Paris : Exposition Léonard de Vinci au Musée du Louvre (2)

Après mon premier volet, voici le deuxième volet concernant l'extraordinaire exposition que le Louvre consacre à Léonard de Vinci. Période milanaise et croquis savants au programme.

Léonard à Milan 

Antonello da Messina, Le Condottiere, 1475

Pendant sa période milanaise, Léonard va réaliser de superbes fresques au Castello Sforza, pour la grande famille qui règne sur Milan. Il produit aussi une série de fabuleux portraits. Celui de la dame à l'hermine est resté en Pologne, mais quelques merveilleux témoignages sont présents ici.

Léonard de Vinci, La Belle Ferronnière, vers 1490-1497

La mode, à ce moment-là, est le portrait sur fond noir, et Léonard utilise ce contraste pour mettre en valeur les carnations. Son plus, c'est la dimension psychologique qu'il rend par l'intensité du regard. Cette dame de la cour milanaise est justement célèbre.

Léonard de Vinci, La Belle Ferronnière, vers 1490-1497 (détail)

Même de près, il est impossible de repérer les coups de pinceau. Le relief est évidemment créé par l'ombre et la lumière, déclinées en des dégradés savants qui donnent beaucoup de douceur. J'ai toujours eu l'impression que le dessin de la bouche annonçait celui de Mona Lisa.

Léonard de Vinci, Le Musicien, vers 1483-1490

Ce portrait anonyme est fameux sous le nom du Musicien, à cause de la partition présentée en évidence. Somptueux portrait d'homme (une rareté chez Léonard), avec un visage osseux et un regard qui fuit hors du tableau.

Léonard de Vinci, Le Musicien, vers 1483-1490 (détail)

Malgré l'usure des surfaces, les portées demeurent clairement visibles.

Léonard de Vinci, La Vierge aux rochers, vers 1483-1494

Il existe deux versions de ce fameux panneau, partie centrale d'un retable consacré à l'immaculée Conception. Celle-ci, conservée au Louvre, fut refusée par le commanditaire. La National Gallery expose la seconde, restée à Londres. Elle présente un certain nombre de différences, mais aujourd'hui on doute qu'elle soit de la main du maître. Cela dit, j'ai vu les deux ensemble lors de l'exposition londonienne de 2012, et je garde le souvenir d'une confrontation passionnante.

Outre les détails techniques qui conduisent à cette conclusion, il n'est effectivement pas improbable que Léonard ait délégué à un élève le soin de retravailler un tableau afin de complaire à l'acheteur. Une œuvre inachevée ne l'incommodait pas, et les élèves-assistants recopiaient régulièrement ses réalisations dans ses ateliers.

Léonard de Vinci, La Vierge aux rochers, vers 1483-1494 (détail)

Si cette première version ne satisfit pas le commanditaire, elle convenait sans doute à Leonard. La composition pyramidale y est parfaite, et la lumière est exploitée avec une grande subtilité.

Léonard de Vinci, La Vierge aux rochers, vers 1483-1494 (détail)

Bien plus qu'avec la première Annonciation des Offices, le paysage apparaît avec ses caractéristiques léonardesques, et la fameuse perspective atmosphérique, qui voile légèrement l'arrière-plan.

Léonard de Vinci, La Vierge aux rochers, vers 1483-1494 (détail)

Léonard de Vinci, Étude pour La Vierge aux rochers, vers 1483-1485

Les dessins préparatoires présentent diverses solutions, et les repentirs (les multiples tracés antérieurs qui apparaissent à l'étude de la peinture) révèlent cette recherche permanente.

Léonard de Vinci, Étude pour La Vierge aux rochers, vers 1483-1494 (détail)

Léonard de Vinci, Étude pour La Vierge aux rochers, vers 1490-1494

Un magnifique dessin propose une tête non retenue.

Atelier de Léonard de Vinci, Tête de Saint Jean Baptiste, vers 1483-1485

Outre ceux dus à Léonard, les témoignages des infatigables élèves de l'atelier sont tout aussi précieux pour révéler les différents états.

Léonard de Vinci, Allégorie de la fidélité du lézard, vers 1496

Les dessins illustrent aussi des allégories un peu mystérieuses. La Renaissance ne fut pas avare de ces jeux intellectuels, où des allusions complexes pouvaient s'avérer des indices pour identifier des personnages précis.

Léonard de Vinci, Allégorie en l'honneur de Ludovic le More, vers 1490-1495

Léonard de Vinci, Allégorie au miroir solaire, vers 1485-1490

Att. Marco d'Oggiono, Portrait de jeune homme, 1494

Parmi les élèves de l'atelier, on trouve d'Oggiono et Boltraffio, qui exploitent les codes locaux. Devant la rareté des peintures de Léonard, on se satisfait de ces quelques panneaux.

Giovanni Antonio Boltraffio, Jeune fille couronnée de fleurs, vers 1494-1496

Giovanni Antonio Boltraffio, Jeune fille couronnée de fleurs
tenant une coupe de fruits, vers 1494-1496

Att. Marco d'Oggiono, Jeune homme tenant une flèche, vers 1490-1494

Giovanni Antonio Boltraffio, Jeune homme tenant une flèche, vers 1494-1498

Att. Marco d'Oggiono, Portrait d'enfant, vers 1492-1495

La grande commande milanaise qu'honorera Léonard, c'est La Cène, une fresque pour le couvent de Santa Maria delle Grazie. On peut toujours la voir sur place, avec une réservation très anticipée. C'est fabuleux de voir la peinture in situ, mais elle est extrêmement dégradée et ne révèle plus l'état original. Il était de toute façon impossible de la faire venir à Paris, pas plus que la mosaïque commandée par Napoléon Ier exposée à Vienne. Cependant, le musée de la Renaissance conserve une copie exécutée par le fidèle Marco d'Oggiono, qui donne une idée précise de l'œuvre lorsqu'elle fut achevée. Une série de dessins la complète. Les esquisses de Léonard (un vibrant apôtre Jacques !) sont accompagnées de travaux graphiques dus à un élève, sans doute Boltraffio.

Léonard de Vinci, Étude pour l'apôtre Barthélémy, vers 1494-1496

Léonard de Vinci, Étude pour l'apôtre Jacques le Majeur /
dessin d'architecture, vers 1494-1496

Att. Giovanni Antonio Boltraffio d'après Léonard de Vinci,Tête d'apôtre de la Cène, vers 1499-1505

Att. Giovanni Antonio Boltraffio d'après Léonard de Vinci,Tête d'apôtre de la Cène, vers 1499-1505

Att. Giovanni Antonio Boltraffio d'après Léonard de Vinci,Tête d'apôtre de la Cène, vers 1499-1505

Att. Giovanni Antonio Boltraffio d'après Léonard de Vinci,Tête d'apôtre de la Cène, vers 1499-1505

Att. Giovanni Antonio Boltraffio d'après Léonard de Vinci,Tête d'apôtre de la Cène, vers 1499-1505

Att. Giovanni Antonio Boltraffio d'après Léonard de Vinci,Tête d'apôtre de la Cène, vers 1499-1505

Marco d'Oggiono d'après Léonard de Vinci, La Cène, vers 1506-1509

Cette vue de la salle témoigne de la fréquentation de l'exposition...

Marco d'Oggiono d'après Léonard de Vinci, La Cène, vers 1506-1509

Cette version rend scrupuleusement compte des inventions de Léonard, l'architecture antique ouverte sur un paysage caractéristique, les expressions différentes qui créent la narration, les trios qui dynamisent le récit.
Elle donne aussi à voir les détails que l'original ne montre plus, tels le délicat plissé des robes ou la nappe avec sa bande brodée.

Léonard le savant 

Léonard pense que pour maîtriser la peinture, il faut une connaissance approfondie. De l'anatomie, notamment, ce qui l'amène à disséquer des cadavres. Il compte rédiger un traité, mais ses recherches le mènent bien plus loin, sur les chemins des mathématiques, de la physique... 

Et finalement, c'est vers des investigations encyclopédiques que le conduit sa pensée, curieuse de tout. C'est quelque part la revanche du bâtard qui n'avait pas eu la chance de faire des études. 

J'ai déjà eu la chance de voir des expositions consacrées à ces feuillets et codex. Je m'en rappelle une, avec la collection assemblée à Windsor, il y a bien longtemps. Mais je n'en ai encore jamais vu autant, dans tant de domaines différents.

Mathématiques 

Luca Pacioli, Construction de l'icosaèdre, 1498

Les divers domaines des mathématiques sont explorés depuis l'Antiquité. La géométrie fut notamment un champ de recherches fructueux. Les trois grands problèmes sont alors la quadrature du cercle, la trissection de l'angle et la duplication du cube.

Armé d'une règle et d'un compas, Léonard se lance à son tour.

Léonard de Vinci, Grande feuille d'études, vers 1490

Léonard de Vinci, Grande feuille d'études, vers 1490 (détail)

Léonard de Vinci, La quadrature de la lunule et autres quadratures, vers 1505

La quadrature du cercle, qui fit transpirer bien des têtes pensantes, est un problème apparemment simple. Comment construire un carré de même aire qu'un cercle ?

Léonard de Vinci, La quadrature de la lunule et autres quadratures, vers 1505  (détail)

Léonard de Vinci, La quadrature de la couronne du cercle et autres quadratures, vers 1505

Léonard de Vinci, La quadrature de la couronne du cercle et autres quadratures, vers 1505  (détail)

Léonard de Vinci, La démonstration euclidienne du théorème de Pythagore, vers 1503- 1507

Le théorème de Pythagore est également une fort ancienne règle à démontrer.

Léonard de Vinci, Contestation de la règle de division d'une fraction par une fraction, vers 1497-1504

Tout génie qu'il était, Léonard était très capable de se tromper dans ses calculs. Ses erreurs sont demeurées célèbres. Ici, c'est dans le calcul des fractions qu'il en a commises !

Léonard de Vinci, La duplication du cube (solution empirique), vers 1505

La duplication du cube a aussi fait chauffer les cerveaux. Il faut construire avec seulement règle et compas un cube dont le volume soit le double exact de celui du premier cube.

Léonard de Vinci, La duplication du cube (solution d'Hippocrate de Chios et d'Apollonios de Perga), vers 1505

Léonard étudie les théories antiques avant de creuser lui-même la question.

Léonard de Vinci, Essais sur la duplication du cube, vers 1505

Léonard de Vinci, Essais sur la duplication du cube, vers 1505 (détail)

Léonard de Vinci, Compas, quadratures, opérations, vers 1513-1516

Physique

Léonard de Vinci, Mécanique des fluides : jaillissement de l'eau à travers une buse, vers 1508 (détail)

Place à la physique, une autre manière de déchiffrer le monde qui l'entoure. La mécanique des fluides le passionne.

Léonard de Vinci, Mécanique des fluides, vers 1490-1492

Léonard de Vinci, Mécanique des fluides, vers 1490-1492 (détail)

Léonard de Vinci, Stratification rocheuse, vers 1475-1480

Le goût du dessin de paysage, présent depuis les tout débuts, vient se glisser parfois dans les feuillets.

Léonard de Vinci, Montagnes, vers 1508-1513

Optique

Léonard de Vinci, Optique : la réflexion du soleil sur les vagues, vers 1505

Léonard de Vinci, Optique : ombres, vers 1490

Les problèmes d'optique l'intéressent tout particulièrement car ils concernent directement la représentation. Les problèmes d'ombres, rappelons-le, étaient déjà au centre des préoccupations du jeune Léonard. On touche aussi, avec la physiologie de l'œil, au domaine anatomique.

Léonard de Vinci, Optique : ombres projetées / gradation de la pénombre, vers 1490-1491

Léonard de Vinci, Optique : physiologie de l’œil, vers 1508-1510

Léonard de Vinci, Hydrologie et astronomie, vers 1506-1510

Léonard de Vinci, Hydrologie et astronomie, vers 1506-1510

Les feuillets précédents ont été acquis par le richissime Bill Gates et font partie de sa collection. Je ne sais pas s'ils sont couramment exposés en Californie.

Botanique 

Léonard de Vinci, Arbres, vers 1500-1505

Léonard de Vinci, Arbre isolé, vers 1500-1505

Les dessins d'arbres conduisent l'esprit curieux à observer leur manière de pousser. De là à s'intéresser à la botanique, il n'y a qu'un pas.

Léonard de Vinci, Botanique : la croissance des arbres, vers 1496-1497

Léonard de Vinci, Botanique : branche de mûrier, vers 1505-1510

Léonard de Vinci, Botanique : étoile de Bethléem, anémone des bois, euphorbe petite éclaire, vers 1505-1510

Léonard de Vinci, Compas et autres dispositifs, vers 1490-1493

Zoologie

Léonard de Vinci, Météorologie et zoologie : le vent et les nuages / la mouche, vers 1505-1510

Léonard de Vinci, Ornithologie et mécanique des fluides: vol des oiseaux dans et contre le vent, vers 1513-1514

Léonard de Vinci, Ornithologie et mécanique des fluides: vol des oiseaux dans et contre le vent, vers 1505

Déjà, dans ses dessins de Vierge au chat, l'animal apparaissait. Se passionner pour la zoologie est logique !

Parfois les domaines se recoupent : zoologie et physique, logiquement.

Léonard de Vinci, Zoologie : étude des pattes de chien, vers 1490-1493

Léonard de Vinci, Zoologie : ours, vers 1480-1485

Léonard de Vinci, Étude de chèvre, vers 1490

Léonard de Vinci, Motifs /  Étude des proportions de tête de chien, vers 1497-1499

Anatomie 

L'exactitude des dessins anatomiques de Léonard a toujours provoqué l'admiration. Il s'intéresse notamment à la manière dont les muscles agissent dans le mouvement.

Léonard de Vinci, Anatomie, vers 1510

Léonard de Vinci, Anatomie : crâne sectionné, 1489

Léonard de Vinci, Étude des proportions du corps humain, vers 1489-1490

Archéologie 

Léonard de Vinci, Reconstitution archéologique de la tombe étrusque de Montecalvario, vers 1507

Toujours avec la minurie coutumière... Cet éclectisme me paraît d'une grande modernité, autant que sa peinture.

Léonard de Vinci, Études d'architecture, vers 1483-1499

Léonard de Vinci, L'Homme de Vitruve, vers 1489-1490

Je conclus ce volet avec le célébrissime Homme de Vitruve. J'ai eu des reproductions sur des stylos, un carnet, un tee-shirt, une montre... Et c'est pourtant la première fois que je le vois "en vrai",sorti de sa cachette vénitienne pour quelques semaines seulement.

Léonard de Vinci, L'Homme de Vitruve, vers 1489-1490

Un moment d'émotion à admirer ce témoignage de civilisation.