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lundi 1 juillet 2019

Paris : L’Hôtel du Libre-Echange à la Comédie-Française





Pour ma dernière représentation théâtrale de la saison, je retrouve la Comédie Française, et un spectacle que j'avais déjà vu, avec une large partie de la distribution. Je ne l'ai pas raté lors de la captation télévisée, c'est dire si j'évolue en terrain connu.




Je regrette beaucoup de ne pas pouvoir assister à La Vie de Galilée, avec Hervé Pierre dont j'apprécie toujours les interprétations pleines de subtilité ; mais le spectacle se donnera ce soir, pendant que je serai dans mon train de retour !


Je n'ai cependant pas rechigné en voyant cet Hôtel du Libre Echange revenir sur la scène de la salle Richelieu  tant j'avais adoré la précédente série.



Une pièce hilarante et féroce



La force du théâtre de Feydeau (secondé par son complice Desvallières), c'est bien sûr un comique qui utilise à peu près tous les ressorts du genre, avec un net engouement pour les comiques de caractère et de situation (avec les fameux quiproquos), mais surtout une critique affûtée des petits-bourgeois mesquins, avares et lâches.

Dans L'Hôtel du Libre Echange, Angélique Pinglet est particulièrement gratinée ; elle demande à son mari de choisir un tissu pour qu'elle puisse opter pour un autre, puisqu'il n'a pas de goût. Elle l'accable parce qu'il a proposé à Mathieu de venir chez eux à Paris. Pinglet n'est guère plus tendre avec sa femme, mais pas davantage galant avec sa maîtresse d'un soir. Il faut dire que celle-ci, Marcelle, lui a tout d'abord déclaré qu'il était assez laid !

Question pingrerie, on est servi entre l'hôtelier qui découpe les bougies, les constructeurs qui économisent sur les matériaux, et le leitmotiv des cigares à l'acte II, produit onéreux et convoité.

Ajoutons un bègue dont le handicap est soumis aux caprices de la météo (invention théâtrale aussi réussie que le fauteuil extatique de la Dame de chez Maxim), un jeune philosophe déniaisé par la petite bonne, et des revenants prêts à affoler la clientèle...

L'hôtel nous offre une variante sur le thème de l'amant qui rencontre tous les personnages qu'il doit absolument éviter, un classique du vaudeville. Ici, dans ses chambres, tout le monde ne cesse de se rencontrer ; mécanisme (terme souvent employé pour qualifier les implacables dispositifs construits par Feydeau) qui ne cesse de s'emballer jusqu'à l'intervention de la police.


Production Nanty / Lacroix



Contrairement au Dindon de cette même maison, très épuré, ici c'est le choix du réalisme d'époque qui est retenu, avec toujours les décors astucieux de Christian Lacroix (dont c'était la première réalisation de scénographe). Si le bureau des actes I et III est assez classique, essentiellement dédié aux actions, le décor de l'hôtel est plus novateur. La division en chambres et palier n'a rien de surprenant, elle se contente de suivre les didascalies et l'action de l'acte II la rend nécessaire. C'est bien plus efficace qu'une tournette, justement parce qu'on voit tout en même temps.

La réelle idée, c'est de développer le décor en hauteur pour réaliser une passerelle et une vue poétique sur le ciel parisien, toits bleutés et lune comprise. En outre, l'espace se métamorphose par la simple adjonction d'un rideau de scène où Bastien vient entonner ses couplets. On s'éloigne du réalisme, comme si on prenait de la hauteur pour ponctuer d'un commentaire. Il me vient soudain l'idée aujourd'hui que ce n'est pas seulement à la tradition des intermèdes que cela fait référence (dans les comédies du XIXe siècle, on chante des couplets à la fin des actes notamment), mais peut-être aussi aux songs qui s'insèrent dans le théâtre brechtien. Hypothèse qui n'engage que moi !



La mise en scène ne cherche pas à proposer une lecture différente, mais davantage de permettre à la pièce de fonctionner pleinement tout en exploitant au maximum le talent phénoménal des comédiens.
On voit que scénographe-costumier et metteure (?) en scène ont œuvré main dans la main. Les touches poétiques du décor se retrouvent dans les idées scéniques, comme ce petit train qui traverse soudain le bureau.

Le travail d'Isabelle Nanty, comme elle l'écrit dans le programme, consiste surtout à ne jamais sacrifier la rigueur du mécanisme au "destin des personnages".



Travail de troupe



Malgré quelques changements par rapport à ma précédente représentation, dont Noam Morgensztern à la place de Laurent Lafitte en Bastien, je retrouve les mêmes comédiens dans l'essentiel de la distribution.


Je ne sais pas trop si aujourd'hui j'y accorde plus d'attention (on ne revoit jamais un spectacle comme à la première fois) ou si les comédiens ont approfondi leur interprétation, mais je suis vraiment frappé par l'exceptionnelle qualité des incarnations, mobilisant tout le corps, postures, gestes, regards, expressions, voix. La base du travail du comédien pourrait-on objecter, mais franchement, a-t-on si souvent l'occasion de le voir avec cette excellence unanime sur tout un plateau ?


Je me régale avec un plaisir gourmand. Impeccables petits nouveaux de l'Académie, talent éblouissant des jeunes de la troupe : Rebecca Marder, impeccable fille de Mathieu, Julien Frison, désopilant Maxime, et Pauline Clément, toujours aussi fraîche en Victoire délurée.

Nâzim Boudjenah incarne Ernest, Noam Morgenstern campe un Bastien gouailleur, dans un genre différent de Laurent Lafitte. Moins dandy, plus canaille. Sympathique Boulot de Bakary Sangaré, probe commissaire de Gilles David.

Christian Hecq réitère son extraordinaire Mathieu, incroyable composition totalement habitée jusqu'au bout des ongles. Fabuleux interprète grimacier, mélange de clown et de Louis de Funès, réussissant à offrir émission pâteuse (c'est que cette voix-là a une couleur et une musicalité inimitables) et diction limpide tout à la fois.

Florence Viala pare toujours Marcelle de la même classe, en donnant à lire d'infinies nuances dans son interprétation. Elle révèle littéralement ce qui se passe dans sa tête au moment où elle change d'avis pour céder à Pinglet, ou quand elle doit providentiellement s'évanouir...

Jérôme Pouly a encore approfondi son interprétation de Paillardin, rôle difficile car plus lisse : bon ami, bon mari, à qui son épouse reproche sa fadeur. Ce n'est pas évident de lui donner du relief, mais il ne faut pas pour autant le décolorer davantage. Tout le travail du comédien est de lui donner une épaisseur en le dotant de sensibilité, et en réussissant même à le rendre émouvant.

Anne Kessler est également éblouissante en Angélique Pinglet, l'épouse acariâtre. Le travail sur la diction, sur le corps est époustouflant. Au moment où son personnage reçoit la convocation au commissariat (soupçonnée d'adultère), la manière dont elle se sert de la posture pour dévoiler ses sentiments successifs est époustouflante. Formidable création de grande comédienne.

Avec Michel Vuillermoz, l'excellence et la virtuosité sont au rendez-vous. Virevoltant, changeant sans cesse, transmettant au spectateur le moindre des affects du personnage, c'est un travail tout aussi extraordinaire.

Anne Kessler

Julien Frison, Noam Morgensztern

Gilles David

Rebecca Marder

Bakary Sangaré

Christian Hecq

Michel Vuillermoz

8 commentaires:

  1. A second great performance of a funny play with superb french actors.
    A great pleasure for a theater lover, wasn't it?
    Thanks for sharing us your thoughts about this masterpiece!
    Congrats for this excellent post.
    Annie

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    1. What a pleasure to read such a lovely message!
      Thank you very much, Annie!

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  2. Howdy very cool blog!! Guy .. Beautiful .. Wonderful ..
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    techniques in this regard, thanks for sharing.

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    1. Thanks, dear Anonymous! I appreciate your nicest feedback.

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  3. Quand ce répertoire est aussi bien servi, un gourmet de théâtre comme vous l'êtes ne peut que savourer son plaisir avec élégance !
    J'admire votre capacité à argumenter vos impressions ; vous savez mettre des mots sur vos choix bien au-delà du j'aime /j'aime pas !
    C'est aussi la clarté de vos analyses qui rend ce blog si passionnant.
    Félicitations.
    Pierre

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  4. Que de remerciements j'ai à vous retourner, Pierre !
    Je demeure persuadé que le sentiment reste plus difficile à partager que l'opinion, bien plus aisée à justifier. Et, franchement, est-ce que cela vaudrait la peine de passer autant de temps à tenir un blog si c'était simplement pour écrire j'aime /j'aime pas ? Je n'oblige personne à suivre mon avis, mais je tiens à expliquer pourquoi je le formule.

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  5. Ce lieu que tu fréquentes depuis longtemps fait ton plaisir, si bien que tu as entrepris un travail de romain pour partager ce spectacle parfait, avec les qualités de tous les acteurs. Merci car la lecture est passionnante, digne des meilleurs critiques. Merci encore pour le travail accompli et surtout le plaisir que tu m’as permis de prendre.
    Gros bisous. Mam.

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    1. C'est qu'au deuxième article sur le même spectacle, et avec quasiment la même distribution, il me fallait rédiger différemment et détailler ma réflexion !
      Grand merci, gros bisous

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