C'est un acte de courage que cette exposition-ci. Il semblerait que le sujet soit tabou, comme si montrer des photos revenait à une célébration hagiographique ! La publication de Mein Kampf a été l'occasion d'un vif débat, et il est absolument hors de question de monter le moindre musée Hitler.
C'est une problématique intéressante, mais entourée de précautions qui me semblent excessives. D'une part, les groupuscules néo-nazis n'ont jamais eu besoin de ce type de collection de photos. Et d'autre part, on peut manifester beaucoup d'intérêt à visiter un lieu pour ses aspects historiques ou artistiques sans adhérer aux idées du personnage.
Comme souvent, c'est la manière de montrer et l'appareil critique qui vont faire la différence.
Et ici, malgré la qualité et la précision des panonceaux, en dépit de la dernière partie consacrée à la chute, nonobstant le titre "Images d'un dictateur", les commissaires ont pensé nécessaire d'y adjoindre une seconde partie sur les ghettos de l'Est, comme s'il fallait un contrepoids idéologique pour se dédouaner.
Le sujet est-il donc si brûlant qu'on ait, comme je l'ai écrit, l'impression de franchir une ligne interdite ?
L'aspect documentaire suffit amplement à justifier une exposition semblable. Par la rareté des documents tout d'abord.
Par tout ce qui est révélé sur un sujet bien moderne, comment l'image est un efficace moyen de propagande.
Le sujet n'est pas nouveau. On sait combien le portrait officiel, diffusé surtout sous forme de monnaie, s'est éloigné du modèle pour propager une vision idéalisée.
Le portrait de commande de la Renaissance est fort intéressant en cela qu'il met au point des techniques qui feront long feu : symboles codés, rôle des yeux et des mains, force du cadrage (et on sait combien un plan tête a un sens différent d'un portrait en pied), importance du point de vue.
Et précisément c'est intéressant de vérifier que ces éléments sont toujours utilisés dans ces images de propagande.
Cependant cette discrétion lui permettra, à la chute du régime d'être exonéré de toute responsabilité.
La photo mise en abyme. |
Jusqu'en 1927, Hoffmann est en pleine construction d'un univers photographique. Mais les codes seront ensuite si bien intégrés que toutes ses photos seront avalisées. Le sujet unique se fige dans une série de postures immuables.
Ce fameux photo est la retouche d'un portrait de groupe.
Plus rare exemple de la série parisienne, le Führer aux Invalides devant le tombeau de Napoléon. Cela interroge : malgré l'impopularité de l'empereur en Allemagne a-t-on voulu associer le souvenir d'un autre conquérant ?
Le guide sur le chemin, une métaphore facile mais promise à un énorme succès. On la retrouvera avec des dirigeants récents bien éloignés du nazisme.
Il s'agit cependant d'humaniser une figure guerrière. D'où ces photos avec chiens, enfants, etc. Staline (et pas seulement !) emploiera des rapprochements identiques.
L'utilisation de la contre-plongée, un "truc" utilisé depuis des siècles.
Hoffmann ne néglige aucun aspect. S'il faut montrer un homme de culture, il y va gaillardement. Évidemment, ce sont des œuvres classiques qui sont reliées, pas "l'art dégénéré" dont les représentants devinrent des victimes de la machine nazie. Mais il ne faut pas oublier que le jeune Hitler avait tenté de s'inscrire aux Beaux-Arts de Vienne, et que son échec fut longtemps remâché ! Il tenait sans doute à afficher ses connaissances classiques.
Encore une autre vision métaphorique, le bâtisseur. Un classique du portrait de chef au XXe siècle.
La retouche porte parfois sur des détails. Tout doit être fait pour attirer le regard sur le sujet voulu.
Comme le soulignent les panonceaux, un des traits de l'idéologie nazie est de donner un sens à l'histoire. Il faut donc prouver que Hitler s' inscrit dans ce mouvement en l'associant aux grandes figures du passé.
Si on n'était pas déjà convaincu, il faut absolument appuyer l'image d'un chef adulé par les foules. Le salut fasciste, dans sa simplicité, facilite cette photo de masse.
Cette incroyable série de photos de l'été 1927 montre Hitler qui s'essaie, comme un acteur, à une série d'expressions et de poses devant l'objectif.
Sans mesurer le ridicule.
La fin du IIIe Reich voit évidemment la fin des images associées.
Je n'ai encore jamais vu ce document. Les États-Unis n'étaient pas persuadés de la mort d'Hitler et avaient fait réaliser une série de portraits, images possibles d'une transformation.
Cette première partie d l'exposition est sans doute la plus originale et elle donne vraiment à réfléchir sur le poids des images et leur rôle dans la fabrication d'un dictateur.
Les ghettos de l'est
La seconde montre la réalité derrière la propagande, en donnant à voir la vie dans les ghettos.
C'est un univers plus fréquemment illustré dans les expositions, mais celle-ci présente des images de belle qualité au-delà du simple témoignage, et il s'agit souvent de documents poignants.
La première partie, la plus conséquente, s'attache au ghetto de Varsovie, le plus peuplé.
Un tiers de la population entassé dans un vingtième de l'espace !
Les documents en couleurs sont plus rares.
Les journaux du ghetto sont publiés et vendus.
Le travail des enfants n'est pas une légende.
Poignantes images de la mort.
Tout aussi émouvant, l'adieu d'une famille à un enfant sur le point d'être déporté.
La force du symbole.
Cette double exposition, fort rare, m'a passionné, et je ne peux qu'en recommander la visite.
Very interesting and brave post.it complètes your visit of Terezin. Thanks!
RépondreSupprimerAnnie
Many thank, Annie. I was afraid about the readers' feelings after this post. Did you try à french keyboard ?
SupprimerTrès intéressant. Merci pour la découverte !
RépondreSupprimerPierre
Merci beaucoup Pierre ! Une fort instructive exposition en effet.
SupprimerC'est très intéressant. Je partage votre opinion sur le devoir de tout montrer, même l'horreur. J'aurais beaucoup aimé voir cette exposition.
RépondreSupprimerCordialement,
Anne
Merci beaucoup, Anne, pour ce commentaire personnel.
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