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dimanche 21 juillet 2019

Barcelona : Luisa Miller (Radvanovsky, Beczala)



J'aime beaucoup Luisa Miller, cet opéra de Verdi assez rarement représenté, même si  j'ai de belles soirées lyriques dans mes souvenirs.

Le San Carlo de Naples proposa au compositeur d'adapter une pièce du XVIIIe siècle de Schiller, Kabale und Liebe (Intrigue et amour), auteur déjà à la base de Giovanna d'Arco et de I Masnadieri, qui sera plus tard la source du génial Don Carlos. Ce livret, quoiqu'assez simple, est efficace et avec suffisamment d'arrière-plans pour susciter l'intérêt.

Verdi a mis en œuvre tout son talent mélodique pour créer des mélodies que j'ai toujours en tête. Opéra plein de créativité aussi, dans lequel le compositeur expérimente un duo de basses, des ensembles inventifs dont un a capella, et les airs (dont un bijou pour baryton, Sacra la scelta, et le merveilleux Quando le sere pour ténor) sont irrésistibles.

Deux représentations d'un coup, et un des plus beaux plateaux imaginables actuellement, l'occasion était trop belle. Me voici donc au Liceu pour la première de cette série de représentations.




Production Damiano Michieletto



C'est Damiano Michieletto qui a conçu cette production venue de Zürich ; elle met en valeur deux aspects intéressants du livret. D'une part l'opposition entre noblesse et roture, concrétisée par un décor en miroir horizontal qui reprend l'idée de la fameuse Rusalka de Carsen et par un décor en croix grecque qui oppose deux lits et deux tables ; simplicité pour les uns, luxe pour les autres.


D'autre part, Michieletto expose clairement la symétrie entre deux pères ; on sait que la paternité est une thématique récurrente chez Verdi et le choix de représenter Luisa et Rodolfo enfants la met en lumière.


Les bras de la croix se relèvent pour créer de nouveaux espaces et c'est efficace également sur le double plan visuel et symbolique. Le problème majeur est que tout cela est placé sur une tournette, dont l'abus finit par donner le tournis. En outre, les personnages doivent sans cesse se mouvoir lorsqu'elle est en mouvement, et leur déambulation prend le pas sur le jeu.

Dommage donc. Je pense que la production pourrait être aisément révisée en gardant ses lignes fortes et simplement en limitant le mouvement circulaire, et le spectacle y gagnerait considérablement.


Plateau de luxe


Gemma Coma-Alabert

Une fois de plus, le Liceu a vraiment soigné sa distribution. Même les petits rôles sont de grande qualité, le contadino à la voix colorée d'Albert Casals et l'excellente Laura, expressive et sensible, de Gemma Coma-Alabert.

Marko Mimica

Après son séduisant Giorgio des Puritani, Marko Mimica retrouve la scène barcelonaise pour le méchant Wurm, un rôle qu'il a visiblement beaucoup de plaisir à incarner et dont il propose le portrait fielleux d'un Iago au petit pied.



Albert Casals, Dmitry Belosselskiy, J’Nai Bridges

Le rôle de mezzo est court mais important. A la Scala, j'y avais entendu Daniela Barcellona dans sans doute un des plus petits rôles de sa carrière ! Je découvre une jeune Américaine, J'nai Bridges, qui offre élégance et noblesse (indispensable ici !) ; elle pare sa partition de beaux sons poitrinés et campe une séductrice par le velours de la voix.

La deuxième basse de l'opéra, c'est le Comte Walter, le père de Rodolfo, rôle nécessitant une voix impérieuse et étendue (avec un sol bémol, soit seulement un demi-ton au-dessous du baryton) et de l'autorité vocale et scénique. Dmitry Belosselskiy s'y montre impérieux et récolte des applaudissements mérités avec son air Il mio sangue.

Michael Chioldi

Michael Chioldi a surtout mené une carrière américaine et on connaît assez peu ce baryton en Europe. Le Liceu l'avait invité l'an dernier pour Gerard aux côtés du Chenier de Jonas Kaufmann.
Il utilise une voix plutôt claire, très longue et puissante, pour composer un Miller touchant, avec une grande probité stylistique tout au long de la représentation. Son air Sacra la scelta est triomphalement accueilli et le baryton ne baissera pas le niveau, notamment dans un magnifique duo avec Radvanovsky. Musicalité et émotion garanties tout au long de la soirée !

Piotr Beczala
Piotr Beczala est un fabuleux Rodolfo, intense et torturé, captivant de bout en bout. Il ne cesse de varier les colorations, n'hésite pas à se mettre en danger et retourne littéralement la salle avec un Quando le sere d'anthologie. Sa prodigieuse longueur de souffle lui permet un phrasé idéal, magistral de noblesse, une vraie leçon de chant verdien. Il emploiera encore tout son lyrisme pour un dernier acte d'une beauté absolue.

C'est un chanteur que j'ai entendu dans une douzaine de rôles, dans les répertoires français, verdien et allemand, et qui m'a toujours enthousiasmé. Un vrai grand.


A ses côtés dans le rôle-titre, l'immense Sondra Radvanovsky, une des deux-trois grandes verdiennes de notre temps, doit faire face à un vrai challenge : faire rentrer sa voix opulente dans un moule conçu pour une voix plus juvénile.

Le gant est relevé avec métier. La soprano fait un travail magnifique pour sans cesse alléger la voix, pliant son instrument d'une sidérante homogénéité (les passages sont avalés comme s'ils n'existaient pas), ravissant le public avec un festival de sons filés, de messe di voce. Et, grâce à la maturité de la voix, on entend les graves de sa partition comme rarement et le dramatisme de la fin de l'ouvrage trouve en elle une interprète remarquable.

Je ne sais qu'admirer, entre la pureté stylistique, l'intégrité du chant, la beauté de la voix, le dosage de l'interprétation scénique. Et ce, je le rappelle, bien qu'elle n'ait plus la voix du rôle !


Domingo Hindoyan

Domingo Hindoyan, M. Yoncheva (je papote avec son épouse qui attend un heureux événement pour septembre), a largement évolué depuis l'époque où je le voyais au Staatsoper de Berlin, assistant de Barenboïm. Ce n'est pas au début de la représentation que j'ai le plus apprécié sa direction, que j'ai trouvée d'abord mollassonne et trop lente. La suite vaut de beaux contrastes et la mise en valeur de soli instrumentaux, offerts comme sur un plateau, offre de beaux moments. La fin est dramatique comme il se doit, sans excès.



Sondra Radvanovsky avec la directrice du Liceu

Piotr Beczala

avec J’Nai Bridges

Domingo Hindoyan

avec Marko Mimica

Gemma Coma-Alabert

Michael Chioldi
avec Michael Chioldi

6 commentaires:

  1. A top-level performance! I don't know this Verdi's opera but your article shows your passion about it. I will listen to it!
    Thanks.
    Annie

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  2. I am regular reader, how are you everybody? This post posted at this website is truly pleasant.

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  3. Critique détaillée et argumentée. On peut émettre des réserves et apprécier malgré tout.
    Pierre

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