Paris : Exposition Vasarely au Centre Pompidou

Je suis très content de voir cette exposition, Le Partage des formes, que le Centre Pompidou consacre cette année à Vasarely, un artiste qui fut un peu méprisé, sans doute un peu oublié aujourd'hui, mais dont l'empreinte reste bien présente, ne serait-ce qu'avec le logo de Renault que chacun peut voir dans la circulation routière.



Quand j'étais petit, dans les années 1970, c'était un artiste extrêmement populaire. Tout "living" (c'était le nom des salons à l'époque) un peu moderne devait avoir sa reproduction de Vasarely, une sérigraphie si les moyens le permettaient, encadrée d'aluminium brossé pour faire contemporain. Les livres, les disques étaient illustrés de ses œuvres. C'était l'époque où des tableaux ornaient les pochettes, bien avant que les interprètes n'en prennent possession.

En outre, dans ma Provence natale, on pouvait visiter le musée Vasarely. ouvert en 1970, dont je garde un excellent souvenir. Je me rendis à plusieurs reprises à la Fondation Vasarely pendant mes études à Aix.
J'ai gardé pendant très longtemps une carte postale, que j'avais même encadrée, de ma première visite. J'en avais profité pour faire un exposé en classe, au CM1 ou CM2 sans doute…

Je pense que l'Op-Art (pour art aux effets optiques) fut finalement bien plus populaire en France que le Pop-Art, qui conservait malgré tout un côté plus cérébral.

L'Op-Art, avec ses illusions d'optique immédiatement perceptibles et son aspect souvent joyeux et coloré, était facile à saisir, et chacun pouvait voir que "c'était trop fort". Plus que Le Parc, Soto ou Diez, c'est Vasarely qui fut la figure de proue médiatique et reconnue à cette époque. L'exposition actuelle n'insiste guère sur les origines (les recherches coloristes de Turner, les théories de Kandinsky et la formidable aventure du Bauhaus) pour mettre en valeur cette importance populaire, déclinée en de multiples supports.

Pour l'occasion, le vaste hall du Centre Pompidou s'orne d'un portrait du président qui souhaita cet espace, réalisé évidemment par Vasarely. Ce type d'image en bandes avait un énorme succès à l'époque.

Quelques objets dérivés actuels…

Débuts dans la publicité

Le Hongrois Vasarely s'est formé à Budapest, en étudiant au Mühely, un centre d'art expérimental très proche du Bauhaus, dirigé par Sandor Bortnyik, la grande figure du modernisme de l'Est.

Il arrive très tôt à Paris, en 1930, et travaille rapidement dans la publicité. Hergé ou Magritte se sont aussi illustrés dans ce milieu dans ces années-là !

La série des zèbres de ces années 1930 est déjà traversée de mouvements et d'ondulations qui seront explorées ultérieurement.

Le goût pour la forme et l'illusion d'optique apparaît très vite, dans des motifs que je relie toujours au symbole yin/yang sans savoir si Vasarely le connut un jour !

La maîtrise du trait dénote une solide formation.

Les publicités avaient tout de même une sacrée classe ! L'art de l'affiche est un pan immense de l'histoire de l'art, avec ses stars, ses influences, ses recherches formelles. J'ai un peu le sentiment que tout cela s'est standardisé et affadi aujourd'hui.

Travail sur les structures…

Il me semble voir ici l'influence de Malevitch.

Et encore plus ici.

Courbes et lignes

Pureté de la ligne. Après la guerre, Vasarely séjourne à Bell-Île-en-Mer et l'observation des galets l'apaise. Il lui semble qu'ils apportent une impression d'unité rythmique. Cela le lance dans une série féconde.

Une œuvre composite qui inclut de véritables galets. Le rapprochement avec les travaux de Fontana ou certains de Picasso me semble évident.

Installé à Gordes, Vasarely découvre le soleil du Midi, comme Van Gogh avant lui et de Staël à quelques encablures. Le contraste puissant entre ombre et lumière crée une géométrie qu'il réinterprète dans de nouvelles séries.

Noir et blanc

Dans les années 1950, nouveau terrain de recherche. Vasarely abandonne la couleur en épurant sa palette : du blanc pur, du noir intense, quelques gris. Le sujet du moment, c'est retrouver les recherches de jadis sur le mouvement.

Intéressé par la physique, il cherche à créer une sensation d'énergie dans ses toiles. Le positif et le négatif sont un des moyens utilisés.

L'abstraction géométrique est devenue cinétique. L'œil est sans cesse emporté dans la toile sans parvenir à se fixer. Un champ novateur s'ouvre à l'abstraction.

Les toiles que je vois ici rappellent, en noir et blanc, celles de Julio Le Parc vues à New York.

Mouvement et relief, l'œil est sans cesse abusé. Ce sont des voies que l'art (surtout réaliste) n'a cessé d'explorer, avec ses grandes étapes comme le travail sur la perspective.

Une écriture

Dès ses débuts, l'abstraction recherchait un langage universel. Vasarely retrouve cette idée de l'alphabet en imaginant des formes géométriques basiques déclinées en autant de couleurs.

L'artiste retrouve sa fonction universelle ; des boîtes sont alors éditées avec les formes de base afin que chacun puisse s'exprimer et réalise sa propre création. Il vise à produire ainsi un "folklore planétaire".

L'évidence du système saute aux yeux : le carré et le cercle imposées comme formes universelles, des couleurs intenses (ce n'est pas l'époque du pastel) permettent une infinité de combinaison.

Ces recherches artistiques vont trouver un écho. Le pixel et la cybernétique en sont les descendants directs.

L'œuvre ne produit plus du relief, ni même vraiment de mouvement, mais semble être traversée par une tonicité lumineuse.

Ces effets de dégradés construits avec une très stricte recherche chromatique sont emblématiques des années 1960.

J'ai photographié en rasant la toile pour montrer le collage, comme si l'œuvre avait été fabriquée à partir de la boîte de formes.

Arts appliqués

Grande thématique du XXe siècle depuis le Bauhaus, qui a tellement influencé nos vies : l'art doit s'immiscer dans le quotidien. Vasarely est prêt à investir tous les champs et accepte une quantité inouïe de commandes dans tous les domaines.

Il retrouve la publicité de ses débuts, et le logo créé pour Renault en 1972 a peu évolué depuis.

Vedettes du rock et de la pop, défilés de mode, livres, disques… Tout s'orne de la "marque" Vasarely.

La collection TEL de Gallimard. J'en ai encore plusieurs…

Et les 3D de Deutsche Gramophon ?

Au cinéma aussi…

Ca fait longtemps que je n'ai pas vu ce film avec Belmondo. J'en garde le souvenir d'un thriller très efficace.

Un classique…

La décoration d'intérieur est alors obligatoirement "vasarelienne". Dans les années 1990, on pouvait encore en voir. Ici, c'est la salle à manger de la Deutsches Bundesbank.

Diffusion populaire en sérigraphie, posters…

Ma carte postale reproduisait l'œuvre à droite.

Ce n'est pas nouveau ; la peinture sur éventail ou sur assiette, ça ne date pas d'hier. La Secession à Vienne s'était aussi marquée par une influence vive dans les "arts de la table".

Architecture

Le désir d'universalité lié à la dimension sociale de cet art devait nécessairement conduire à l'architecture, le moyen de réaliser la "Cité Polychrome du Bonheur".

Il s'agit bien d'un modèle d'architecture !

En 1954, Vasarely avait pu travailler sur le projet de Cité Universitaire de Caracas. Dans les années 1970, les chantiers se multiplient, et il signe des projets fameux comme la façade de l'immeuble RTL.

Jusque dans le décor d'opéra… Je n'ai hélas pas vu ce Tannhäuser  à l'Opéra Garnier, qui ne fut malheureusement jamais repris. Un de mes grands regrets.