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mercredi 2 octobre 2019

Paris : Saint Jean-Baptiste de Belleville, une église gothique du XIXe siècle


Saint Jean-Baptiste de Belleville a la réputation d'être la plus belle église néo-gothique de Paris. On va vérifier...




Les travaux sur la place compliquent légèrement l'accès et rendent ma photo de la façade plus problématique, mais tant pis, elle reste largement visible.

Lassus, le spécialiste du gothique



Saint Jean-Baptiste de Belleville, c'est le grand œuvre d'un architecte du XIXe siècle, remarquable bien qu'un peu oublié aujourd'hui.

Jean-Baptiste-Antoine Lassus était un fin connaisseur de l'architecture gothique. En véritable archéologue, il complétait son analyse approfondie des monuments par l'étude des textes conservés dans les fonds religieux et les bibliothèques, et c'était à son époque un spécialiste incontesté. A ce titre, il fut chargé de la restauration de nombreuses églises parisiennes : la Sainte Chapelle, Saint Germain l'Auxerrois ou Saint Séverin ; c'est lui qui choisit de replacer sur la façade de cette dernière le portail d'une église détruite, Saint Pierre aux Boeufs.

Il gagna le concours de la restauration de Notre Dame en même temps que Viollet-le-Duc, et ce partenariat fut fructueux. Lassus, l'érudit lettré, compléta largement la formation de son confrère et le résultat en porte la marque.


Grâce à ses études artistiques, ses recherches, et son expérience de restaurateur, Lassus  acquit une profonde compréhension du style gothique ; on lui confia donc la création de nouveaux bâtiments, à Nantes, à Moulins, à Dijon.

Portail principal, avec Saint Jean Baptiste au centre

Le gothique ne s'était pas brutalement arrêté en plein Moyen-Age : au XVIe siècle, on construisait encore des cathédrales gothiques en France, et l'Angleterre poursuivait la construction d'édifices gothiques sans rupture chronologique. Mais en France, les différents mouvements artistiques avaient finalement freiné cette expansion, et le gothique était devenu synonyme d'un art vieillot, compliqué, voire boursouflé.

Toutefois, au début du XIXe siècle, le Moyen-Age revient sur la scène : la littérature de Walter Scott s'impose en Europe, le style troubadour marque la peinture, l'ambiance médiévale déboule sur scène, au théâtre comme à l'opéra. On connaît la phrase de Laborde, « L'architecture gothique a ses propres beautés » , qui va s'imposer comme une évidence. On restaure donc les édifices mis à mal par la Révolution Française (églises bien sûr, châteaux et même cités comme Carcassonne) et, dans la foulée du Gothic Revival anglais, on se lance dans le néo-gothique.

Aujourd'hui on a souvent raillé la tendance de ces restaurateurs à réinventer les édifices par leurs ajouts dans les parties manquantes ; de même, le néo-gothique a souvent été méprisé et, me semble-t-il, il l'est encore aujourd'hui, alors qu'au Royaume-Uni ou aux Etats-Unis (où la problématique est différente), ces réalisations sont portées aux nues. Je pense notamment aux réalisations new yorkaises, Grace Church, Riverside Church  ou même au City College.

Et pourtant, on sent chez Lassus ou Viollet-le-Duc une vraie passion pour le gothique, et lorsque ce dernier construit le vrai-faux château de Pierrefonds, ce n'est ni par mercantilisme ni par volonté de duper le public, mais pour expliquer le fonctionnement d'une forteresse médiévale. Cette église Saint Jean-Baptiste, la dernière réalisation de Lassus, qui témoigne notamment de sa passion de l'ogive, me semble procéder du même principe.

Avec ce petit rappel, j'ai passé un peu vite sur la façade, pourtant exemplaire avec sa galerie de colonnettes et surtout ses magnifiques portails. Celui du centre fut réalisé par Perrey, à qui on doit aussi des frontons au Louvre.

L'intérieur



La nef est relativement étroite, mais ses 19 m de haut lui confèrent une belle élévation.


Lassus définit le programme iconographique de l'ensemble de l'église mais il en délégua la réalisation. Il commanda les cartons des vitraux à Steinheil, LE grand spécialiste du vitrail médiéval, dont les travaux se voient encore dans une foule d'églises, chapelles, cathédrales (Notre Dame, la Sainte Chapelle, les cathédrales de Chartres, Strasbourg, Bourges, ....). On mesure le soin à retrouver un style médiéval dans le trait, le bleu de lapis, mais aussi ce fond de cercles entrelacés.

Saint Jean-Baptiste de Belleville chapelle Calvaire

La décoration intérieure renvoie également au Moyen-Age : peinture à motifs (et on constate actuellement à Saint Germain des Près que, bien restaurée, elle produit son effet), bas-reliefs encadrés d'une structure gothique.

Saint Jean-Baptiste de Belleville nef culots de colonnettes

Ce n'est pas si fréquent d'admirer des figures dans la décoration néo-gothique, et je pense que c'est la culture de Lassus qui se manifeste dans ces culots de colonnettes.


A gauche, l'autel de Saint Joseph, et au centre, une des toiles de Leloir, postérieures au programme de Lassus.

Saint Jean-Baptiste de Belleville transept fresque Leloir Mariage de la Vierge
La fresque de Leloir, Le Mariage de la Vierge
Intéressante décoration murale à trois niveaux dans le transept, avec un effet de tenture. Je suis assez heureusement surpris par la relative fraîcheur des couleurs ; je ne pense pas que ces peintures aient été restaurées, du moins récemment.


Le chœur est très sobre et met en valeur la lumière et les couleurs des vitraux. C'est ici que se situe le baptistère, placé ici pour honorer le saint à qui l'église est dédiée.


Tout autour, le déambulatoire donne accès à sept chapelles rayonnantes.

Saint Jean-Baptiste de Belleville chapelle axiale

On retrouve la même volonté de présenter l'art médiéval, avec peut-être un peu plus d'incertitude stylistique.


Depuis le déambulatoire, la vue embrasse l'ensemble de la nef. Je me dis que l'effet est vraiment confondant : on se croirait dans un édifice médiéval. Au premier plan, on aperçoit l'octogone au sol, allusion à la Résurrection (du "huitième jour"). La chaire, à gauche, est une autre réalisation de Perrey.

Saint Jean-Baptiste de Belleville transept fresque

Saint Jean-Baptiste de Belleville nef orgues

La tribune est complètement occupée par les grandes orgues du grand facteur montpelliérain du XIXe siècle, Cavaillé-Coll.

C'est une église rarement visitée et pourtant passionnante, dans un bel état de conservation, bien éclairée, facilement accessible (Métro Jourdain). Une visite de plus que je conseille chaleureusement !

6 commentaires:

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  2. Excellent post! Great discovery of a fascinating church in Paris!
    Annie

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  3. Très intéressante visite commentée, merci beaucoup !
    Julien

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    1. Merci beaucoup à vous, Julien, pour cet aimable commentaire !

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