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mercredi 30 mars 2022

Vienne, Staatsoper : Adriana Lecouvreur

 

A Vienne, une représentation d'Adriana Lecouvreur avec Ermonela Jaho, Brian Jagde, Elīna Garanča et Nicola Alaimo.

 Alors que le vérisme n'est pas ma tasse de thé, j'avoue une petite faiblesse pour Adriana Lecouvreur. J'ai les mélodies en tête sans avoir besoin d'y creuser des tranchées, et je sacrifie les écueils du livret aux grands moments dramatiques de l’œuvre : les interventions de Michonnet, magnifique rôle, l'affrontement avec la Bouillon, le dernier acte. Comme je ne vois pas cet opéra tous les jours, c'est avec plaisir que je vais assister à cette représentation.


La production de David McVicar

La production de David McVicar tourne sur toutes les grandes scènes depuis 2012, et je l'ai vue aussi bien à Londres qu'à New York. A Vienne, elle a déjà accueilli Angela Georghiu et Anna Netrebko.

C'est une production sage qui se contente d'illustrer le livret en restant au premier niveau de lecture. Elle permet de bien suivre si on en est à sa première Adriana, pas de doute ! 

Le théâtre présent sur scène, et encore au dernier acte, insiste bien sur la fusion entre le théâtre et la vie et n'oublie jamais qu'Adrienne Lecouvreur fut bien une grande tragédienne. Le luxe des décors et des costumes ajoute à la vraisemblance. Pour le reste, tout repose sur les talents de comédiens des interprètes, sans direction d'acteurs impressionnante. Par exemple, Ermonela Jaho est bien meilleure quand elle est mieux dirigée, bridant sa tendance naturelle à l'emphase dans le drame.

C'est vrai que le livret n'est pas exceptionnel, et le coup du bouquet de violettes un peu gros. L'opéra se base sur les sentiments et les rivalités des personnages, et toute ma vie j'ai toujours vu ce type de mise en scène. Je pense tout de même qu'un metteur en scène un peu iconoclaste pourrait mettre un grand coup dans ce fatras et dynamiser les affects.



Un beau plateau


Vienne, Staatsoper : Ilja Kazakov, Ileana Tonca (Adriana Lecouvreur)

Même si cet opéra repose beaucoup sur son quatuor principal, il demande une troupe solide pour assurer la série de seconds rôles. Les quatre "comédiens" sont tenus par les jeunes Ilja Kazakov et  Angelo Pollak (membre du studio) pour les messieurs, Patricia Nolz et l'inusable Ileana Tonca, membre de l'ensemble depuis 1999 qui a plusieurs centaines de représentations sur cette scène à son actif. Tous sont impeccables, et le timbre reconnaissable d'Ileana brille toujours !

Vienne, Staatsoper : Andrea Giovannini, Patricia Nolz, Angelo Pollak (Adriana Lecouvreur)

Andrea Giovannini campe un excellent abbé, avec une voix "de caractère" parfaite pour le rôle. Je l'ai jadis entendu en Hoffmann, rôle qu'il ne pourrait bien sûr plus tenir aujourd'hui, mais il est cette fois bien distribué (mieux qu'en Beppo l'an dernier).

Vienne, Staatsoper : Evgeny Solodovnikov, Elīna Garanča (Adriana Lecouvreur)

 Evgeny Solodvnikov incarne un Prince de Bouillon de grand luxe : voix richement timbrée et bien sonore, composition intéressante d'un noble conscient de son rang et néanmoins marqué par une certaine noirceur. Une des meilleures interprétations que j'ai vues de ce personnage.

Vienne, Staatsoper : Nicola Alaimo, Andrea Giovannini (Adriana Lecouvreur)

Le rôle de Michonnet, l'ami fidèle qui souffre de ne pas être autrement aimé, est un vrai cadeau pour baryton. Nicola Alaimo, qui l'a beaucoup interprété, offre une splendide composition, pleine d'émotion. La diction parfaite se double des talents du comédien qui donnent au mot son juste poids, et le timbre chaleureux correspond bien au personnage. Nicola m'a dit qu'il adorait ce rôle, et je le comprends car sa gentillesse naturelle s'exprime naturellement dans la bonté de Michonnet.


Vienne, Staatsoper : Elīna Garanča (Adriana Lecouvreur)

Elīna Garanča n'a pas totalement convaincu un ami que je retrouvais ce soir, qui lui reprochait ses graves poitrinés. Je dois bien confesser que j'adore les Princesses de Bouillon qui poitrinent ! Elle pourrait être davantage déclassée, faire une composition à la Bette Davis, ce que Cossotto réussissait parfaitement. Son choix serait plutôt de montrer la menace et le danger sans perdre son rang. Une lame acérée, mais une lame noble. Et, dans cette perspective, c'est une interprétation réussie, avec des aigus splendides. Son acte III est particulièrement mémorable, et elle s'y montre parfaite diseuse.

Vienne, Staatsoper : Elīna Garanča, Ermonela Jaho, Brian Jagde (Adriana Lecouvreur)

J'avais entendu dans cette production le Maurizio de Brian Jagde à Londres, que j'avais trouvé prometteur mais un peu vert. Il a peaufiné sa technique et coloré son timbre solaire, et la voix a gagné en souplesse dans la dynamique. Il possède bien la brillance vocale que réclame le rôle, et il pourrait encore varier les couleurs pour gagner en musicalité.

Je pense surtout que le choix du duo avec Ermonela Jaho n'est pas une excellente idée de distribution ! La voix solide et puissante de celui-ci n'est pas idéale pour la fragilité de celle-là, poussée dans ses retranchements pour ne pas faiblir.

Vienne, Staatsoper : Brian Jagde, Ermonela Jaho, Nicola Alaimo (Adriana Lecouvreur)
 

Reste le cas Ermonela, justement. Elle adore ce type d'ouvrages bien dramatiques et sait restituer la noblesse de ses personnages ; en ce sens, elle réussit particulièrement le dernier acte, avec une émotion bien dosée. Et c'est vrai qu'elle sait parfaitement mourir en scène !

 Il faut bien reconnaître que si le registre aigu a gardé sa qualité et offre toujours de beaux piani, la chanteuse est obligée de puiser dans toutes ses réserves techniques pour assurer un grave et un medium, aujourd'hui plus fragiles. Et comme je l'ai dit, il faudrait qu'elle soit mieux dirigée scéniquement pour éviter que le drame ne tire vers le mélodrame. Son Poveri fiori a de la tenue mais je l'ai trouvé bien trop lacrymal.

Vienne, Staatsoper : Asher Fisch, Ermonela Jaho (Adriana Lecouvreur)

A la place d'Omer Meir Wellber initialement prévu, on retrouve Asher Fisch, remplaçant de luxe. Lui aussi pourrait brider ses troupes ; les forti de l'orchestre ne facilitent guère le travail des chanteurs ! Mais il met en valeur la qualité légendaire des timbres, la soyeuse texture des cordes et dirige d'un geste ample qui nous gratifie de somptueux moments. Le ballet est une petite merveille, sans que ce soit la meilleure musique du monde.


Elīna Garanča

Ileana Tonca

Andrea Giovannini

Asher Fisch

Nicola Alaimo

Ermonela Jaho

Ilja Kazakov

Brian Jagde


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