Pages

vendredi 14 août 2020

Rome : la basilique Saint Sébastien (San Sebastiano)


La basilique de Saint Sébastien hors les Murs, construite au-dessus de fameuses catacombes et recueillant les reliques du Saint fameux, contient encore la dernière statue du Bernin.


Quelques rappels historiques



L'histoire de la basilique est un peu compliquée: elle était tout d'abord, lors de sa construction au IVe siècle,  un immense reliquaire pour abriter les restes des saints Pierre et Paul et se nommait alors Basilica Apostolorum, la basilique des Apôtres ; mais c'est une église sur la Via Appia, extrêmement excentrée, et les reliques des deux saints les plus fameux rattachés à Rome furent rapatriés dans les basiliques qui leur sont consacrées.

Au IXe siècle, on la consacra à Sébastien ; j'ignore si les reliques furent transférées à ce moment ou si elles avaient été placées ici auparavant.

Sébastien, c'est un des saints particulièrement populaires ; né à Narbonne, il fut nommé centurion par Dioclétien mais son soutien aux Chrétiens, et les miracles que sa légende rapporte lui auraient valu d'être martyrisé : d'abord transpercé de flèches (la sagittation, l'élément essentiel de son iconographie), il aurait été soigné par Irène, devenue sainte grâce à cet acte généreux, puis flagellé à coup de verges. Enfin mort, il aurait été jeté dans la Cloaca Maxima. Ce Saint du IIIe siècle fut rapidement fameux, cité par Saint Ambroise, mais sa biographie fut largement développé dans la Légende Dorée, le best-seller de Jacques de Voragine. Les miracles de guérison ont sans doute contribué à sa renommée.

Il est indéniable que la propagande chrétienne a su exploiter rapidement le sort malheureux de ce martyr, et les peintres y ont vu la possibilité de représenter un bel éphèbe transpercé de flèches. C'est rare qu'un musée contenant de la peinture des XV°-XVIIIe siècles n'en ait pas au moins une version.

L'intérieur

 

Si les superbes catacombes (fermées en temps de Covid) nous replongent dans l'Antiquité, l'église actuelle n'en propose plus l'idée. Elle fut largement réaménagée au XVIIe siècle par Flaminio Ponzio à la demande du Cardinal Scipione Borghese.


Bizarrement, alors qu'on s'attendrait à une collection de sagittations (le jet de flèches), Sébastien se fait discret dans l'église ; le seul retable qui lui est consacré ne se trouve même pas dans la nef ! On voit cependant les écus de Scipione Borghese (normal) et du pape Grégoire XVI.


C'est sur le plafond à caissons très coloré d'Annibale Durante qu'on va trouver sa plus grande représentation, une sagittation accompagnée d'un ange. Celui-ci apporte évidemment la palme du martyre, au cas où on aurait des doutes... 

A gauche, une présentation inusitée, une flèche cernée d'une couronne ailée. Présentation métonymique qui flirte avec le surréalisme... 


Le Salvator Mundi est la dernière œuvre du Bernin, exécutée par un artiste de quatre-vingt deux ans pour la reine Christine de Suède, qui l'aurait refusée, trouvant la sculpture trop belle ; je ne sais si cette noble histoire est authentique, j'ai des doutes...


Vraie ou fausse, cela n'ôte rien à l'extraordinaire qualité de la sculpture, un dernier hommage à la qualité du baroque avec le bouillonnement du geste, la légèreté de la coiffure, la précision de la main et la beauté du visage. Dernier adieu d'un grand maître.

On la croyait perdue ! Elle fut redécouverte par hasard en 2001 dans le couvent adjacent.


Encore une fois, je rappelle que les reliques étaient la raison d'être des églises, conçues comme des reliquaires géants. Leur possession, extrêmement coûteuse (j'ai toujours en tête que Saint Louis paya la moitié du budget du royaume pour acquérir la couronne d'épines) était par la suite l'assurance de fructueux pèlerinages, c'était en quelque sorte un placement nécessaire mais aux revenus garantis.  Je ne fais pas de gros plan avec le grillage, mais ici se trouve une supposée flèche de la sagittation, un morceau de la colonne où il fut ligoté et, à l'avant, dans une cassette noire, ce qui serait l'empreinte du Christ lors de la scène du Quo Vadis Domine. J'y reviendrai lors de la visite de cette église.

Filippo Frigiotti, La vision de Santa Francesca Romana

En l'absence d'une démultiplication de Saint Sébastien, quelques retables sont proposés : ici un curieux ensemble avec une Vierge et un Enfant, sans être pour autant La Vierge à l'Enfant.
Il s'agit de La Vision de Santa Francesca Romana (Sainte Françoise Romaine), une dame du XVe siècle qui fonda un ordre. Durant sa maladie, elle eut des visions : ici la Vierge lui permet de bercer l'enfant Jésus.

Archita Ricci, Saint Jérôme et l'ange

Toile du début XVIIe, d'un peintre dont je ne sais rien. Heureusement que Jérôme a gardé sa cape rouge, j'aurais eu du mal à le reconnaître sans elle !

La chapelle Albani

Pietro Francesco Papaleo, Saint Fabien et l'ange

Toujours pas de Saint Sébastien dans cette alcôve marbrée. La chapelle Albani est consacrée au pape Fabien, un des évêques de Rome en temps de persécution. Compte tenu de l'histoire de l'église, on aurait pu s'attendre  Paul V, le seul représentant des Borghese à avoir accédé au grade suprême.

La chapelle fut conçue et décorée par une équipe de stars de l'époque, notamment Carlo Maratta et Carlo Fontana. Au centre, Saint Fabien et l'ange, sculpté par Pietro Francesco Papaleo en 1713.

Pier Leone Ghezzi, L’Élection de Saint Fabien

Le cycle est illustré par deux toiles ; Pier Leone Ghezzi a (inconnu pour moi) peint en 1712 cette Election de Saint Fabien. Je ne connais rien à l'iconographie de Saint Fabien mais la scène est récurrente avec d'autres évêques.

Giuseppe Passeri, La Consécration de Philippe l'Arabe par Saint Fabien

La seconde, de Giuseppe Passeri (un peu plus connu, je pense avoir déjà vu une ou deux œuvres), raconte la consécration de Philippe l'Arabe par Saint Fabien. L'empereur Marcus Julius Philippus fut baptisé l'Arabe parce qu'il était né en Syrie, dans une région alors nommée Arabie pétrée. Il négocia la paix avec les Perses.

L'empereur sacrifiait aux dieux romains et se montrait au mieux clément avec les Chrétiens. Mais il fut récupéré par la propagande chrétienne pour en faire le premier empereur converti au christianisme. Cela ne semble pas avoir remporté un grand succès, et la scène est un sujet très rarement traité.


Cette petite peinture, placée tout en haut, subit sans doute l'influence du Caravage dans ce clair-obscur très intense.

Innocenzo Tacconi, La Crucifixion

 Et au maître-autel, toujours pas de Sébastien, mais une Crucifixion d'Innocenzo Tacconi de la fin du XVe siècle, avec un curieux effet de nuées qui m'a donné l'impression d'un fond abstrait.
Expérience d'ailleurs tentée par certains, notamment Fra Angelico dans son exceptionnel Calvaire du Louvre.

Saint Sébastien



Il faut attendre une des toutes dernières chapelles pour voir Saint Sébastien ; un chef-reliquaire tout d'abord, en argent et bronze doré (je suppose) rutilants.

Giuseppe Giorgetti, Saint Sébastien

 Sous l'autel, voici une représentation étonnante ; il s'agit bien de la sagittation, mais Sébastien est à terre, alors que la tradition la montre toujours avec un saint debout. Cela laisserait à penser qu'il est mort sous les flèches, alors que c'est un dur à cuire. Et que Sainte Irène est une bonne infirmière !

Giuseppe Giorgetti, Saint Sébastien

 Je pense que le sculpteur, Giuseppe Giorgetti, a dû s’accommoder de l'espace fourni, les dimensions du dessous d'autel (souvent associé à des reliques).

Giuseppe Giorgetti, Saint Sébastien

Cet artiste à la renommée modeste s'est bien acquitté de sa tâche et montre encore une réussite baroque, avec un tissu souple, presque frémissant, et beaucoup de sensualité dans les chairs ; le genou fléchi est remarquablement travaillé.


C'est dans une salle arrière, menant vers les catacombes, qu'est présenté le seul retable consacré au saint titulaire, et encore bien inhabituel avec ce trio de soldats (enfin, au moins un et deux sbires) occupés à le ficeler comme un saucisson.

4 commentaires:

  1. A nice church with a beautiful ceiling and two outstanding statues. Great pictures and still top quality texts. I knew Saint Sebastian, but I've never heard about Saint Fabien !
    Excellent job, one more.
    Annie

    RépondreSupprimer
  2. Passionnant article plein d'informations. vous avez accompli un travail remarquable !
    Michèle

    RépondreSupprimer

Un grand merci de prendre le temps de laisser un commentaire. Je promets de le lire aussi vite que possible.
N'hésitez pas à signer votre message, ce sera encore mieux : je n'ai AUCUN moyen de connaître votre nom, votre e-mail, ou votre blog.
Si vous préférez que vos coordonnées n'apparaissent pas, mais que je vous réponde en privé, utilisez le formulaire de contact, accessible sur la version web du blog.