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samedi 20 juillet 2019

Festival d'Aix : Aufstieg und Fall der Stadt Mahagonny (Grandeur et Décadence de la ville de Mahagonny)


C'est avec beaucoup de plaisir que je retrouve au programme de cette année Mahagonny, un opéra que j'ai vu régulièrement mais assez rarement (une douzaine de représentations à mon compteur), et dont toutes les représentations m'ont fortement marqué. Plus que les tubes de l'œuvre, dont l'archi-célèbre Alabama Song, c'est son énergie et son actualité qui m'ont imprégné à chaque fois.



Production Ivo van Hove



La production porte la patte du metteur en scène : comme dans ses Damnés de la Comédie Française, Ivo van Hove exploite un plateau nu, un espace de loges, et met largement à profit la vidéo. Dans cette dernière, on verra des images extérieures, des plans de la scène et plus souvent des personnages, et parfois des incrustations, comme dans le passage assez drôle où les hommes font la queue pour une passe auprès d'une prostituée.


Ce plateau nu qui est progressivement empli et habité correspond étroitement à l'argument de l'œuvre, l'histoire de la création et de la chute d'une cité au milieu de nulle part.


Mais ce qui m'a surtout retenu, c'est le soin apporté par le metteur en scène à la direction d'acteurs, qui dessine des personnages fouillés et veille à travailler chacun d'eux. Il paraît que la presse (que j'ai préféré ne pas encore lire) a critiqué globalement cette direction d'acteurs, et un des chanteurs m'a affirmé qu'il avait lu le qualificatif "brouillonne". Ca me paraît infondé, il m'a semblé au contraire que la précision caractérisait ce travail, et la gestion de la masse chorale me paraît tout aussi remarquable.


On n'oubliera pas que pour van Hove, opéra et théâtre sont des arts actuels qui doivent rendre compte de l'actualité, et les casseurs munis de battes qui investissent l'espace renvoient évidemment à des événements récents.


L'interprétation



Au premier plan des bravos, je tiens à saluer la performance du chœur Pygmalion, ensemble spécialisé dans la musique ancienne, pour sa réalisation de haute volée : engagement scénique comme je l'ai indiqué, précision et couleurs. C'est tout aussi remarquable que le brio avec lequel le vénérable orchestre Philharmonia, aguerri depuis longtemps à tous les répertoires (et qui mène au Royal Festival Hall, où je l'ai souvent entendu, un travail exceptionnel), fait chatoyer les couleurs de cette incroyable partition. Son chef Esa-Pekka Salonen, artisan de mémorables soirées aixoises, se montre très attentif à la caractérisation de l'ouvrage et est accueilli par un véritable triomphe aux saluts. J'ai eu souvent ce soir l'impression d'un authentique démiurge, capable de fabriquer un prodigieux éventail de sonorités. Il imprime une rythmique irrésistible mais caresse également les lignes avec tendresse et volupté.
Un regret toutefois, la masse sonore est parfois imposante face aux projections plus limitées des vétérans de la distribution.


Est-ce une volonté de directeur de casting d'engager ainsi des chanteurs aussi différents physiquement ? Déjà, entre la blonde Karita Mattila et le noir Willard White, la nuance physique était perceptible. Mais avec la présence d'un asiatique (Peixin Chen), d'un jeune homme d'apparence indienne (Sean Panikkar) ou d'un néerlandais (Thomas Oliemans), il me semble bien qu'on a cherché à donner à cette distribution un aspect affirmé d'universalité, comme si cette fable n'appartenait à aucun territoire.

Alan Oke (dont j'avais beaucoup aimé le Peter Grimes lyonnais) est un percutant Fatty, Peixin Chen impressionne par la couleur de bronze de sa voix imposante. Thomas Oliemans, le Papageno de l'édition précédente, s'avère un Bill très engagé et Sean Panikkar, que j'entends pour la première fois, éclate de vérité dans sa double incarnation.


Willard White est aussi un compagnon de longue date du festival, et son Wotan torturé a marqué les esprits dans le Ring de Braunschweig. La voix est évidemment de projection plus modeste aujourd'hui, mais il demeure un interprète franc et d'une présence scénique indéniable.


C'est à Aix que j'ai découvert Karita Mattila, dans une formidable Fiordiligi. Depuis, je l'ai revue un peu partout, et je me suis encore régalé avec son inoubliable Kostelnicka à New York, ainsi qu'avec sa Princesse étrangère à Paris. Elle n'a pas hésité à relever le gant de Leocadia Begbick, et elle y compose avec une impressionnante vérité théâtrale un personnage de mère maquerelle, avec une vulgarité assumée. Franchement, c'est un coup de maître que d'avoir pensé à cette grande dame pour la veuve Begbick.


Annette Dasch est une surprise dans le rôle de Jenny. Cette voix ample, que j'ai entendue dans des répertoires très différents, ne me semblait pas idoine pour le rôle, mais la chanteuse se jette dans le spectacle avec un incroyable abattage et chante avec toute la musicalité qu'on lui connaît.


Je me rappelle très bien la prise de rôle de Nikolai Shukoff dans Jim Mahoney à Toulouse (mise en scène de Laurent Pelly si je me rappelle bien, aux côtés de Chris Merritt et de Marjana Lipovsek). Encore un chanteur aux répertoires multiples, toujours intéressant par son engagement et son naturel. Il assume la lourde partition avec bravoure et éclat, et l'intensité de son jeu ne peut laisser indifférent.


Peixin Chen

Thomas Oliemans

Annette Dasch

Nikolai Schukoff

Willard White

Karita Mattila

Esa-Pekka Salonen

6 commentaires:

  1. J'attendais avec impatience tes commentaires sur les représentations aixoises. Comme d'habitude, c'est une très belle analyse. Comme toi, j'ai assisté à Mahagonny, Jacon Lenz, les mille endormis entant "qu'endormie", belle expérience, et au chant de la Terre.
    J'en suis sortie à chaque fois émerveillée, bouleversée même. Je ne sais pas traduire mon ressenti, donc un grand merci pour le faire avec autant d'intelligence, de précision.
    J'attends Tosca et le Requiem que je n'ai vus qu'en retransmission.
    Bises. Mjo

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    1. Je suis confus devant tant de compliments ! Un grand merci sincère pour ce message affectueux !

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  2. Wow! I know this Alabama Song! O moon of Alabama...
    I read your review with great pleasure.
    Captivating article, once again.
    Annie

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    1. Yes, this is a very famous piece. Thanks, loyal Annie, for your nice message!

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  3. J'ai pu assister à une retransmission et j'ai été absolument captivé par ce spectacle, plein d'énergie et d'intensité. Vous savez mettre des mots pour exprimer ce que je n'arrivais pas à formuler.
    Je constate que ce que j'apprécie beaucoup dans vos articles, c'est que vous ne vous contentez pas de j'aime / je n'aime pas, mais vous avez une approche plus intellectuelle qui vous conduit à analyser et à argumenter, quand beaucoup de gens restent dans l'émotion.
    Pierre

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    1. Merci infiniment Pierre ! Ce que vous écrivez rejoint une discussion que j'ai eue avec des proches récemment. Bien sûr, l'émotion est importante dans l'art, et particulièrement dans l'opéra. La marche funèbre du Götterdämmerung, par exemple, me laisse toujours au bord des larmes.
      Mais ce n'est pas ce que je recherche en premier, je suis davantage attiré par la complexité de cet art et les multiples sujets de cogitation qu'il offre.
      Et il m'a toujours semblé qu'il était plus facile de convaincre par la réflexion que par l'émotion, plus personnelle et donc plus difficile à partager.

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