Pages

mardi 29 mars 2022

Vienne, Albertina : Exposition Amedeo Modigliani (3)

 

Après la première et la seconde parties, voici la dernière consacrée à la riche exposition de l'Albertina de Vienne consacrée à Amadeo Modigliani. Portraits et nus, cette fois.

 Portraits

Vienne, Albertina : Amedeo Modigliani, La Fille à la frange, 1917

Le paysage (on en connaît quatre de lui, mais aucun n'est présenté ici), la nature morte, les scènes de groupe n'intéressent pas Modigliani. Un seul sujet pour lui, le portrait, creusé avec passion. La sculpture est oubliée mais laisse des traces, peut-être notamment ce fameux regard vide (même si on verra quelques pupilles dans ce troisième volet). La palette chaude est privilégiée, parfois avec quelques teintes froides en contraste. Le fond reste neutre, abstrait, avec tout au plus quelques lignes.

Vienne, Albertina : Amedeo Modigliani, La Fille coiffée en escargot, 1918

La composition frontale domine, et les regards qui se dirigent de côté ne sont pas les plus nombreux. Le cou allongé, influencé par les sculptures Fang et Khmer, est très répandu.

Vienne, Albertina : Amedeo Modigliani, Portrait de jeune femme, ca. 1918

Les personnages sont souvent issus du peuple et Modigliani retient, quand il n'impose pas, des vêtements simples qu'il traite en larges aplats. Peu de bijoux, de colifichets, de détails.

Vienne, Albertina : Amedeo Modigliani, Portrait de jeune femme (détail), ca. 1918

La peinture légère ne masque pas toujours le tracé, et on voit dans ce procédé une véritable recherche artistique.

Vienne, Albertina : Amedeo Modigliani, L'Algérienne (Almaisa), 1917

Portrait gouailleur qui se détache de la série.

Vienne, Albertina : Amedeo Modigliani, Fille en robe jaune, 1917

Modigliani peignit beaucoup de femmes (et quelques hommes) assises, qu'il associait aux Maestà, des Vierges en majesté étudiées dans ses premières années. Les murs de son appartement étaient couverts de reproductions d’œuvres des artistes de la Renaissance, de Botticelli à Titien. Il déclarait qu'on ne pouvait faire de la peinture contemporaine sans une connaissance approfondie de l'histoire de l''art.

Comme jadis Caravage, Modigliani choisit beaucoup de prostituées pour ses modèles.



Le retour à ces sources italiennes et l'allusion récurrente à la Vierge est vraisemblablement dû à la période de la guerre et à ses atrocités. Il retient souvent des figures hiératiques et inexpressives, des sortes de déités.

Vienne, Albertina : Amedeo Modigliani, Garçon au pull rayé, 1918

Certes, le regard conserve ce bleu-gris habituel, auquel le fond (toujours aussi indéfinissable malgré les quelques traits) paraît s'assortir. Cependant, cette fois, Modigliani a choisi de peindre la pupille, et son sujet semble adresser au spectateur une expression ironique.

Pendant son séjour dans le sud de la France, Modigliani, futur père, s'intéresse aux portraits d'enfant. Il conservait toujours avec lui une carte postale représentait le Garçon à la veste rouge de Cézanne. La Fillette en bleu semble le pendant du précédent.

Vienne, Albertina : Amedeo Modigliani, Fillette en bleu, 1918

La Fillette en bleu est une exquise réussite où Modigliani restitue avec précision la gaucherie et la timidité de son petit modèle.

Vienne, Albertina : Amedeo Modigliani, Jeune homme au chapeau, 1918

Un jeune homme au visage triangulaire, très allongé, et au cou démesuré. Pas de regard et pourtant, beaucoup d'expression.

Vienne, Albertina : Amedeo Modigliani, Femme rousse à la chemise blanche, 1918


Vienne, Albertina : Amedeo Modigliani, La Bourguignonne, 1918

Vienne, Albertina : Amedeo Modigliani, La Petite Servante, 1916

Bien que les deux titres soient différents, on a vraiment l'impression du même modèle. Et plus encore, de la même séance de pose.


Vienne, Albertina : Amedeo Modigliani, Annie Bjarne, 1919

Annie Bjarne et son mari, le peintre Nils von Dardel, se joignent à la communauté cosmopolite de Montparnasse où on accueille chaleureusement ce couple de Suédois. Modigliani réalise son portrait ainsi que celui de sa compatriote Thora Klinkowström.

Vienne, Albertina : Amedeo Modigliani en 1918

Vienne, Albertina : Amedeo Modigliani dans son atelier de Montmartre en 1915
 
Vienne, Albertina : Amedeo Modigliani, Jeune femme en robe bleue, 1917

Jeanne Hébuterne

Vienne, Albertina : Amedeo Modigliani, Jeanne Hébuterne, 1919

En 1917, Modigliani rencontre à l'Académie Colarossi une étudiante en art de dix-neuf ans, Jeanne Hébuterne. On la surnomme Noix de coco en raison de son teint laiteux de rousse et elle pose aussi pour Leonard Foujita. Elle étudie également la musique, joue du violoncelle. 

Après ses relations avec Anna Akhmatova et Beatrice Hastings, elle est la première femme à réellement partager sa passion pour la peinture.


Vienne, Albertina : Amedeo Modigliani, Jeanne Hébuterne (détail), 1919

 Ses parents sont opposés à leur union ; catholiques, ils voient d'un mauvais œil la liaison avec un peintre juif hors du mariage. Cependant, les amoureux aménagent rue de la Grande Chaumière à Montparnasse, tout près de l'Académie Colarossi. Ils y peignent côte à côte... 

Je réalise que j'ai déjà vu des peintures exécutées par Jeanne, et que je les avais complètement oubliées !

La guerre les pousse à se réfugier à Nice, en compagnie de la mère de Jeanne, de Soutine, des Zborowski et du marchand Paul Guillaume. C'est là que naît leur petite fille, Giovanna. Ni l'un ni l'autre n'en feront le moindre portrait.

Modigliani aurait voulu l'épouser mais il n'avait pas les documents nécessaires. Il écrit cependant un certificat en juillet 1919.

  
Vienne, Albertina : Amedeo Modigliani, La Rouquine (Jeanne Hébuterne), 1918

Quand meurt Modigliani, elle est enceinte de leur deuxième enfant et retourne chez ses parents qui acceptent de l'accueillir. Mais, désespérée, elle se défenestre deux jours après le décès d'Amedeo.

Vienne, Albertina : Amedeo Modigliani, Jeanne Hébuterne, 1918

 En 1918, Amedeo la peint selon la tradition des portraits de profil, que les peintres italiens du Quattrocento ont illustrée si fructueusement (le Portrait d'une Princesse de Pisanello, celui des époux Montefeltro de Piero della Francesca, les Botticelli et tant d'autres). La palette, le choix de la robe rouge me semblent renvoyer directement à cette tradition.

Vienne, Albertina : Amedeo Modigliani, Les Cheveux Noirs, 1918

Picasso acheta dans les années 40 ce portrait, conservé alors en collection privée. A ce moment-là, la guerre amène le peintre à s'intéresser à ces portraits impassibles devant les privations et les atrocités de la guerre. La collection de Picasso comprenait plus de deux cents pièces, des sculptures ibériques et africaines, des peintures de Corot, Vuillard, Cézanne, Gauguin...

Il est donc exposé aujourd'hui au Musée Picasso, à Paris.

Vienne, Albertina : Amedeo Modigliani, Femme assise, 1918

Vienne, Albertina : Amedeo Modigliani, Elvira au col blanc, 1917-8

Elvira, dite La Quique (francisation de La Chica) , est une entraîneuse de Montmartre qui figure sur une série de tableaux du peintre ; si, sur plusieurs d'entre eux, elle paraît sage avec son col de dentelle, elle pose également nue pour Amedeo. En fait, ils ont entretenu une relation passionnée et rapide.

 Les Zborowski

 

Vienne, Albertina : Amedeo Modigliani, Leopold Zborowski, 1916
 

 Le poète Leopold Zborowski se réfugie à Paris en 1914, en provenance de Cracovie alors dévastée par la guerre. Il est détenu quelques mois. Relâché, il est engagé par Paul Guillaume, le fameux marchand d'art. Il demeure le premier à reconnaître son talent et assiste généreusement le peintre désargenté.

Amedeo exécute trois portraits de lui, dont celui-ci dessus, une sorte de Christ pacifique et serein cerné d'une auréole lumineuse. Très beau portrait d'un ami.

Vienne, Albertina : Amedeo Modigliani, Hanka Zborowska, 1916

C'est en 1915, au café La Rotonde, que Zborowski rencontre Hanka (Anna), venue à Paris retrouver sa sœur Zophia. Ils ne se quitteront plus. L'un et l'autre deviennent de proches amis d'Amedeo et de sa compagne.






Vienne, Albertina : Amedeo Modigliani, Hanka Zborowska, 1918-9

Les nus

Vienne, Albertina : Amedeo Modigliani, Femme à demi-nue, 1918

Ses études aux Académies de Florence et de Venise ont déjà mené Modigliani à la peinture de nus. A son arrivée à Paris, il est rarement capable de payer des modèles ; mais il peut suivre les cours des Académies Ranson, à Montmartre, et Colarossi, à Montparnasse.

Ce nu, peint durant son séjour sur la Côte d'Azur en 1918/1919, est à nouveau celui d'une prostituée ; à Nice, on ne trouve pas de modèle professionnel ! Ici Modigliani choisit la pose de la Venus pudica, directement issue de Botticelli et de Raphael, qui cache (à peine) sa poitrine de son bras.

Vienne, Albertina : Amedeo Modigliani, Femme nue assise, 1917

C'est Leopold Zborowski qui pousse Modigliani à peindre des nus, peinture rentable pour laquelle il a des clients (Jonas Netter et Roger Dutilleul). Il aménage un atelier avec des murs rouges, à côté de son propre appartement (rue Joseph Bara, à Montparnasse) et lui procure des modèles. Cela tire Modigliani de la misère dans laquelle il vit alors.

Le peintre est rapidement devenu un maître grâce à la méthode de l'Académie Colarossi, des séances de cinquante minutes après lesquelles les modèles changent de pose, qui réclame un regard aigu et un trait rapide.

Vienne, Albertina : Amedeo Modigliani, Femme nue couchée, 1917

Vienne, Albertina : Amedeo Modigliani, Femme nue couchée, 1917

Dès ses premiers nus de 1916, Modigliani se concentre sur un fort contraste qui met en valeur la chair. En coupant les jambes, il crée un effet de plan rapproché.

Le cartel parle d'une figure cycladique couchée avec ses formes abstraites et un petit nombre de détails, parmi lesquels les yeux. Ce portrait évoquerait sérénité et tranquillité.

Vienne, Albertina : Amedeo Modigliani, Femme nue couchée (Lolotte), 1917-8

Vienne, Albertina : Amedeo Modigliani, Femme nue au coussin, 1917

Ici, Modigliani peint une femme au regard provocant, et la carnation jaune-orangé donne l'impression d'un portrait nocturne éclairé artificiellement, comme dans l'intimité.

Vienne, Albertina : Amedeo Modigliani, Femme nue, bras droit sous la tête, 1919

A la fin de 1917, Modigliani a déjà peint vingt-cinq nus. Il en a exposé vingt dans la galerie de Berthe Weill, la seule exposition publique de sa vie. Malheureusement, c'est un scandale. La police confisque toutes les peintures, "une offense à la décence publique". Modigliani n'en vend pas un seul durant cette exposition et sera durablement marqué par cette aventure.

Alcoolique, toxicomane, il souffre d'une méningite tuberculeuse et refuse de se soigner, malgré l'offre de Leopold Zborowski qui veut l'envoyer dans un sanatorium en Suisse. On l'amène en urgence le 22 janvier 1920 à l'hôpital de la Charité, et il y meurt deux jours après. Il a trente-six ans. Ironie du sort, il devient célèbre presque immédiatement après.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Un grand merci de prendre le temps de laisser un commentaire. Je promets de le lire aussi vite que possible.
N'hésitez pas à signer votre message, ce sera encore mieux : je n'ai AUCUN moyen de connaître votre nom, votre e-mail, ou votre blog.
Si vous préférez que vos coordonnées n'apparaissent pas, mais que je vous réponde en privé, utilisez le formulaire de contact, accessible sur la version web du blog.