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mardi 25 août 2020

Rome : la Piazza Navona et l'église Sant'Agnese (Sainte Agnès)


Une des places emblématiques de la ville, avec l'église achevée par Borromini !



Rome, Piazza Navona

Cette célèbre place, point névralgique des itinéraires touristiques, a une forme de long rectangle arrondi aux deux extrémités étroites : elle révèle son origine, le stade de Domitien. L'empereur avait souhaité un complexe avec un odéon.

Rome, Piazza Navona

Loin des fureurs violentes de l'amphithéâtre et du cirque, cet ensemble au cœur de la cité unissait les démonstrations des athlètes aux concours de poésie et d'éloquence. Union du corps et de l'esprit, une volonté humaniste bien avant la Renaissance.

Rome, Piazza Navona

Je dois tout d'abord dire que c'est la première fois que je vois, aux alentours de midi, la place aussi vide avec des terrasses qui ne le sont pas moins ! Catastrophe du Covid, même si cela permet, pour une foi, d'apprécier sa forme autrement qu'au milieu de la nuit.

Rome, Piazza Navona : la Fontaine de Neptune

 La fontaine de Neptune fut réalisée au XVIe siècle, mais ce n'est qu'au XIXe que les statues y furent ajoutées.

La fontaine des Fleuves 

Rome, Piazza Navona : la Fontaine des Fleuves

 Innocent X, un pape de la famille Pamphilj, possédait un palais sur la place et il souhaitait l'embellir par une fontaine. Il réclama au Bernin (à y être !) un projet "avec des fleuves" et un obélisque rapporté de la Via Appia ; il s'agissait d'un de ceux qui étaient érigés sur le Cirque de Maxence. Pour autant, il ne finança pas ledit projet sur sa cassette personnelle ; il créa un impôt sur les denrées alimentaires qui fut, sans surprise, vivement critiqué par la population !

Le Bernin imagina une audacieuse réalisation qui rompaient avec les modèles connus ; au lieu de placer l'obélisque sur le sol de la fontaine, selon le modèle courant, il le suréleva au-dessus d'un amoncellement de rochers évidés (on voit très nettement la façade du palais au travers, sur ma photo précédente).

L'impression de fragile équilibre apparaît et suscite bien l'étonnement attendu dans une œuvre baroque.

Rome, Piazza Navona : la Fontaine des Fleuves, le Rio de la Plata

Outre le flux de l'eau, le mouvement est apporté par des statues qui semblent gesticuler, en équilibre instable. Chacune représente un fleuve, qui à son tour symbolise un continent, et est l’œuvre d'un élève différent du Bernin. Francesco Baratta s'occupa du Rio de la Plata précédent, qui représente l'Amérique.

Rome, Piazza Navona : la Fontaine des Fleuves, le Gange

Le Gange, qui symbolise l'Asie, fut sculpté par Claude Poussin. C'est invariablement la statue la plus photographiée de la série, alors que (ou peut-être parce que) c'est la moins mouvementée ; son style rappelle franchement les dieux fluviaux des fontaines antiques.

Rome, Piazza Navona : la Fontaine des Fleuves, le Nil


Giacomo Antonio Fancelli (l'auteur du vivant Saint François à San Bernardo) sculpta le Nil pour l'Afrique. Sa tête est voilée car on n'en connaissait pas encore la source. Une légende tenace prétend que c'est pour ignorer la façade de Sant'Agnese de Borromini, le rival du Bernin.

Rome, Piazza Navona : la Fontaine des Fleuves, le Danube
 

Antonio Raggi, le plus célèbre des quatre élèves (l'ange à la colonne du Pont Saint Ange est de lui) a représenté un Danube tout en torsion pour l'Europe.

Sant'Agnese in Agone 



Rome, église Sainte Agnès : la façade


Le terme d'agone désigne les luttes athlétiques de l'Antiquité, référence au stade de jadis. C'est ce mot qui s'est ensuite déformé en Navona, le nom actuel de la place.

Sainte Agnès


Sainte Agnès est mentionnée par plusieurs sources anciennes, particulièrement celle d'Ambroise, un des Pères de l'église. Son texte a servi de base au récit hagiographique de Jacques de Voragine dans le best-seller médiéval, La Légende Dorée.

Selon ces écrits, cette jeune Romaine née à la fin du IIIe siècle provoque un coup de foudre chez un jeune patricien, mais elle refuse, assurant être promise à Jésus-Christ. Le père du jeune homme, préfet de Rome, la menace d'être enfermée dans un lupanar, la maison close de l'époque. Agnès ne cède pas. Elle est alors promenée toute nue en ville vers le lieu de débauches ; miracle n°1, les cheveux poussent soudain pour cacher sa nudité. Dans le lupanar, miracle n°2 : apparition d'un ange qui métamorphose le lieu en sanctuaire. Et ce n'est pas fini : l'amoureux vient tenter de la persuader dans le lupanar. Un démon l'étrangle (miracle des plus étranges, non ?). On veut la brûler sur le bûcher ; elle échappe à la cuisson mais ses bourreaux sont consumés. On finit par l'égorger.

On retrouve les éléments indispensables aux récits de sainte de l'époque, et le côté indestructible comme le rôle du feu évoquent beaucoup Sainte Barbe/Barbara.

La construction de l'église : un vrai roman !


Rome, église Sainte Agnès : la façade

Un oratoire fut construit à l'endroit où la tradition plaçait le miracle des cheveux. Tout comme la fontaine du Bernin et pour les mêmes raisons, l'église actuelle est une commande de la famille Pamphilj ; on voit les fenêtres du palais, à gauche de ma photo. Innocent X signa le contrat avec les Rainaldi père et fils, de bons architectes employés dans Rome. Le fils Carlo réalisera notamment  Santa Maria in Campitelli. Les travaux débutèrent en 1652.

Les Pamphilj furent mécontents de leur travail et choisirent une signature prestigieuse : Borromini s'occupa donc de la coupole et des deux campaniles, et dessina une façade souple et équilibrée, avec des lignes courbes qui lui avaient valu tant de succès à San Carlino.

Ce n'est pas fini : Innocent X décéda avant la fin des travaux et Camillo Pamphilj reprit le chantier. Mais il fallait un nouveau pape : Alexandre VII, adversaire farouche de Borromini. Il fit tout pour s'opposer aux travaux, nomma un comité pour mener l'enquête sur des malversations, si bien que l'architecte démissionna.

Camillo mourut à son tour et sa veuve, Olimpia, finit par demander au Bernin de terminer l'église. Il semblerait que le rôle de ce dernier se soit borné à ajouter le fronton central et de ménager une "pièce" derrière.

Un intérieur opulent


Rome, église Sainte Agnès : l'intérieur

 Le plan de Rainaldi est assez astucieux : il utilise une croix grecque mais, quand on pénètre dans l'église, on a d'abord l'impression qu'elle est ronde. La haute coupole y est pour beaucoup.

L'intérieur est en fait une succession de chapelles, les grandes dans les branches de la croix, les plus petites, avec des niches, dans les piliers de la coupole.

En tout cas, on n'a guère l'impression de se trouver dans une église de Borromini, où la blancheur et la sobriété dominent généralement.

Rome, église Sainte Agnès : la coupole, fresque de Ferri

Le tambour de la coupole est percé de hautes fenêtres et, effectivement, la lumière ne manque pas ici.


Rome, église Sainte Agnès : la coupole, fresque de Ferri

Ciro Ferri, le meilleur élève de Pietro da Cortona selon le maître, a peint ici une Apothéose de Sainte Agnès qui rappellerait le style de Lanfranco.

Rome, église Sainte Agnès : la coupole, fresque de Ferri

Je ne suis pas très convaincu ; je ne vois pas ici le trait de Lanfranco, et je trouve l'effet de multitude un peu gâché par une palette trop rougeoyante. 

Beaucoup de guides voient la fresque comme une Gloire du Paradis, ce qui renvoie directement à celle de Lanfranco.

Parmi la profusion de saints et prophètes, ce n'est pas commode de repérer les attributs. Mais à la droite de ma photo, on identifie clairement Marie-Madeleine avec ses longs cheveux, la croix en main. Le martyr à la lance pourrait être Longin, le soldat qui porta le coup de lance pour vérifier si le Christ était bien mort.

Rome, église Sainte Agnès : la coupole, pendentifs de Baciccia

En revanche, les pendentifs (les parties de liaison entre la coupole et les piliers) de Baciccia, fameux peintre baroque, sont de belles qualités, avec des chairs superbes et beaucoup de légèreté.


Rome, église Sainte Agnès : Melchiorre Gafa, Le Martyre de Saint Eustache

Melchiorre Gafa, sculpteur maltais très prisé à Rome (il paraît qu'il concurrençait Le Bernin) s'est chargé du Martyre de Saint Eustache. Le malheureux se retrouve avec sa mère et ses fils dans l'amphithéâtre où les lions (tout en bas) vont le dévorer.

Rome, église Sainte Agnès : Pietro Paolo Campi, Saint Sébastien

Le Saint Sébastien de Pietro Paolo Campi est l'habituel éphèbe percé de flèches. L'effet de perspective avec les marbres me plaît assez !

Rome, église Sainte Agnès : Antonio Raggi, Le Martyre de Sainte Cécile

Des anges apportent la palme du martyre à Sainte Cécile agonisante, au centre de la composition. Outre son mari Valérien, viennent la visiter Hippolyte et même Urbain I, le pape de l'époque. C'est un travail d'Antonio Raggi, l'auteur du Danube dans la série des Fleuves.

Rome, église Sainte Agnès : Domenico Guidi, Sainte Famille et saints



Rome, église Sainte Agnès : Domenico Guidi, Sainte Famille et saints

Rome, église Sainte Agnès : Domenico Guidi, Sainte Famille et saints

Domenico Guidi a rempli son bas-relief avec la Sainte Famille agrandie ; on y voit aussi Elisabeth, Zacharie et le petit Saint Jean.

Rome, église Sainte Agnès : Ercole Ferrata et Leonardo Retti, Le Martyre de Sainte Emerentienne

Santa Emerenziana, ou Sainte Emerentienne, n'a pas la même popularité que sa sœur Agnès. Des païens veulent empêcher les funérailles d'Agnès, elle tente de s'y opposer, on la lapide. Ercole Ferrata et Leonardo Retti montrent précisément ces affreux avec de menaçants cailloux en main.

Rome, église Sainte Agnès : Ercole Ferrata, Sainte Agnès dans les flammes

Ercole Ferrata a réalisé tout seul, cette fois, la statue de Sainte Agnès dans les flammes (l'espèce de buisson au pied de la jeune fille) ; on retrouve la fausse perspective du Saint Sébastien.

Rome, église Sainte Agnès : Giovanni Francesco Rossi, La Mort de Saint Alexis

Giovanni Francesco Rossi a travaillé cette Mort de Saint Alexis ; on voit le saint du dessous d'escalier sur sa paillasse, sa principale représentation à l'époque baroque. A gauche, le pape Sixte III et Eufeminanus, le père d'Alexis, contemplent la scène avec affliction.

Rome, église Sainte Agnès : la chapelle de Saint Philippe Neri

La chapelle de Saint Philippe Neri est dédiée au fondateur de l'Oratoire, qui fut très populaire à Rome. Le nom de l'ordre est à l'origine de l'oratorio, une sorte d'opéra sacré qui était donné en temps de carême, quand les représentations lyriques étaient interdites.

 Sur l'autel, le petit temple doré s'avère une châsse qui contiendrait le crâne de Sainte Agnès.

Rome, église Sainte Agnès : tabernacle sculpté

Un beau travail dans ce tabernacle, mais est-il vraiment médiéval ? La tête des anges me paraît quelque peu romantique...

Rome, église Sainte Agnès : autel avec sculptures

Malheureusement, en temps de Covid la crypte est fermée. C'est dommage, elle contient une très belle sculpture, Agnès conduite au martyre.

4 commentaires:

  1. Captivating post as usual. Amazing pictures with great informative texts!
    Annie

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    1. Thank you so much, dear Annie... Quite one year after your kind message !

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  2. Bonjour, il me semble que pour le Gange et le Danube, c'est la même sculpture, merci pour les informations

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    1. Merci pour votre sagacité, cher Anonyme ! L'erreur est rectifiée.

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