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mardi 11 août 2020

Rome : Saint-Pierre aux Liens (San Pietro in Vincoli)


Voilà une des églises les plus visitées de la ville : les pèlerins viennent pour les reliques, les touristes pour le Michel-Ange. Quant à moi, je fais évidemment la visite complète.




Une des quatre églises de Rome dédiées à Saint Pierre, sans compter celle du Vatican. Une des premières, c'est au Ve siècle que l'impératrice Eudoxie ordonna la construction de la première basilique paléochrétienne pour abriter la fameuse relique des chaînes de Saint Pierre. J'y reviendrai.

Les restaurations furent apportées par une grande famille de Rome, les Della Rovere, qui en était titulaire. Deux de ses membres, Sixte IV au XVe siècle et Jules II au XVIe, furent papes. C'est d'ailleurs ce deuxième qui est le motif du plus fameux tombeau de la ville.


L'église est loin d'être immense,surtout en comparaison avec les gigantesques vaisseaux de la ville comme Saint-Jean de Latran ;  mais elle est caractérisée par des proportions inhabituelles, une hauteur très modérée qui, par contraste, la fait paraître plus large.

La partie basse de la nef, avec d'élégantes colonnes doriques, est la plus ancienne. On y reconnaît bien le plan basilical des premières églises de Rome, transmis notamment par San Giorgio in Velabro

Francesco Fontana, Le Miracle des chaînes

C'est au XVIIe siècle qu'on la dota d'une nouvelle voûte, heureusement assez peu chargée ; on y  reprit le vieux truc des formes gigognes qui donnent du relief. Du coup, elle ne s'avère pas écrasante.
Le Miracle des chaînes a été peint par Fontana.

Att. Le Guerchin, Saint Augustin

Toujours difficile à photographier, un beau Saint Augustin avec un clair-obscur très spectaculaire. Réputé un retable du Guerchin, il pourrait être en fait l’œuvre de son élève bien moins prestigieux, Benedetto Zalone.

Le Dominiquin, La Libération de Saint Pierre

Le tableau est une copie, l'original reste à l'abri dans la sacristie. Saint Pierre dans sa prison est évidemment très à l'honneur dans cette église.


 Au fond de la chapelle, un autre Guerchin, Sainte Marguerite d'Antioche.


La relique des chaînes



Pour ne pas changer, on a eu la bonne idée de placer en plein milieu un énorme baldaquin qui dissimule l'abside !


C'est au-dessous qu'est exposée la précieuse relique, une des plus anciennes de la Chrétienté. La légende prétend que les chaînes qui avaient emprisonné Pierre à Jerusalem furent envoyées à Rome, comparées avec celles de la prison Mamertine, et qu'elles se seraient miraculeusement soudées à ce moment. Tout repose sur la foi !


Les doubles chaînes sont indubitablement anciennes ; la cassette qui les protège n'est pas en verre mais en cristal de roche !


Et, évidemment, sur la petite construction en forme d'autel, l'ange tient une chaîne.


Beau travail de marqueterie de marbre au-dessous d'un buffet d'orgues rutilant.


Jacopo del Meglio, Scènes du Crucifix de Beyrouth
 
La voûte fut peinte en 1577 par Meglio  (Jacopo Coppi) ; elle illustre des scènes autour du Crucifix de Beyrouth.


A cause du baldaquin, je suis contraint de me tordre le cou pour y voir quelque chose dans le programme de fresques. De plus, on ne peut pas s'avancer, et c'est vraiment peu pratique pour s'y reconnaître !


Cette histoire du Crucifix de Beyrouth est un des récits antisémites du haut Moyen-Age. Dans cet épisode, un Chrétien avait déménagé en laissant sur un mur de sa maison une "image du Christ sur la Croix". L'occupant suivant, un Juif, invita ses amis à dîner mais ceux-ci aperçurent le Crucifix et se déchaînèrent. Ils donnèrent des coups sur l'image (peinture ou sculpture ? L'histoire ne le précise pas) et même la perforèrent avec une lance. Le sang se mit alors à couler miraculeusement. Les convives furieux changèrent d'attitude instantanément ; ils décidèrent subitement de le recueillir et de l'apporter à la synagogue. Evidemment ils n'eurent rien de plus pressé que de l'utiliser sur des malades et des blessés, guéris miraculeusement. En fait, ce sang recueilli s'avéra capable de guérir n'importe quelle maladie. Tout ébaubis devant cette merveille, les Juifs se convertirent avec ferveur et allégresse.

Malgré ses invraisemblances et ses évidents emprunts à d'autres récits de miracles, cette histoire rencontra un énorme succès. A Byzance, chaque année, on la récitait lors de la Fête de l'Orthodoxie. Une des ampoules de sang du récit était conservée comme relique à Saint Jean de Latran, et donc ce culte ancien fut ici bien maintenu.


 
Eudoxie remet les chaînes au pape. Apparemment une scène du même auteur que la suivante.


Je n'ai toujours pas d'éléments sur les fresques représentant Saint Pierre dans la prison. Je pencherais pour des peintures de la fin du XVIe siècle, mais sans risquer ma tête dans le pari.

Luigi Bravi, Vierge à l'Enfant avec des anges
 
Une peinture de 1880 qui ne révèle pas vraiment l'évolution de l'histoire de l'art.

Tombe du Cardinal Vecchiarelli

Ce tombeau a toujours eu du succès avec ses squelettes horrifiques.

Mosaïque de Saint Sébastien

L'autel de Saint Sébastien expose une mosaïque du VIIe siècle.

Mosaïque de Saint Sébastien
 
Seule l'inscription permet l'identification du saint. Pas de jeune homme, pas de sagittation, pas de Sainte Irène. Au VIIe siècle, Saint Sébastien est un homme âgé aux cheveux blanchis.

Francesco Carlo Bizzaccheri, Monument du Cardinal Cinzio Passeri Aldobrandini

Toujours dans le thème du Memento Mori, une allégorie de la mort bien inquiétante avec sa faux.

att. Andrea Bregno, Tombe du Cardinal Nicolas de Cusa

Dans cette église, Saint Pierre bénéficie de deux attributs ; on a logiquement ajouté les chaînes aux clefs.
 
Né Nikolaus Krebs à Trèves en 1401, Cusa fut un scientifique, astronome, humaniste. Il soutenait que la Terre était en mouvement et que le soleil était une étoile. Il fut nommé cardinal de cette église, qu'il fit restaurer. C'est dans cet habit qu'il est représenté à gauche.


La fresque fut peinte lors de la peste de 1476. L'artiste a bien insisté sur les désastres et les corps morts.



Tombeau des Pollaiuolo

Au-dessous, c'est le tombeau de fameux (et excellents) sculpteurs florentins, les Pollaiuolo, qui travaillaient également à Rome, la ville des chantiers permanents.

Le tombeau de Jules II



Comme je l'ai écrit, Jules II  a son mausolée ici parce que c'était l'église de la famille. Ce pape puissant, ivre de prestige et de grandeur, s'occupa de son vivant à l'image de son tombeau. En 1505, il ordonne à Michel-Ange de venir de Florence pour sa réalisation. Le tombeau doit être érigé à Saint Pierre au Vatican et comporter une quarantaine de statues. Michel-Ange part sur le champ à Carrare où il s'occupe pendant presque une année de choisir les marbres.

Ça m'a toujours paru un temps considérable mais j'ai visité les carrières de Carrare et le guide m'a expliqué que c'était un travail conséquent à l'époque ; le marbre était déjà onéreux, mais son extraction difficile. Donc il fallait bien étudier les veines pour être certain de la découpe du bon morceau. Une fois qu'on avait commencé à tailler le bloc, il fallait le payer. On devait de plus sélectionner le bloc en fonction de la statue prévue, rien n'était standard.

Donc cette histoire de huit mois serait finalement plausible, d'autant que Michel-Ange avait peut-être d'autres chantiers sur le feu. Je reviens à mon histoire.


Michel-Ange se met au travail. Le retour à Rome est un des échecs les plus cuisants de toute sa carrière. Entre-temps, Jules II a pris contact avec Bramante et Michel-Ange ne l'intéresse plus. Ce dernier, humilié, rentre à Florence. Lorsque le pape meurt en 1513, le projet est toujours en plan. Michel-Ange sculpte un Moïse, des esclaves, quelques éléments. Les esclaves terminés sont au Louvre et ceux inachevés à Florence, à la Galerie de l'Académie, et ces derniers figurent involontairement parmi les plus expressives sculptures de l'histoire ; on a l'impression de corps tentant de s'extraire du marbre.


Les éléments manquants sont réalisés par un groupe d'élèves du maître, qui n'aurait peut-être pas choisi ce pape couché ! En fait, on a repris ici une pose inventée par Sansovino pour le tombeau d'Ascanio Sforza à Santa Maria del Popolo, quelques années avant. C'était une révolution qui rompait radicalement avec le défunt couché. Par conséquent, le monument devenait moins un objet funéraire qu'un hommage à une personne. 

Je rappelle, par la même occasion, que Santa Maria del Popolo est une réalisation projetée par Sixte IV, l'autre pape de la famille della Rovere, qui possédait plusieurs chapelles dans cette église. Le lien entre les deux n'a rien de surprenant. Il est très possible que les artistes aient voulu reprendre l'innovation ou peut-être même la dépasser, compte tenu de la rivalité entre les Sforza milanais et les della Rovere romains! 


Les deux statues de part et d'autre me paraissent les meilleures de ce groupe d'assistant.




Celles du bas me paraissent manquer de fermeté et de ligne.

Le Moïse de Michel-Ange


Heureusement, il reste une œuvre de Michel-Ange dans l'ensemble, cet impressionnant Moïse. Les attributs du héros de l'Exode sont bien là : les tables de la loi sous sa main gauche, et les cornes fixées par la tradition. Ce dernier élément, qui souvent posa bien des problèmes aux peintres, provient d'une erreur de traduction entre le mot karan de la Bible, qui désigne le visage rayonnant de Moïse après avoir reçu la parole de l'Éternel, et keren qui désigne la corne ; d'ailleurs, ce dernier terme serait la racine sémite de notre mot corne, passé par le latin.


Michel-Ange a réussi à donner une impression de puissance tout en gardant le personnage assis, avec les mains ramenées sur le torse.


 C'est que la force ne provient guère du corps vigoureux (chez Michel-Ange, jamais de mauviettes) mais de la puissance du regard (toujours cette extraordinaire histoire du regard dans les statues) terriblement concentré et de l'expression du visage, peu amène, mais très dense. Et je pense que le fait de tourner la tête augmente considérablement cette intensité. En fait, dès qu'on s'en approche par l'entrée de l'église, le regard nous accroche.

3 commentaires:

  1. Merci pour cet excellent article, très complet, et bourré d'informations passionnantes. C'est de loin le meilleur que j'ai trouvé sur le Web.
    Henry

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    1. Merci beaucoup. Je suis certain qu'il en existe de bien plus approfondis, mais j'ai fait de mon mieux.

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  2. Passionnante publication, pleine de renseignements sur cette belle église. Bravo et merci.

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