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jeudi 26 juillet 2018

Paris : La Tempête à la Comédie Française



Mon premier Shakespeare !

J'ai déjà écrit ici mon admiration pour Shakespeare, et toutes les occasions sont bonnes pour voir des représentations de ses pièces.

C'est avec The Tempest, La Tempête, que j'ai commencé, une lointaine représentation d'adolescent, en anglais, avec le mémorable Footsbarn Travelling Theatre dont une des tournées s'était arrêtée dans ma ville natale d'Arles. C'est, avec King Lear, la pièce du bon Will que j'ai vue le plus souvent. 
Plusieurs fois en français, dont une ici, à la Comédie Française, dans une production de Mesguich aux images évocatrices, et également plusieurs représentations en anglais depuis cette première représentation qui a allumé l'étincelle. La dernière au Royaume-Uni, c'était au Haymarket de Londres, avec un Ralph Fiennes torturé et une production spectaculaire.

J'ai également eu la chance d'assister au réjouissant spectacle du Metropolitan Opera, The Enchanted Island, un pasticcio composé à partir d'airs de différents compositeurs (une pratique courante au XVIIIe siècle), avec de brillants David Daniels et Placido Domingo. Production à grand spectacle, avec machines et une certaine surenchère, mais un vrai plaisir à l'arrivée.

J'allais oublier que mon premier contact, bien lointain, avec l’œuvre, date d'une vision au ciné-club d'Antenne 2 (Claude Jean-Philippe, après Apostrophes, ça doit parler à certains !) du merveilleux film Forbidden Planet, un bijou de Fred Wilcox de 1956 qui s'inspire très largement de la pièce.

La production de Robert Carsen

Depuis que je l'ai découvert, comme beaucoup, dans le Midsummer Night's Dream du Festival d'Aix, en 1991, Robert Carsen est resté à mes yeux un des metteurs en scène les plus imaginatifs, les plus proches de ce que j'attends d'un tel personnage : celui qui ouvre des portes, qui montre une autre résonance d'une œuvre, qui provoque des discussions passionnées à l'issue du spectacle. J'ai parlé ici de son Götterdämmerung, de ses Contes d'Hoffmann, de sa Zauberflöte, et il est vrai que j'ai surtout assisté à des spectacles d'opéra. L'occasion de voir une pièce mise en scène par lui est une aubaine !

La magie des éclairages

Autant mes précédentes Tempests étaient abondantes, autant celle-ci est dépouillée. Le décor est une boîte blanche fermée par un écran qui montre une mer ouvrant l'espace.

Costumes aussi simples, pyjamas blancs, hardes pour ceux qui ont vécu, costumes de ville ou tenues mililtaires pour les puissants. Sobriété mais fonction, le costume dépeint effectivement le personnage.

Accessoires réduits au minimum, essentiellement des bagages pour souligner le propos. Car la problématique de la pièce est bien là : voyage géographique (arriver sur l'île, en repartir), familial (quitter le père), métaphorique : changer d'état, être libéré de sa servitude, tomber amoureux. Rappelons que la tempête du titre est provoquée par Prospero, duc de Milan destitué, pour que l'embarcation contenant ses ennemis s'échoue sur l'île où il s'est réfugié avec sa fille et dont il est devenu le maître.

On ne cesse de parler de magie dans cette pièce, et souvent les metteurs en scène en profitent pour jouer divertissement, pyrotechnie et technicolor. Avec sa sobriété affichée, Carsen rappelle qu'il s'agit ici beaucoup plus d'illusion et de regard, que la "merveille" au sens étymologique est surtout dans l'oeil du spectateur. Cette thématique passionnante, souvent explorée par Shakespeare (que voit-on ? ce que l'on voit est-il ce qui est ?), apparaît ici avec des éclairages virtuoses et les ombres immenses sur les murs.

Miranda et le duc de Naples sous l’œil de Prospero

L'austérité du dispositif concentre sur l'humain et donc sur le jeu des comédiens. Dans cette pièce où la perception est aussi intense (voir, écouter...), on est suspendu à la concentration de Miranda pendant le long monologue de son père. La scène d'amour entre Miranda, la jeune fille élevée à l'écart de tout par son père, et le duc de Naples, est un extraordinaire moment suspendu. La confrontation est déjà bouleversante dans la pièce ; Miranda déclare sa passion et la révèle à elle-même en même temps, et elle constate le gouffre entre sa connaissance et le monde. Mais l'idée géniale est de la jouer sous les yeux de Prospero, ému si simplement devant l'amour.

Tout le spectacle est tendu de bout en bout, et les scènes comiques s'enchaînent aux passages les plus émouvants avec un naturel et une fluidité extraordinaires.

Brillante distribution


Les bouffons à l’œuvre

Pour réussir un spectacle aussi dépouillé, il est indispensable d'avoir des comédiens de haut vol.

A nouveau la troupe de la Comédie Française montre le meilleur d'elle-même. Les Italiens sont brillants (Thierry Hancisse, Hervé Pierre, Gilles David, Serge Bagdassarian, Noam Morgensztern) et expriment avec clarté une riche gamme d'émotions, désarroi, effroi, rancoeur, révolte... Jérôme Pouly et Stéphane Varupenne composent de terrestres, rabelaisiens,  Stephano et Caliban, à l'opposé de l'Ariel évanescent de Christophe Montenez (décidément un acteur passionnant, complètement protéiforme, qui change de registre à chaque spectacle). Hervé Pierre incarne un Trinculo hénaurme, désopilant dans son excès.

Loïc Corbery et Georgia Scalliet sont émouvants, jamais mièvres, et la densité de leur jeu, frappe de bout en bout.


Naufragés en perdition

Michel Vuillermoz justifie à lui seul qu'on se déplace à la Comédie Française. Ce prodigieux acteur, aussi à l'aise dans la comédie (son extraordinaire Pinglet dans l'Hôtel du Libre-Echange), ou le drame (Cyrano, Le Père m'ont laissé de grands souvenirs) met son charisme et l'étendue de son jeu au service d'un tout aussi mémorable Prospero. Carsen a bien perçu l'aura du comédien et il semble que toute sa scénographie soit finalement centrée sur cette incarnation et son univers mental.

Toute la troupe au salut

Thierry Hancisse
Robin Goupil
Christophe Montenez
Stéphane Varupenne
Serge Badassarian, de plus en plus mince !





Alexandre Schorderet
Gilles David

Hervé Pierre

 Michel Vuillermoz
Jérôme Pouly

4 commentaires:

  1. Great post! Wow! An amazing performance of a sensational play!
    Annie

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  2. Très intéressant article ! J'espère voir ce spectacle l'an prochain s'il est repris.
    Michèle

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    Réponses
    1. Je ne l'ai pas vu sur le programme.. Un magnifique spectacle, à voir et à revoir.

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