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samedi 3 octobre 2020

Tivoli : La Villa d'Este, le palais (2)

Après le niveau supérieur de la Villa d'Este, je poursuis avec les merveilleuses salles du niveau inférieur, l'appartement noble, entièrement décorées de fresques colorées et raffinées.

La salle de Noé (Sala di Noe)

Tivoli, Villa d'Este : la salle de Noé

La grande salle située en angle jouissait à la fois d'une vue sur les jeux d'eau d'un côté et sur le jardin secret de l'autre. Elle fut décorée par Durante Alberti, sans doute sur des dessins de Girolamo Muziano, un peintre toujours du XVIe siècle qu'on croise souvent dans Rome : le cycle de Saint Mathieu à l'Aracoeli, le Saint François de Santa Maria della Concezione, le Saint Nicolas de Saint Louis des Français, mais aussi un Portement de Croix au Palais Barberini...

Tivoli, Villa d'Este : la salle de Noé

Sur les côtés, la fresque imite la tapisserie pour présenter des paysages des environs de Tivoli.

Tivoli, Villa d'Este : la salle de Noé

Tivoli, Villa d'Este : la salle de Noé, le plafond

Thème religieux pour la fresque, récemment attribuée à Federico Zuccari : un vieil homme prie devant un autel tandis que Dieu fait un geste de bénédiction dans les nuages. 

Tivoli, Villa d'Este : la salle de Noé, le plafond

Il s'agit du pacte d'alliance avec Noé, après le déluge. A gauche, sous le toit, la famille du patriarche manifeste son émotion. A droite, quelques animaux font partie des rescapés, un âne et un bœuf (à cause de leur présence traditionnelle dans la Nativité ?) mais aussi un aigle blanc, l'emblème de la famille d'Este. L'arche elle-même est bien visible à l'arrière, immobilisée au sommet du Mont Ararat.

On a changé d'étage, les fresques se déploient maintenant sur les murs, mais le style de la Renaissance demeure ; palette maniériste, encadrement de grotesques, utilisation des frises pour diviser les plafonds en zones caractérisées. L'effet de velum coloré, au bas de ma photographie, est splendide.

La salle de Moïse (Sala di Mosè)


Tivoli, Villa d'Este : la salle de Moïse 

La salle voisine offre une fausse architecture : une loggia avec caryatides ouvre sur un paysage de la région. 

Tivoli, Villa d'Este : la salle de Moïse 
Tivoli, Villa d'Este : la salle de Moïse, le plafond 

Sur la voûte, la scène est également tirée de l'Ancien Testament : Moïse est représenté au moment du Frappement du rocher, quand il heurte un roc de sa baguette pour faire jaillir une source et désaltérer les Hébreux pendant l'Exode. Moïse, un vieillard barbu, est pour une fois dépourvu des cornes dont on l'affublait souvent à l'époque et l'artiste a tenté de représenter des tentes antiques.



La campagne des environs semble intégrer des monuments romains ; on dirait bien la pyramide de Cestius, à gauche.

La seconde salle tiburtine (seconda stanza tiburtina)


Tivoli, Villa d'Este : la seconde salle tiburtine

La salle est cette fois consacrée au mythe fondateur de Tibur, la cité antique qui deviendra Tivoli : Ino, épouse d'Athamas, veut prendre soin de Bacchus, fils de Jupiter et de Sémélé. Junon pique une de ses crises de rage coutumières et se venge en rendant folle Ino, qui tue son fils Léarque dans un accès de démence. Elle doit s'enfuir avec son fils Mélicerte, grâce à l'aide apportée par Vénus et Neptune qui les transforment en divinités marines, Leucothée et Palémon. Parvenue en Italie, seconde métamorphose : Ino devient Mater Matuta et Palémon Portunnus, le dieu des ports. Elle ne s'arrête pas là et termine en Sibylle.

Tivoli, Villa d'Este : la seconde salle tiburtine, le plafond

Cesare Nebbia et ses élèves ont totalement décoré la salle ; au centre de la voûte, resplendit le char d'Apollon tandis que dans les cadres, les divinités des fleuves se reposent. D'un côté Ino en Mater Matuta s'approche du Tibre et de l'autre, le Tibre à nouveau côtoie deux rivières, l'Aniene et l'Erculanea.

Tivoli, Villa d'Este : la seconde salle tiburtine

Le mouton  est solidement maintenu avant d'être placé sur l'autel, un sacrifice au bénéfice de Mater Matuta. A l'arrière, l'armée s'est assemblée autour de sa statue, qui évoque une Vierge à l'Enfant.

Tivoli, Villa d'Este : la seconde salle tiburtine

L'impression est renforcée avec ces fidèles qui adorent Mater Matuta et Portunnus. On peut constater que les vêtements masculins sont plus conformes à l'Antiquité que ceux de la dame à droite !

Cette salle me semble bien révélatrice de cette Renaissance qui redécouvre l'Antiquité, se régale de mythes grecs et, avant le baroque, se plaît à créer des illusions. Les hôtes du cardinal devaient être éblouis.

Tivoli, Villa d'Este : la seconde salle tiburtine

Le sol évidé et vitré laisse apercevoir le niveau inférieur.

Tivoli, Villa d'Este : la seconde salle tiburtine

Ino musicienne de doubles trompettes suscite l'admiration de son fils, protégé dans les jambes de sa mère.

Tivoli, Villa d'Este : la seconde salle tiburtine


La première salle tiburtine



Tivoli, Villa d'Este : la première salle tiburtine

Les mêmes artistes, Cesare Nebbia et son atelier, se sont chargés de la décoration de cette salle, pendant de la première, et qui développe également les mythes de fondation de la ville. L'architecture en trompe-l'œil imite des colonnes sur un entablement de marbres polychromes. Fausses draperies et tapisseries feintes complètent l'ensemble.

Tivoli, Villa d'Este : la première salle tiburtine, le plafond

Au centre de la voûte, trois frères grecs débarquent dans le Latium et affrontent les Latins. Dans le rectangle inférieur, ils s'activent à construire la cité.

Tivoli, Villa d'Este : la première salle tiburtine, le plafond

Ici, Tiburte, un des trois frères, trace avec le sillon de la charrue les contours de la ville pendant que ses frères préparent des sacrifices pour lui assurer un avenir paisible.

Tivoli, Villa d'Este : la première salle tiburtine

Après la victoire, les deux frères remercient les dieux par leur sacrifice. L'armée nombreuse est massée derrière eux et la ville fortifiée se dresse dans le lointain.

La salle de la Fontaine

Tivoli, Villa d'Este : la salle de la Fontaine

La spacieuse salle de la Fontaine accueillait de fastueux banquets ; ce fut une des toutes premières salles peintes de la villa (avec celle d'Hercule). C'est Girolamo Muziano et son atelier qui se virent confier cette première commande.

Le luxe des dîners s'accordait à un remarquable ensemble de trompe-l'œil, fait de paysages et de surprises.

Tivoli, Villa d'Este : la salle de la Fontaine, la fontaine

La fontaine apportait à la salle la scénographie d'un jardin, en harmonie avec les extraordinaires créations à l'extérieur. Elle fut dessinée en 1568 par le fontainier Curzio Maccarone.

Tivoli, Villa d'Este : la salle de la Fontaine, le plafond

Le Festin des Dieux, inspiré d'une fameuse fresque de Raphaël à la Villa Farnesina, fut également réalisé par Muziano mais la colonnade en trompe-l'œil, tout à fait réussie, est l'œuvre du peintre siennois Matteo Neroni.

Tivoli, Villa d'Este : la salle de la Fontaine

Entre les colonnes salomoniques, sous les guirlandes de fleurs, le paysage fluvial creuse la perspective. Un bel ensemble représentatif du goût pour l'illusion.

Tivoli, Villa d'Este : la salle de la Fontaine

Et encore mieux, un serviteur, dans la livrée du cardinal, semble se tenir prêt devant la porte entrebâillée.

Tivoli, Villa d'Este : la salle de la Fontaine


La salle d'Hercule


Tivoli, Villa d'Este : la salle d'Hercule

Le thème d'Hercule, le héros costaud, était déjà un favori dans l'Antiquité et on le représentait souvent, version statue avec sa massue et la peau du lion de Némée ou sur des bas-reliefs où on déroulait les travaux. Les épreuves qu'il dut subir attiraient sans doute autant l'attention que sa vigueur surhumaine.

L'Antiquité redécouverte à la Renaissance rappelle toute la mythologie gréco-latine et Hercule fascine à nouveau, comme avant. Par ailleurs, c'est un protagoniste des légendes fondatrices de Tibur et la famille d'Este le tiendrait pour son ancêtre. Le jardin de la villa est assimilé à celui des Hespérides, un des travaux. Enfin, Ercole est alors devenu un prénom tendance, et c'est d'ailleurs celui du frère du propriétaire. Comment ne pas consacrer une salle au héros ?

Tivoli, Villa d'Este : la salle d'Hercule

Comme dans la précédente, Girolamo Muziano est maître des travaux. Sur les parois, il décrit à nouveau dans de fausses tapisseries et dans une architecture feinte les paysages voisins. C'est cette série de vues qui assure la continuité. Le paysage, je le rappelle, est alors un genre pictural tout neuf.

Tivoli, Villa d'Este : la salle d'Hercule, le plafond (L'Apothéose)

C'est au plafond que le mythe d'Hercule est raconté. Le large cadre central stuqué nous offre une Apothéose d'Hercule, la conclusion de l'histoire où le héros est accueilli parmi les dieux. Des attributs permettent d'en identifier certains, comme Neptune avec son trident.

Tivoli, Villa d'Este : la salle d'Hercule (le taureau de Minos)

Hercule accomplit ses travaux dans la partie inférieure de la voûte, dans une décoration de frises et de grotesques. Ici il dompte le taureau sauvage du roi de Crète, Minos.

Tivoli, Villa d'Este : la salle d'Hercule (le lion de Némée)

Le plus réputé des travaux, obtenir la peau du lion de Némée étouffé à mains nues, vaut à Hercule le plus fameux de ses attributs.

Tivoli, Villa d'Este : la salle d'Hercule (l'hydre de Lerne)

Hercule doit combattre plusieurs créatures monstrueuses. L'horrible hydre de Lerne polycéphale ne peut être vaincu qu'en cautérisant ses têtes au fur et à mesure qu'on les tranche.

Tivoli, Villa d'Este : la salle d'Hercule

Un monstre ailé à tête : je présume qu'il s'agit d'un oiseau du lac Stymphale, qui tuaient les habitants en leur jetant leurs plumes d'airain.

Tivoli, Villa d'Este : la salle d'Hercule

Le dixième travail à aller chercher les troupeaux de Geryon, au bout de le Méditerranée. Chemin faisant, Hercule en profite pour se lancer dans la construction : au détroit de Gibraltar, il érige deux colonnes, une sur chaque continent. Le nom de colonnes d'Hercule est resté aux montagnes abruptes du détroit. 

Tivoli, Villa d'Este : la salle d'Hercule (le globe d'Atlas)

Pour obtenir les pommes d'or des Hespérides, Hercule doit soulager le géant Atlas en supportant le globe terrestre. Intéressante légende qui montre bien la connaissance astronomique de nos ancêtres ! 

J'hésite sur ce qui se trouve derrière lui, à l'arrière de la peau de lion ; est-ce une cape virevoltante ou les têtes du Ladon, un monstre affreux doté, comme l'hydre, de têtes multiples ?

Tivoli, Villa d'Este : la salle d'Hercule (la capture de Cerbère)

C'est sans doute le monstre de la série le plus connu ; d'ailleurs mes élèves le reconnaissent toujours, et je pense que Touffu, le gardien de la pierre philosophale dans les aventures de Harry Potter, n'y est pas étranger.

Hercule, lui, doit descendre aux Enfers, enchaîner Cerbère, le chien à trois têtes, et le ramener à Eurysthée, le commanditaire des travaux. Celui-ci le regrette d'ailleurs et se cache en apercevant la créature !

Tivoli, Villa d'Este : la salle d'Hercule (le combat avec Nessos)

Hercule avec un centaure : c'est un combat hors de la liste des douze travaux où Hercule défend son épouse Déjanire de Nessos, un homme-cheval qui tentait de la violer.


Toujours sur la partie inférieure de la voûte, des médaillons présentés par des putti illustrent le récit d'un paysage plus élaboré. Les personnages plus petits rendent l'identification plus malaisée !


Les Amazones, ces redoutables guerrières, ont laissé leur nom à un fleuve (c'est l'explorateur Francisco de Orellana qui l'aurait baptisé ainsi après avoir été attaqué par des femmes) et à une monte à cheval ; Hercule doit obtenir la ceinture de leur reine Hippolyte.
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Tivoli, Villa d'Este : la salle d'Hercule

Tivoli, Villa d'Este : la salle d'Hercule


La salle de la Noblesse


Tivoli, Villa d'Este : la salle de la Noblesse

La salle de la Noblesse célèbre à la fois les qualités morales de la maison d'Este et celles du cardinal, à travers des allégories et des bustes de philosophes en fausses statues au-dessus des ouvertures. On retrouve Federico Zuccari comme maître d'œuvre.

Tivoli, Villa d'Este : la salle de la Noblesse

La référence à l'Antiquité me semble évidente avec ce choix de rouge pompéien. A gauche, je suppose qu'il s'agit des Trois Grâces.

Tivoli, Villa d'Este : la salle de la Noblesse, la voûte

La voûte nous gratifie de pléthore de grotesques sur fond blanc, qui tranchent avec les frises d'un vert audacieux. On retrouve des figures allégoriques, cette fois accompagnés d'inscriptions qui facilitent le déchiffrage. Outre la Nature des Choses, l'Opulence, l'Immortalité, voici l'Honneur : un bon souverain sur son trône fait un geste de clémence envers ses sujets agenouillés.

Tivoli, Villa d'Este : la salle de la Noblesse, le plafond

Au centre du plafond, Zuccari représente trois allégories : la Noblesse siège sur un nuage, protégée par un dais tendu par deux putti ; un animal féroce veille sous sa robe. Ses servantes, Libéralité et Générosité, offrent leurs possessions.

La salle de la Gloire


Tivoli, Villa d'Este : la salle de la Gloire

Autrefois une Gloire allégorique siégeait dans la voûte de la salle, et elle lui a laissé son nom bien qu'elle ait disparu. Malgré cette absence, cette pièce reste très originale ; un vrai théâtre d'illusions !

Tivoli, Villa d'Este : la salle de la Gloire

Zuccari eut l'idée de conserver le motif du XIVe siècle et de peindre au-dessus une décoration de faux marbres comme ailleurs mais aussi de tentures, de fausses niches, particulièrement réussie.
 
Tivoli, Villa d'Este : la salle de la Gloire

Je ne sais si les visages en mascaron ont une portée symbolique mais ces peintures montrent un indéniable talent. Cette bouche stupéfaite pourrait révéler un trait d'humour mais la femme qui ouvre un œil me semble opter pour la dimension allégorique.

Tivoli, Villa d'Este : la salle de la Gloire

Et quel souci de variété : niche fermée par la tenture, qui gardera ses secrets pour l'éternité...

Tivoli, Villa d'Este : la salle de la Gloire

... ou draperie qui laisse apparaître quelques objets. Il me semble que le statut du cardinal est ici mis en scène, avec un chandelier pour lire la Bible de l'étagère inférieure et un coussin pour prier.
Tivoli, Villa d'Este : la salle de la Gloire

Dans la seconde, je pense reconnaître le chapeau rouge du cardinal. A droite, une représentation de satyre (homme aux pattes de bouc, comme le dieu Pan), un des grotesques fréquemment peints à cette époque.

La salle de la chasse

Tivoli, Villa d'Este : la salle de la chasse

Cette dernière salle allongée est célèbre pour sa décoration en fausses tapisseries autour du thème de la chasse. On voit une autre main que dans les précédentes salles. L'auteur serait vraisemblablement Antonio Tempesta, un peintre florentin employé à Rome. La Galleria Borghese conserve son Persée et Andromède peint sur lapis-lazuli.

Tivoli, Villa d'Este : la salle de la chasse

L'imitation des tapisseries fonctionne bien, accentuée par les draperies sur les côtés, mais aussi grâce à une palette qui en restitue les coloris (je pense notamment aux fameuses "verdures").

Tivoli, Villa d'Este : la salle de la chasse

Chasse élégante, avec des personnages en livrée, et variée car les gibiers y sont multiples : terre, air et eau. Ici un cerf se sauve en traversant la rivière. L'hypothèse d'une représentation de l'île Tibérine me semble peu convaincante tant l'ensemble (rive, édifices) est dissemblable. 

Tivoli, Villa d'Este : la salle de la chasse

Tivoli, Villa d'Este : la salle de la chasse

Outre les scènes de chasse, les trophées rapportés sont exposés, encadrés de guirlandes de couronnes. Très jolie réalisation d'ailleurs.

Tivoli, Villa d'Este : la salle de la chasse

Des oiseaux se sont perchés au-dessus des fenêtres ; l'aigle blanc, l'emblème familial, profite d'une position avantageuse.

Tivoli, Villa d'Este : la salle de la chasse

Au centre, voici cette fois un dindon, un oiseau américain introduit par les Jésuites au début du XVIe siècle. Même s'il fut rapidement adopté dans les basses-cours (alors que la tomate ou la pomme de terre étaient rejetés avec méfiance), il s'agit encore d'un oiseau exotique à cette époque.


Je quitte à présent le palais et poursuis ma visite dans les fameux jardins.

4 commentaires:

  1. Incredibly magnificent! What a beauty! And thanks for your well-informed captivating texts!
    Congrats
    Annie

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  2. Époustouflant! Cette villa est aussi belle que ses jardins ! Et quels commentaires, très instructifs. Bravo pour avoir pris le temps de diffuser ces beautés.
    Mme M Landrieux.

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  3. Merci pour ce message élogieux.
    C'est un lieu vraiment fabuleux, et je ne peux que vous souhaiter d'avoir le plaisir de le visiter. Bel été à vous en tout cas.

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