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lundi 2 mars 2020

Moscou : Les Contes d'Hoffmann (Théâtre Stanislavsky)


Compte-rendu d'une représentation des Contes d'Hoffmann d'Offenbach au Théâtre Stanislavsky de Moscou.
Avec Les Contes d'Hoffmann, on ne sait jamais trop ce qu'on va voir ni entendre. Offenbach mourut avant d'en avoir terminé l'orchestration et c'est Guiraud, déjà chargé des récitatifs de Carmen, qui l'acheva. Mais Carvalho, le directeur de l'Opéra-Comique, jugea l'opéra trop long et lui retira un bon tiers de musique. Ensuite on ajouta l'air Scintille diamant, sur une musique du Voyage dans la Lune, et le septuor avec chœur Hélas mon cœur s'égare encore  (dû à Gunsbourg et Bloch pour une reprise à l'Opéra de Monte-Carlo). Offenbach, par ailleurs, avait prévu l'ordre Olympia / Antonia / Giulietta, présentant l'évolution de la poupée vers la femme, mais comme c'est l'acte d'Antonia qui contient la meilleure musique, on a souvent inversé les deux derniers.

C'est l'éditeur Choudens qui publia cette version, aujourd'hui baptisée de son nom, et dans ma jeunesse c'est la seule que je connaissais. Les variantes vinrent ensuite, Felsenstein puis Bonynge, et enfin de vraies éditions critiques, OEser, Kaye et enfin Keck, faisant découvrir de vraies merveilles comme l'air de Nicklausse Vois sous l'archet frémissant ou le le chœur final On est grand par l'amour.

Même s'ils ne sont pas de la plume d'Offenbach, Scintille diamant et le septuor avec chœur sont souvent conservés car il s'agit d'excellente musique.

Le choix du Stanislavsky



Si la version que j'avais entendue au Met avec Matthew Polenzani et Laurent Naouri est sans doute la plus complète que je connaisse, celle de l'Opéra Bastille tournait résolument le dos à Choudens. Ici, on a choisi un panachage ; point de Glou-glou, point de On est grand par l'amour non plus. Nicklausse chante les couplets du coq (que je crois d'origine douteuse) mais également Vois sous l'archet frémissant, placé dans la dernière scène. On a droit aussi à Scintille diamant et à Hélas mon cœur s'égare encore. L'ordre est le traditionnel Olympia / Giulietta / Antonia et il me semble entendre quelques mesures inconnues à l'orchestre, toujours dans la dernière scène.


Dans la production d'Alexander Titel, le plateau ne présente au début qu'un technicien devant un projecteur. On apportera bientôt un Pégase de carton-pâte, puis le décor conséquent se met en place avec un Paris Belle Epoque, façon Café Momus dans La Bohème, avec la scène de l'opéra présent à l'arrière.



La maison de Spalanzani me paraît le décor le plus réussi, avec une évocation d'une France en pleine évolution : halle en fer forgé, projection de cinéma, et des lunettes pour tout le monde.



 A Venise, gondoliers, diorama du Grand Canal et arcades de palais s'accordent à l'ambiance de carnaval. La disparition du reflet se réalise avec un miroir en triptyque, qui devient soudain une silhouette ; la magie opère peu !


 Chez Crespel, décor archi-classique : escalier, clavecin, portrait de la mère dans l'escalier qui sera éclairé par l'arrière pour faire apparaître la chanteuse.


Elle sort finalement du portrait pour chanter avec sa fille, main dans la main.


 Retour progressif au début ; on retrouve le café quasiment vide, qui se dépouille peu à peu pour révéler le cheval du début.

Malgré quelques bonnes idées et d'impressionnants décors, la production ne révèle aucun aspect particulier de l'opéra qu'elle se contente d'illustrer. Le plateau au départ nu pourrait suggérer une vision de l'oeuvre comme métaphore du théâtre, mais l'idée se perd en route. La production des Fiançailles au Couvent me semblait bien plus captivante !


La distribution du soir


Mikhail Golovushkin

Cette œuvre fut conçue pour une troupe et cela convient à merveille pour les théâtres qui ont encore la chance d'en maintenir une. Je retrouve donc beaucoup de chanteurs familiers, entendus dans ce théâtre. Kirill Matveev et Mikhail Golovushkin apportent la jeunesse de leurs timbres à Natanaël et Hermann.

Roman Ulybin, Natalia Zimina

Natalia Zimina réussit à briller dans le rôle-minute de la mère ; Roman Ulybin campe un vivant et comique Luther ainsi que Schlemil (à la partition ici très réduite). Valery Mikitsky a moins d'occasion de retenir l'attention en Spalanzani qu'en Don Jerome, mais il reste un probe artiste. La petite déception, c'est Victor Moisseykin dans les quatre valets, dont la meilleure partie reste les oui et non d'Andrès. Je suis finalement soulagé qu'on ait retiré les couplets de Franz, Jour et nuit je me mets en quatre.

Maxim Osokin, Roman Ulybin

Maxim Osokin offre une vraie voix de basse russe, large et cuivrée ; du luxe pour Crespel.

Larisa Andreeva, Maxim Osokin

Larisa Andreeva interprète Nicklausse avec une voix puissante, au vibrato assez large ; elle a fort à faire donc puisqu'elle se charge de la barcarolle, des couplets du coq et de Vois sous l'archet frémissant. La composition est réussie, un genre de Gavroche ironique.

Valery Mikitsky, Daria Terekhova

 Daria Terekhova varie agréablement sa reprise des Oiseaux dans la charmille, et ses suraigus piqués lui valent la salve d'applaudissements attendue. Je la sens cependant peut-être un peu fatiguée ou un peu tendue, quelques suraigus me paraissant un peu raides. C'est la vie de l'opéra en direct, les chanteurs ne sont pas des robots !

Olga Guryakova

 Depuis Guerre et Paix à l'Opéra Bastille en 2000, j'avais entendu Olga Guryakova en Tatiana à Aix, en Mimi à Bastille, en Jenufa à Marseille, en Lisa à Lyon, dans Igrok (Le Joueur) à Barcelone, de nouveau en Tatiana à Bastille... J'aimais beaucoup cette cantatrice et j'espérais la retrouver dans Rusalka à Bastille toujours en 2014, mais elle fut remplacée par Kristine Opolais. Et depuis, je ne la voyais plus sur les programmes et je m'inquiétais ce qui avait pu lui arriver. La voix qui s'en va du jour au lendemain, c'est une catastrophe que d'autres ont déjà connue et qui abrège une carrière en un éclair.

Intense était donc ma joie de la voir sur ce programme du Stanislavsky, dont elle est membre depuis 1994.

Je ne m'explique pas pourquoi nos théâtres européens ne font plus appel à ses talents. La voix a évidemment mûri, s'est élargie, ce qui lui permet d'interpréter Leonora ou Elisabetta. Le timbre demeure superbe et sa Giulietta, un plaisir !

Natalia Petrozhitskaya

Natalia Petrozhiskaya a le timbre requis pour Antonia dont elle livre une interprétation intense et dramatique, avec un poignant Elle a fui, la tourterelle.

Natalia Petrozhitskaya, Olga Guryakova

Dmitry Ulyanov

Dmitry Ulyanov, bien connu en France où je l'ai entendu une quinzaine de fois, s'affirme un Diable de haute volée, à l'aise dans ce rôle long et sa tessiture multiple. C'est réellement une basse, qui peut se permettre de faire sonner les notes graves de la partition tout en s'offrant un mi rayonnant à la fin de Scintille Diamant. Tout le long, on profite d'une caractérisation très forte mais sans caricature, qui fait de ce Diable protéiforme un vrai seigneur, inquiétant d'autorité. Je goûte aussi l'ampleur du phrasé lorsque c'est nécessaire, grâce à la voix particulièrement longue de l'interprète. Enfin son français, poli sans doute au cours des voyages, est impeccable.

Triomphe mérité.

Chingis Ayusheev

Chingish Ayusheev, un ténor d'Ulan Ude, endosse le rôle d'Hoffmann avec professionnalisme. Le rôle est interminable, extrêmement exigent, rempli d'aigus meurtriers, d'airs contrastés et difficiles (Il était une fois à la cour d'Eisenach) et l'interprète est presque constamment en scène pendant trois heures. Il s'en tire avec les honneurs, vaillant jusqu'au bout, honnête homme tout au long de sa prestation. Il lui manque juste, ce soir, un peu plus de panache et de rayonnement.

Evgeny Brazhnik

Le chef Evgeny Brazhnik  est apparemment très apprécié et je n'ai pas grand-chose à redire à sa vision de l'oeuvre ni aux couleurs qu'il tire de l'orchestre. Mais il me semble plus dans la fosse que sur le plateau, et lorsque Chingish Ayusheev démarre trop tôt dans l'acte de Giulietta (dans les couplets bachiques, si je me souviens bien), il tourne les yeux vers le bas et le laisse se débrouiller, ignorant les regards suppliants du malheureux chanteur. Ainsi délaissé, ce dernier a dû vivre quelques instants horribles, en tentant seul de se recaler sur l'orchestre.

C'est d'autant plus dommage que chœurs et orchestre ne déméritent pas, bien au contraire !


Larisa Andreeva

Natalia Zimina

Maxim Osokin

Olga Guryakova, Chingis Ayusheev

avec Olga Guryakova

avec Dmitry Ulyanov

2 commentaires:

  1. Very interesting. You seem to know this opera very well! I only know the Barcarole...
    Thanks for your so precious expert's eye!
    And you look very happy on those pics...
    Annie

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    Réponses
    1. Yes, this is one of the very few operas I know a little! And I love it!
      Thanks Annie for your kindest words.

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