucoup plus à dire sur le « sens » de ces icônes. Pas juste de magnifiques œuvres.
Merci beaucoup pour ce chaleureux commentaire. Je suis d'accord avec vous, il y a bien davantage à écrire sur l'interprétation de ces oeuvres.
SupprimerCependant, je me suis limité pour ne pas allonger démesurément la longueur de cet article. Et, si le sujet m'intéresse, je ne suis pas du tout spécialiste de l'icône russe et je ne tenais pas à publier des bêtises... Je suis preneur de toute information valable !
Très riche article, très documenté, avec d'excellentes photos. Que demander de plus.
RépondreSupprimerC'est une publication comme on aimerait en trouver davantage sur internet.
Johan
Merci et bravo pour ce bel article, documenté et savant.Tres belles photos également, il y aurait en effet tant à dire sur l'art de l'icône, que j'ai découvert il y a peu. Merci
RépondreSupprimerMerci infiniment Mathieu pour ce chaleureux commentaire personnalisé ! Comme vous l'écrivez, effectivement c'est un sujet où il y a beaucoup à dire...
Supprimer