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dimanche 30 juin 2019

Paris : La Forza del Destino (La Force du Destin) à l'Opéra Bastille


J'adore La Forza del Destino, un des opéras de Verdi que j'aime beaucoup, qui contient un des plus magnifiques chœurs, avec des airs poignants. Malheureusement il n'est pas si souvent donné et je n'ai pas encore vu de proposition scénique que je trouve complètement passionnante. Je serai bien allé à Londres entendre la superbe distribution réunie par Covent Garden !
Mais je suis déjà ravi de l'entendre ce soir à l'Opéra Bastille.

La production de Jean-Claude Auvray



J'ai beaucoup vu, quand j'étais jeune, des productions de Jean-Claude Auvray, depuis la Tosca parisienne avec Pavarotti jusqu'à un grand nombre dans les théâtres du sud de la France. Une Forza del Destino, justement, à Orange, en 1996, à laquelle ce spectacle-ci ressemble beaucoup.




Beaucoup de points forts dans cette production : une scénographie épurée qui permet des changements de décor rapides, un beau livre d'images avec de somptueux éclairages. Plusieurs scènes fonctionnent vraiment très bien, notamment le chœur des moines émouvant dont la proposition visuelle s'accorde à la beauté de cette page sublime.


Très réussies, également, les scènes avec Preziosilla, pas si faciles à animer.


Le parti pris de replacer à l'époque de Verdi en soulignant l'appel au Risorgimento peut se défendre, et de toute façon, l'époque de l'action n'est pas l'essentiel dans un livret.

Le problème majeur, c'est le manque de théâtre, le déficit en direction d'acteurs. J'ai l'impression que les attitudes reposent bien plus sur la convention que sur le jeu. Par exemple, lorsque Carlo et Alvaro s'affrontent, ils restent à distance au lieu de se confronter, et alternent leur position (un à gauche, l'autre à droite) comme s'il fallait que les spectateurs sur le côté puissent bien les voir tous les deux.

Le statisme de cette vision fonctionnerait avec une direction d'acteurs maîtrisée mais hélas, on laisse les artistes adopter des attitudes d'antan, la main tendue en avant… Vision surannée, aux antipodes de l'intelligence scénique d'un Tcherniakov ou d'un Warlikowski, pour citer les metteurs en scène qui m'ont le plus marqué sur la scène parisienne ces dernières années.

Et la musique ?



C'est l'homogénéité d'un plateau solide qui m'a le plus frappé. Seconds rôles excellents et bien caractérisés ; les choristes Lucio Prete et Laurent Laberdesque ne déméritent pas, Rodolphe Briand s'avère un Trabuco percutant et Majdouline Zerari une digne Curra. Dans le rôle du Marchese, souvent sacrifié à des basses engorgées, je retrouve avec plaisir Carlo Cigni, qui colore sa partition sans chercher à appuyer et qui propose une composition juste et mesurée.


Gabriele Viviani me plaît beaucoup plus en Fra Melitone qu'en Dulcamara. Truculence, comique sans histrionisme, forte caractérisation sans cabotinage, il montre toutes les qualités que j'attends dans le rôle.


Preziosilla me semble bien plus adaptée à Varduhi Abrahamyan que son Ulrica, et c'est logique car la tessiture plus aiguë correspond mieux à sa vocalité. Cette artiste versatile, qui réussit de beaux Rossini (Malcolm, Arsace, Isabella), interprète son personnage avec beaucoup de panache et d'abattage, particulièrement un Viva la guerra très enthousiaste.


Le Polonais Rafał Siwek est pour moi un Padre Guardiano idéal : voix profonde et richement parée d'harmoniques cuivrés, superbe ligne de chant avec un legato d'une grande noblesse. Le personnage existe grâce à l'interprétation nuancée dont nous gratifie ce bel artiste.


Željko Lučić m'avait un peu inquiété dans son dernier Rigoletto aux aigus difficiles, et c'est un plaisir de retrouver ses qualités dans un Don Carlo vindicatif et pugnace, quu phrase superbement sa partition et offre une palette étoffée. Beau baryton verdien.




J'avais entendu Brian Jagde à Covent Garden dans Adriana Lecouvreur et je suis surpris de l'évolution de la voix, devenue plus large, plus puissante, plus musclée. C'est un solide interprète de ce répertoire, qui montre avec de jolis piani sa capacité à nuancer. Je pense qu'avec de tels moyens, il n'a pas à hésiter à aller plus loin dans cette voix et à multiplier les couleurs.


Succédant à Anja Harteros, Elena Stikhina a fort à faire pour passer après une interprète largement saluée. Elle a des moyens tout différents et, avec sagesse, elle ne cherche pas à maltraiter sa vocalité de grand soprano lyrique en appuyant ou en poitrinant ses graves. Elle montre, en revanche, une grande palette de teintes éclatantes ou ombrées, des aigus purs splendides, avec une maîtrise impressionnante de la dynamique. Le phrasé et le style sont particulièrement soignés. Une très belle artiste donc, qui devrait continuer à marquer la scène lyrique.


Au départ, la direction de Nicola Luisotti, dont j'avais apprécié le dernier Rigoletto du Met, me laisse circonspect : je trouve que le premier acte manque un peu de nerf, et certains décalages dans les parties chorales m'amènent à me demander si, ce soir-là, sa baguette est assez précise. La suite est bien plus probe, avec une scène des moines parfaitement conduite, beaucoup de vie dans celles de Melitone. Les contrastes tellement forts dans cette œuvre qui alterne comique et tragédie (à la Shakespeare) sont justement dosés, sans négliger l'unité d'ensemble. Le dernier tableau est parfait de bout en bout, et l'orchestre y émeut autant que les chanteurs.

Une belle soirée donc, d'un opéra vraiment trop rare. J'espère bien ne pas avoir à attendre plusieurs années pour le retrouver !

Željko Lučić

Elena Stikhina

Gabriele Viviani 

Nicola Luisotti

avec Varduhi Abrahamyan


Brian Jagde

avec Rafał Siwek

8 commentaires:

  1. Certainly a great performance! I know only the Overture of this opera, but it is a tremendous music!
    A pleasure to read your review. You look handsome on these pictures!
    Annie

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    1. Thank you Annie! It is such a kind message! I appreciate each word!

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  2. Une fois de plus, ton commentaire donne envie de ré-écouter cette oeuvre magistrale de Verdi!

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    1. Merci beaucoup, cher Anonyme ! L'anonymat est d'autant plus mystérieux que j'imagine que nous nous connaissons !
      Œuvre magistrale, je suis entièrement d'accord, d'autant plus que j'ai toujours un peu l'impression que c'est un opéra un peu sous-évalué.

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  3. Belle analyse détaillée. J'aurais bien aimé être dans la salle, j'adore cet opéra. A moi aussi, cela donne très envie de le réécouter !

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    1. Merci beaucoup, cher Anonyme ! Je vois que maintenant les commentateurs interagissent...
      Au programme, Forza pour tout le monde !

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  4. J'ai pris un retard monstrueux. Entre temps vous n'avez pas chômé. Intéressant compte-rendu avec votre analyse incisive.
    Pierre

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