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lundi 12 octobre 2020

Rome, La Farnesina : entrée et loggia de Galatée

Une des plus belles villas de la Renaissance romaine. Début de la visite avec de superbes fresques de Raphaël, Sebastiano dal Piombo et Baldassare Peruzzi, dans la magnifique loggia de Galatée.


La  Farnesina


Le banquier Agostino Chigi était ami du pape Jules II mais aussi de Raphaël qu'il protégeait. C'est d'ailleurs à lui qu'il commanda un grand projet architectural, une chapelle dans Santa Maria del Popolo.
Il se fit construire une splendide villa par l'architecte Baldassare Peruzzi, Siennois comme lui, et demanda à son cher Raphaël et à son entourage de la décorer. Giulio Romano, Sebastiano dal Piombo, Sodoma, Giovanni da Udine, Francesco Penni participèrent à l'aventure. Le résultat fut une splendide villa, cadre parfait pour des fêtes et banquets somptueux.

A la mort de Chigi, quelques jours après celle de Raphaël, son fils Lorenzo dilapida rapidement la fortune familiale et la villa fut rachetée par la famille Farnese qui lui laissa son nom. Alessandro Farnese prévoyait de l'unir au Palazzo (Farnese donc, l'actuelle ambassade de France et lieu de l'acte II de Tosca) par un pont jamais édifié. Richelieu y fut souvent invité.

Après un passage par les Bourbon-Parme, la villa échappa à la ruine grâce à l'ambassadeur d'Espagne ; elle connut des heures sombres lorsque Mussolini y installa l'Académie d'Italie, toutefois elle fut alors restaurée.

L'entrée

Rome, La Farnesina : entrée

L'entrée actuelle est opposée à celle d'origine mais elle offre un premier apéritif quant aux merveilles à venir : architectures feintes ouvrant sur un faux ciel, importance de la décoration sur le thème de la nature.

Rome, La Farnesina : entrée (faux balcon avec guirlande de fruits)

La loggia de Galatée


Rome, La Farnesina : loggia de Galatée 

La loggia de Galatée était ouverte sur l'extérieur et accueillait les célèbres banquets. Equipe de choc pour la décoration : Peruzzi, le peintre-architecte, avait déjà peint la salle de la frise et toute la salle des perspectives avec les panoramas et les dieux. Il fut rejoint par Sebastiano dal Piombo et Raphaël !

Rome, La Farnesina : loggia de Galatée 

Le décor se répartit sur trois niveaux : les fausses tentures sont surmontées de paysages qui rappellent ceux de la Villa d'Este. La mythologie se raconte dans la partie supérieure. C'est qu'il s'agit d'un décor destiné à un client cultivé, qui semblait connaître son Antiquité à fond.

Rome, La Farnesina : loggia de Galatée 

La tête à droite fut longtemps attribuée à Michel-Ange ; une jolie légende où il serait passé par là, aurait trouvé l'échafaudage vide et se serait mis à dessiner. C'est vrai que cette grisaille pourrait évoquer ses esquisses, mais on voit trop d'invraisemblance dans cette billevesée. Le fini de la fresque n'a rien de commun avec un dessin fait par un passager !

On a rendu la tête à Baldassare Peruzzi, l'architecte-peintre qui avait aussi orné la salle de la frise de scènes mythologiques. C'est un exemple peu courant de fresque imitant un dessin au fusain dans les fresques d'une villa.

Rome, La Farnesina : loggia de Galatée 

A gauche, au-dessus du paysage du Latium, c'est encore Peruzzi qui a peint le mythe de la Sibylle de Cumes ; la prophétesse se transforme sous l'effet de la voix divine, effet matérialisé par la vapeur devant son visage. Une des premières représentations semblables dans l'histoire de la peinture.

Rome, La Farnesina : loggia de Galatée 

Sebastiano dal Piombo s'est chargé des lunettes, ces parties en demi-cercle. Le peintre vénitien est arrivé en 1511 à Rome et après la mort de Raphaël, il occupera le devant de la scène artistique pendant une décennie. Lors du sac de Rome en 1527, il ne déserte pas la ville comme beaucoup, et reste auprès du pape Clément VII dans le Château Saint-Ange. Sa fidélité lui vaut d'être chargé du sceau pontifical, recevant alors son surnom de Piombo, le plomb du sceau.  

Dans cette lunette-ci, Scylla coupe les cheveux de son père Nisos, qui le rendaient invincible. Elle les remettra à Minos, dont elle est amoureuse. Ce parricide provoquera sa transformation en aigrette. Un mythe proche de l'histoire de Samson et Dalila !

Les hexagones expriment le thème zodiacal d'Agostino Chigi à travers les divinités des planètes et des constellations. A gauche,  un centaure archer et Apollon avec sa lyre symbolisent le Soleil en Sagittaire. A droite, Mercure avec le caducée et Mars dans sa tenue guerrière équivalent à Mars en Balance et Mercure en Scorpion.

Dans le pendentif, le "triangle" entre les deux, la constellation de l'Autel est clairement représentée par un petit édicule et un homme en prière.

Rome, La Farnesina : loggia de Galatée 

A gauche, Perdix, la sœur de Dédale, est précipitée du haut de l'acropole avant d'être transformée en perdrix par Minerve. A droite, le vent du nord Borée enlève Orithye, la fille du roi athénien Érechthée.

Dans l'hexagone, Diane chasseresse avec une lance regarde une élégante Erigone, une proie de Bacchus qui se transforma en grappe de raisin pour la séduire. C'est la Lune dans la Vierge.

Premier pendentif, les amoureux Bacchus et Ariane (à Naxos évidemment). Dans les deux accolés, les constellations du Serpent, du Corbeau et du Cratère.

Rome, La Farnesina : loggia de Galatée 

Dans la lunette de gauche, nous avons affaire à Térée qui a abusé de sa belle-sœur Philomèle et lui a coupé la langue pour l'empêcher de révéler son forfait. Pour se venger, l'épouse légitime Prognè tue leur propre fils et le lui sert rôti. Quelle horrible histoire !

Dans celle de droite, Pandrose et Hersé, filles du roi d'Athènes, regardent dans le panier que Minerve leur a confié en leur interdisant de l'ouvrir. il renferme Erichthonios, futur roi légendaire d'Athènes. Pandrose et Pandore, deux curieuses !

L'hexagone illustre l'enlèvement de Ganymède, un bel éphèbe dont Jupiter est tombé amoureux. il s'est métamorphosé en aigle pour mener à bien le kidnapping.

Enfin les pendentifs présentent les constellations du Cygne, de Pégase, de la Flèche et du Dauphin.

Rome, La Farnesina : loggia de Galatée 

Dans les rectangles de la voûte, Peruzzi a peint à droite le mythe de Callisto (j'ai dû supprimer la photo approchée insuffisante mais on la voit correctement sur ma photo d'ensemble) et à gauche celui de Persée. Il s'attaque à Méduse, l'invincible - du moins jusque-là - gorgone à la chevelure remplie de serpents. Elle pétrifiait tous ceux qui la regardaient, et on ne peut manquer les têtes statufiées au sol.

Rome, La Farnesina : loggia de Galatée 

Dans la lunette, la déesse Junon rêvasse en contemplant un couple de paons réputés pour leur fidélité. C'est une allusion claire aux futures noces d'Agostino Chigi et de Margherita Gonzaga.

Au-dessous, Raphaël illustre le mythe de Galatée qui a nommé la salle. Les amours tirent des flèches vers la Néréide Galatée, qui saute dans une coquille tirée par des dauphins.

Rome, La Farnesina : loggia de Galatée 

Elle est bardée de flèches ; certains archers se sont même embusqués dans les nuages !

Rome, La Farnesina : loggia de Galatée 

Sans être un portrait incontestable, Galatée emprunte ses traits à Margherita Gonzaga. A l'époque de la peinture, Alessandro Chigi, banquier et ami du pape mais ne faisant pas partie de la noblesse, cherche à y gagner sa place. Le mariage avec la fille des Gonzague, les fameux ducs de Mantoue, lui permettrait d'accéder enfin à cette haute société. Cependant l'amour contrariera ses plans et la salle suivante, la loggia d'Amour et de Psyché, raconte la suite de l'histoire.

Rome, La Farnesina : loggia de Galatée 

Pour comprendre le rôle de la scène, il faut suivre son regard attentif.

Rome, La Farnesina : loggia de Galatée 

Ses yeux se dirigent vers le cyclope Polyphème. Ce n'est pas le cannibale qu'affronte Ulysse dans L'Odyssée mais un berger séducteur. Sebastiano dal Piombo l'a évidemment rapproché d'Agostino Chigi. Dans cette perspective, on a évidemment exclus Acis, le rival de Polyphème que ce dernier tuera.

Il s'agit donc d'un programme érudit, mêlant sources variées (Ovide et des auteurs grecs) et surtout d'une éblouissante réalisation picturale, due à une troupe d'artistes amis. On voit bien dans la scène Galatée / Polyphème combien la collaboration fonctionnait. La fraîcheur des coloris, la haute qualité picturale, y compris dans les détails, font de cette salle un superbe témoignage de l'art de la Renaissance.

C'est peut-être pour cette raison que Chigi conserva cette peinture avec une image de l'ex-future mariée, alors qu'il installait son épouse, donc la rivale, dans la maison. Ou voulait-il montrer son parcours personnel : la loggia de Galatée racontant un mariage de convenance, celle d'Amour et de Psyché prouvant le succès de la passion.

8 commentaires:

  1. A real gem.
    Thanks for your texts, I never heard about those unknown stories!
    Amazing post.
    Annie

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  2. Article passionnant. Tu nous révèles ce qu'il y a derrière les images, j'adore ça. C'est un super article ! Bravo pour ton travail exceptionnel.
    Françoise

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    1. Merci beaucoup, c'est vraiment très gentil ! Je suis très heureux que cet article t'ait plu.

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  3. Absolument passionnant. Vos commentaires permettent de comprendre ce qui se cache derrière les peintures. J'ai adoré !
    Jeanne

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    1. Merci beaucoup Jeanne. C'est effectivement ce que j'essaie de faire dans les commentaires !

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  4. Je suis ravie de pénétrer dans cette magnifique maison de Galatée décorée par Raphaël Je commence par la maison classique et le magnifique jardin à la française, c’est paradisiaque. L’intérieur aussi est extraordinaire : les murs sont recouverts de peintures de la main du grand Raphaël, le plafond et l’ensemble sont bleu ciel avec des anges voletants. Je suis éblouie par les fraîches et tendres couleurs ainsi que son immense talent. Quelle chance de voir tant de chefs d’œuvre.
    Me voici dans la loggia de Galatée recouverte de peintures de paysages. Je suis en admiration. Les triangles peuplés apportent une nouvelle ambiance délicate.
    Beaucoup de travail exceptionnel, passionnant qui me permet de faire la découverte de superbes merveilles. C’est grâce à toi que je les découvre. Mille mercis. Bisous. Mam.

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    1. Merci beaucoup pour ce riche commentaire détaillé ! Gros bisous !

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