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mardi 1 décembre 2020

Vienne : Altlerchenfeld et son église

 

Un quartier méconnu, une surprenante église à la voûte étoilée... une découverte imprévue.

 

Après ma promenade dans Schottenfeld, je me réfugie dans un café pour passer une série de longs coups de téléphone. Je dois gérer à distance le suivi de ma fâcheuse rencontre avec un sanglier, et ce n'est pas simple.


Autant en profiter pour ne pas se laisser aller. Maroni-mousse, un peu industriel mais satisfaisant, et espresso tout à fait idiomatique me requinquent un peu.

Je consulte le plan pour vérifier où mes pas m'ont guidé. Me voici dans Altlerchenfeld, un quartier dans un quartier d'autres -Feld comme le Neulerchenfeld. Le suffixe désigne le champ et renvoie au Moyen-Âge encore campagnard. Il y avait donc des champs aux alouettes (Lerchen), et un quartier est le nouveau (Neu) tandis que celui où je me trouve est l'ancien (Alt). Les alouettes en question semblent avoir pris leur envol depuis longtemps ! A moins que tout cela est un rapport avec des mélèzes, Lärchenbäumen, mais j'en doute...

Le quartier fut acheté à Leopold I au XVIIIe siècle et utilisé pour la viticulture. Les vins autrichiens étaient réputés, et c'est incroyable qu'ils soient encore si méconnus. Je suis un fan du cépage local, le Grüner Veltliner !

 

Peu de curiosités dans le quartier, un parc (Josef-Strauss, je ne sais à qui il est dédié) et une église du XIXe, période qui a produit beaucoup d'édifices religieux de qualité inégale. Je suis prêt à tenter le coup !


L'église d'Altlerchenfeld

 


L'histoire de l'église est bien complexe ; le projet initial, un édifice néo-classique de Paul Wilhelm Eduard Sprenger, fut abandonné. On songea à une version néo-Renaissance, dans le style du Ferstel-Passage. Les fondations étaient en place lorsque la guerre éclata. On voulut ensuite revenir à des styles médiévaux, néo-roman ou néo-gothique. Les projets ne cessaient de se succéder...

Le ministre von Pillersdorf donna son agrément à celui de Johann Georg Müller ; manque de chance, celui-ci décéda subitement.



C'est finalement Franz Sitte, un architecte autrichien, qui reprit les travaux. Ce fut sans doute un succès car on lui confia peu après la façade de l'église des Piaristes. Il opta pour une version assez économique de briques, en laissant le matériau apparent sur les structures et les frises. Assez bon choix qui apporte un peu de couleur. La façade à double clocher paraît plus viennoise que les côtés où les jeux de volumes et les frises décoratives évoquent un air d'Italie.

 


 Le portail semble s'éloigner des références médiévales pour proposer une création originale avec des hexagones insérés dans un décor de rinceaux buissonnant. Un peu chargé mais pas inélégant.


Le temps que je trouve l'entrée, le soleil s'est subitement effondré et le crépuscule plonge la nef dans la pénombre. Je tente quelques photos cependant.


 

L'impression italienne se confirme. Ce n'est pas la chapelle des Scrovegni à Padoue, le chef-d’œuvre de Giotto dont le bleu de lapis m'a autant marqué que toutes les inventions du peintre génial, mais on sent bien que c'est là qu'on est allé chercher l'inspiration. La nef est spacieuse et particulièrement bien entretenue. Les peintures ont peut-être été restaurées, en tout cas ce décor peint est lumineux. Un bon exemple de réinterprétation du XIXe siècle. Cet intérieur est l’œuvre d'Eduard van der Nüll ; cet élève de Sprenger, le premier architecte pressenti, fit une belle carrière en construisant l'arsenal de Vienne et surtout le Staatsoper !



 

Le décor peint est particulièrement riche et semble multiplier les influences ; au classicisme se mêle ici la peinture d'histoire. 


 

Voilà très vraisemblablement Saint Michel terrassant les anges rebelles. Une peinture qui semble se référer au maniérisme dans la palette.


 

Ici c'est au contraire un style davantage saint-sulpicien ; sans doute la version autrichienne, le style nazaréen. Quant au sujet, je sèche. Deux anges musiciens entourent un mystérieux personnage, assez massif, homme ou femme ? Impossible que ce soit Moïse avec les Tables de la Loi ; et d'ailleurs, quel est l'objet tenu ? Un couteau ? Je vais continuer à chercher...

 

 

Un Christ du Jugement Dernier, je suppose. Peinture un peu trop académique mais vive et animée.



 

Difficile de bien distinguer, mais il semble à peu près sûr que ces deux panneaux soient une Annonciation et une Nativité.


 

Apparemment le mur est dédié à une série de personnages de l'Ancien Testament. Cette fois, pas de doute, le premier est bien Moïse avec les Tables de la Loi. En outre, c'est écrit !

Et le second, qui brandit un couteau ? Abraham lors du sacrifice d'Isaac ? L'objet au sol apporte peut-être un second indice, mais je ne l'identifie pas. Un seau ? Une cuirasse ? Je ne parviens pas à lire l'inscription, que je n'avais pas remarquée en prenant la photo, hélas.

Au-dessous, une icône diversifie encore les styles.


 

La chaire se laisse à peine deviner dans la pénombre.


 

Le chœur est également plongé dans l'obscurité cependant le ciborium bénéficie d'un éclairage théâtral.


 

C'est la forme la plus courante, le dais supporté par quatre colonnes, suivant le modèle si fréquent à Rome (à la basilique Sainte-Cécile ou à Santa Maria in Cosmedin par exemple). De style clairement néo-gothique, il gagne beaucoup d'élégance avec les fines colonnettes.



Suite de la promenade


 

Ces quartiers excentrés de la ville furent incorporés lors de l'extension de la capitale hors de ces murailles et le style des façades ornées contribua à leur unification.


 

J'apprécie ces survivants du passé, constructions relativement basses encastrées entre de plus hautes séries de bâtiments. La couleur (soigneusement entretenue, hein) facilite leur insertion.


 

Des pharmacies à l'enseigne du lion, il y en a partout en Europe. Sans que j'en connaisse la raison particulière. Et même à Vienne, plusieurs sont nommées Löwen-Apotheke. Celle-ci, dans Josefstädter Straße, fut fondée en 1782. Sa façade fut la première à être éclairée au gaz de toute la capitale ! 

Josef Moser, le fils du fondateur, fit orner sa façade de portraits en rapport avec le lieu (Hygeia, Flore, Hippocrate et Galène), peints par Ferdinand Waldmüller, aujourd'hui préservés au Belvedere.


 

Je passe toujours volontiers dans Josefstadt ; son théâtre renommé fut fondé en 1788 et c'est le plus ancien de Vienne à demeurer en activité. Beethoven et Wagner y donnèrent des concerts et le réalisateur Otto Preminger le dirigea.


 

Je poursuis vers le centre-ville en traversant les larges boulevards.



Les rues sont quasiment désertes. Peu de monde pour profiter du spectacle !



Le palais Batthyany, dans Bankgasse, est une réalisation du début du XVIIIe siècle ; son éclairage nocturne est très spectaculaire.



Ma promenade me mène enfin au Volksoper.



Ce soir, je revois une des plus fameuses comédies musicales, Cabaret !

5 commentaires:

  1. Magnifique église! Une belle découverte grâce à vos superbes photos.

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  2. Une église inconnue à Vienne ? C’est étonnant car elle mérite la visite. Le porche et le portail paraissent être en dentelle. Je suis éblouie par la nef qui semble être en or avec une voûte d’un bleu magnifique qui rehausse l’ensemble. Aux murs des peintures représentant de scènes de batailles très colorées. Cependant, une partie de l’église est sombre, suivie d’une lumière éblouissante.
    Les articles de Fred, toujours instructifs, car très documentés, me font apprécier sa beauté.
    Grand merci pour ces découvertes. Bises. Mam.

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    1. Effectivement c'est une découverte. On n'épuise jamais les surprises de Vienne !
      Grand merci pour ce commentaire attentionné.

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  3. Je découvre votre site et comme un bonheur n'arrive jamais seul,le premier article que j'y vois est consacré à Vienne une ville que j'adore et plus particulièrement à un quartier dont la magnifique église est injustement méconnue.Le palais Batthiany a grande allure.
    Je vais continuer ma découverte des autres articles.
    Bonne soirée.
    Bernadette

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    Réponses
    1. Merci infiniment, Bernadette, d'avoir pris ma peine d'écrire ce chaleureux commentaire. Bonne découverte !

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