Outre les scènes de la société et les bouquets, le Belvedere de Vienne compte une série importante de paysages peints durant la première moitié du XXe siècle, où domine le style Biedermeier.
Montagnes et lacs
La géographie d'un pays dicte naturellement les sujets retenus dans les paysages ; en Autriche, les vues de rivage et les marines ne seront possibles que lors de séjour à l'étranger, particulièrement lors du "grand tour" en Italie, LE voyage culturel du moment.
Le Danube pourrait constituer un sujet mais, bizarrement, il n'attire guère les peintres. Pas assez sauvage peut-être. La prédilection va vers les paysages escarpés, le lac, le torrent ou la cascade, si possible avec des sommets élevés dans le cadre. Rarement abordée jusque-là, la montagne se construit comme sujet pictural.
Les personnages sont rares et j'ai souvent l'impression qu'ils ne servent qu'à donner l'échelle, ce qu'il m'arrive de pratiquer dans des photos. Ce qu'on cherche avant tout, c'est la nature, verdoyante, si possible non touchée par l'homme.
C'est que nous sommes en pleine période romantique, où la ville est un repoussoir et l'artiste retourne à la nature, vivifiante, inspirante, reconstituante.
L'orage est un signe de vie, une métaphore de l'agitation des passions. La période Sturm und Drang, le premier romantisme, a laissé des traces durables, un peu comme le gothique qui fut maintenu pendant des siècles.
C'est aussi une période d'explorations. La montagne dangereuse, territoire vierge et donc terriblement excitant, attire des expéditions.
La photographie naîtra lors de ce siècle, mais en attendant du matériel aisément transportable, c'est la peinture qui fixe les images et documente ces lieux inconnus. Ender accompagne l'archiduc Johann d'Autriche dans cette équipée vers le Glossglockner, le point culminant du pays ; il se passionne pour la formation des glaciers, se demandant s'ils ont la même origine que les cours d'eau.
Le peintre n'emporte pas encore son chevalet ; mais le carnet de croquis et l'aquarelle permettent des esquisses ou des œuvres déjà élaborées, qu'on pourra retranscrire à l'huile dans l'atelier. L'aquarelle existe depuis des siècles (pensons aux merveilles que réalise Dürer avec ce médium !) mais elle explose littéralement au XIXe siècle, surtout grâce aux Britanniques qui exécutent partout des images de leur pays. Eux aussi développent d'ailleurs une fascination pour la montagne et ses lacs, en Ecosse ou dans le Lake District par exemple.
Adalbert Stifter est avant tout un écrivain important de la littérature germanique, mais il fut aussi un peintre renommé, comme le montrait l'exposition dans la maison natale de Schubert.
Celle-ci me semble une de ses meilleures toiles.
Ferdinand Georg Waldmüller, Die Ruine Liechtenstein bei Mödling (Les Ruines du château de Liechtenstein près de Mödling), 1848 |
Waldmüller, peintre de scènes de genre et de bouquets, offre aussi de beaux paysages, composés avec minutie.
Le château de Liechstenstein était encore en ruine à l'époque ; il ne fut reconstruit qu'à la fin du XIXe siècle.
Georges Michel, Gewitterlandschaft (Paysage de tempête), 1830/40 |
Le Français Georges Michel fut si influencé par la peinture hollandaise qu'on le surnomma "le Ruysdael de Montmartre". Ce peintre un peu oublié est pourtant considéré comme le précurseur de l'école de Barbizon.
Il fut très célèbre et est exposé au Metropolitan Museum, à l'Ermitage. On en voyait quelques-uns au Louvre, mais il faudrait que je retourne explorer les salles françaises du début XIXe pour savoir si c'est toujours le cas.
La Suisse, l'autre pays de montagnes
August Heinrich, Felsenschlucht im Uttenwalder Grund in der Sächsichen Schweiz (Gorge dans le Uttenwalder Grund, dans la Saxe suisse), 1820 |
Aller en Suisse, c'est voyager hors de l'empire (sensations excitantes !) tout en retrouvant les chers paysages de montagne. Heinrich propose un paysage romantique de gorge sauvage, tout à fait réussi.
Anton Schiffer, Im Elbsandsteingebirge (Dans les monts de sable de l'Elbe), 1841 |
La mer occupait autrefois toute cette zone et elle s'est retirée en laissant des masses de sable. L'Elbe les a ensuite écrasées, comprimées, et elles sont devenues du grès.
Situé sur deux pays, le massif gréseux de l'Elbe est aujourd'hui une curiosité aussi bien suisse que tchèque. C'était au XIXe une curiosité réputée que beaucoup de peintres peignirent ; l'oeuvre la plus célèbre demeure celle de C.D.Friedrich, que j'ai gardée pour la fin de cet article.
L'attrait pour l'Italie
Le '"Grand Tour" naquit au XVIIIe siècle, avec un programme varié (et variable !) parmi les merveilles de l'Italie. Venise, Tivoli et Naples figuraient presque toujours dans les étapes obligées.
Mais le XIXe systématisa ce programme, et la présence de ces voyageurs fortunés transforma les auberges en hôtels, les gargotes en restaurants... Le tourisme était né.
Par conséquent, le récit de voyage se développe, et l'Italie devient un thème pictural. Toute l'Europe, et tout spécialement celle du Nord, vient découvrir la lumière italienne, ses villes historiques, ses personnages pittoresques, et bien sûr la mer.
Von Alt voyagea en Italie à l'âge de vingt-trois ans avec son père, et il réalisa une grande quantité d'aquarelles réutilisées ensuite dans les toiles de son atelier.
C'est de l'excellente peinture, très bien réalisée ; le contraste de la toile précédente, l'effet de lointain avec le Vésuve sont très réussis. Mais je ne vois guère l'Italie ici. J'ai davantage l'impression d'un port hollandais ! Question de luminosité, peut-être.
Rudolf von Alt, Ansicht der Strada Nuova gegen die Giardini Pubblici in Venedig (Vue des Giardini Pubblici à Venise depuis la Strada Nuova), 1834 |
Ici, il me semble trouver un souvenir de Le Lorrain.
Notre Corot national voyagea longuement en Italie et y trouva matière à nombre de toiles délicieuses, représentant une part importante de son oeuvre. Celle-ci date de son troisième séjour italien.
L'Allemand Carl Blechen est un merveilleux peintre, qu'il faut aller découvrir à Berlin ! Il nous a laissé, entre autres, d'exquises toiles de Campanie.
Je n'ai pu faire mieux avec le reflet mais je ne voulais pas manquer cette superbe huile, légère comme une aquarelle.
Clair-obscur dramatique également pour cette vue inusitée du Lac de Garde, qui prend une teinte outre-mer.
Terni, superbe ville d'ombre, est riche de palais somptueux et d'une ancienne cathédrale. Mais les peintres préférèrent la grande Cascata delle Marmore, haute de presque deux cents mètres, dans un cadre naturel sauvage. La brume vaporeuse est rendue avec brio.
Joseph Rebell, Meeressturm beim Arco di Miseno bei Miliscola (Tempête en mer à l'Arc de Misène près de Miliscola), 1819 |
Joseph Rebell vécut une quinzaine d'années en Italie, à Milan, à Naples et à Rome, avant d'être appelé par l'empereur pour diriger la galerie du Belvedere.
Il réalisa de nombreuses peintures durant les étapes de ce long séjour. Le cap de Misène se trouve dans les Champs Phlégréens, à proximité de Naples, mais l'arc peint par Rebell n'existe plus. On suppose que l'action de la marée l'a érodé et qu'il s'est finalement effondré.
Rebell en a fait le point principal d'une œuvre avec, à nouveau, un contraste dramatique. Les rayons ajoutent à l'effet spectaculaire.
Joseph Rebell, Meeressturm beim Arco di Miseno bei Miliscola (Tempête en mer à l'Arc de Misène près de Miliscola), 1819, détail |
La mer tempêtueuse est extrêmement soignée, avec beaucoup de mouvement.
Cette excellente toile est restée la plus célèbre de son auteur.
Caspar David Friedrich
Le meilleur des peintres romantiques allemands selon moi, le plus représentatif. LE peintre romantique par excellence. Remarquable technicien, il s'entend comme personne à créer un climat, à rendre un paysage expressif.
Ces deux splendides paysages brumeux restituent parfaitement la notion de solitude : l'artiste est un être isolé face à la nature, souvent Muse inspiratrice et fabuleuse compagne qui l'écoute et l'accompagne. On retrouve les thèmes développés dans les poèmes d'Ossian, gigantesque canular littéraire qui fut un succès inimaginable et inspira poètes et peintres (voir Werther par exemple).
Caspar David Friedrich, Felsenlandschaft im Elbandsteingebirge (Rochers dans les monts de sable de l'Elbe), 1822/23 |
Cependant la nature accidentée et rocheuse, aux antipodes de la précédente, s'avère un sujet tout aussi fécond. Je pense à la phrase du sculpteur David d'Angers, "cet homme à découvert la tragédie du paysage".
Fort contraste, tronc renversé par la tempête, rochers instable, gorge mystérieuse, tout est réuni ici pour suggérer une nature impétueuse et malgré tout attirante aux yeux de l'artiste.
Très beaux tableaux, pour le plupart aussi inconnus que leurs auteurs, et commentaires très judicieux ! Merci beaucoup !
RépondreSupprimerEdwin
Merci infiniment, Edwin, pour ce chaleureux message !
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