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lundi 4 mars 2019

Washington : Grands paysagistes américains (National Gallery, aile ouest)


Avec le portrait, le paysage est une des grandes affaires dans la peinture du XIXe siècle, c'est même dans cette période que le genre prend totalement son essor après les grandes réussites des peintres néerlandais. On se met à peindre sur le motif, on a envie de partager son admiration ou son émotion devant le spectacle de la nature, grand thème romantique. Les peintres américains voyagent beaucoup en Europe et leurs œuvres se rapprochent souvent de celles de leurs confrères du vieux continent. Thèmes identiques, avec la montagne et l'eau comme fils conducteurs.


Peu à peu ils partent à la découverte de leur propre territoire qu'ils représentent avec le même enthousiasme, en recherchant souvent les mêmes sujets.

Sans surprise, les grands peintres le restent, quel que soit le genre auquel ils s'adonnent. Homer demeure un fidèle témoin de son temps, Singer Sargent montre toujours l'acuité de son regard et Whistler part encore à la quête de l'harmonie. Mais on découvre beaucoup d'autres artistes doués, certains connus pour leurs réussites dans ce genre comme Bierstadt, Cole ou Moran, et d'autres qui me semblent bien méconnus en Europe.

Allez, un petit tour dans la collection, centrée autour du milieu du XIXe siècle.


Kenyon Cox, Flying Shadows

Paysage tout simple, sans vraiment de sujet, mais très soigné dans la lumière et la palette. Un impressionnisme américain.

Avec Kenyon Cox, on retrouve ces Américains qui viennent étudier à Paris, aux Beaux-Arts dans son cas. Plus original, cet artiste multiple (illustrateur, graveur, fresquiste…) est aussi connu pour ses articles de critique artistique et ses poésies.

Daniel Garber, April Landscape

Une toile étonnante, un peu trop symétrique, mais avec un effet de brume intéressant et une palette décolorée. Garber fut un des Impressionnistes américains célèbres.

Willard Leroy Metcalf, May Night

Metcalf fut, comme Benson, un élève du cours Julian, condisciple de Robinson. Il étudia aussi bien l'école de Barbizon que les impressionnistes et il vécut d'ailleurs à Giverny, tout près de chez Monet. Cette Nuit de mai de 1906 porte encore cet héritage.

John Singer Sargent, Simplon Pass

Maîtrise époustouflante pour ce paysage à la fois presque photographique et malgré tout très "peint", éblouissant de lumière. La cascade, à gauche, a un mouvement extraordinaire et pourtant ce ne sont que quelques nuances de blanc. Les touffes d'herbe, au premier plan, trois traits de pinceau. La sensation d'éloignement de la montagne au fond est due au clair-obscur. Mais, vraiment, quelle fabuleuse réalisation.

J'aime quasiment tous les tableaux de Singer Sargent, mais celui-ci m'a fasciné un long moment.

John Singer Sargent, Thistles and herbage on a Hillside

Originalité du regard du peintre, intérêt pour le détail.

Abbott Handerson Thayer, Mount Monadnock

Elève de Gérome à Paris, Thayer a peint ce délicat paysage d'hiver. Mais il est surtout connu pour son livre sur le camouflage dans la nature (mimétisme des animaux, etc.) qui inspira les armées lors de la première guerre mondiale. On admet couramment qu'il serait à l'origine du camouflage militaire.

Theodore Robinson, The Valley of Seine, from the hills of Giverny

Voilà donc le copain de Metcalf, qui représenta abondamment durant son séjour en France les lieux favoris des Impressionnistes.

Willard Leroy Metcalf, Midsummer Twilight

Un autre Metcalf qui me semble bien représenter le sud de la France avec ces toits de tuiles et ces murs de pierres claires. Un paysage de Provence ? Tableau vraiment très maîtrisé, avec une magnifique lumière.

John Henry Twachtman, Winter Harmony

Brume hivernale retenue par un autre élève de l'académie Julian, qui exposait aux côtés de Monet.

James McNeill Whistler, Grey and silver : Chelsea Wharf

Toujours à la recherche des harmonies chromatiques comme je l'écrivais plus haut, Whistler évoque la brume de Londres en gris et argent. J'adore ce tableau aux lignes fondues et suis vraiment sensible à l'harmonie obtenue. Je vois bien de l'argent dans ce ciel !

Winslow Homer, School Time / Cottage yard

Chez Homer, le paysage n'est pas vraiment le sujet mais il participe au récit. Dans cette Heure de l'école, on voit bien combien le bâtiment est isolé et on mesure que les écoliers font sans doute du chemin pour la rejoindre.

Thomas Moran, Green River cliffs : Wyoming
Né en Angleterre, Thomas Moran arriva très jeune en Amérique où il apprit l'aquarelle, à Philadelphie. Lors de ses voyages, il découvrit les Montagnes Rocheuses qu'il peignit intensivement. C'est grâce à ses toiles que fut créé le parc de Yellowstone.

Albert Bierstadt, Buffalo trail : The impending storm
Né en Allemagne, Bierstadt voyagea en Europe avec son ami Gifford après son installation dans le Massachussetts. Sa découverte des grands espaces sauvages fut déterminante et il les représenta dans de nombreuses toiles. Encore un fana des Rocheuses !

Bierstadt était un excellent technicien, peintre virtuose, mais sa peinture me semble un peu désuète, comme s'il avait gardé toute sa vie l'esprit (et le style !)  d'un peintre romantique.

Frederic Edwin Church, El Rio de Luz (The River of Light)

Elève de Thomas Cole (je crois même qu'il fut son unique élève), Church est une grande figure du paysagisme américain. Il vécut en Nouvelle-Angleterre qui lui fournit de nombreux sujets. Très cultivé, grand lecteur de Humboldt, il voyagea à deux reprises en Amérique du Sud. Ce tableau fut réalisé vingt ans après, comme un souvenir à partir d'aquarelles et d'esquisses.

On a vu dans ce tableau un symbolisme religieux : la lumière dessine la forme approximative d'une croix.

Frederic Edwin Church, Tamaca Palms

Alfred Thompson Bricher, A Quiet Day near Manchester

Ce peintre du Massachussetts peignit très souvent la côte, en variant autant que possible les compositions et en soignant particulièrement les effets de lumière. Sa maîtrise de l'atmosphère me paraît saisissante dans ce très beau tableau.

John La Farge, The Last valley - Paradise rocks

Bien méconnu en Europe, La Farge est un nom qu'on rencontre souvent dans les musées américains. Illustrateur, fresquiste, décorateur, créateur de vitraux, il était évidemment peintre ; son portrait d'Henry James est peut-être plus connu.

Frederic Edwin Church, Niagara

Church découvre ces chutes impressionnantes et les montre d'un point de vue original, mais sans doute un des seuls accessibles à l'époque. Son tableau jouera un grand rôle dans la popularité du lieu.

John Frederick Kensett, Beach at Beverly

Assez proche de celui de Bricher, un très séduisant tableau de côte marine par un artiste du groupe de la Hudson River School.

Worthington Whittredge, Second Beach, Newport

Grand ami de Kensett, Whittredge est également copain avec Gifford, Heade ou Lane. C'est en fait tout un groupe qui montre de l'intérêt pour ces sujets. Une toile brillamment exécutée, mais je préfère celles de Bricher et de Kensett !

Sanford Robinson Gifford, Siout

J'aurais pu voir cette vue de Siout, en Egypte, dans l'exposition Peintures des Lointains du Quai Branly ! C'est un magnifique travail sur la lumière écrasante. Tout ce que j'ai vu de Gifford faisait toujours preuve d'une impressionnante maîtrise.

William MacLeod, Maryland Heights, Siege of Harpers Ferry

Le tableau paraît bien sage après tant de virtuosité, mais il documente précisément un moment. MacLeod travaillait alors au Département du Trésor ; il représenta l'attaque par l'abolitionniste John Brown de l'arsenal fédéral à Harpers Ferry, au confluent du Potomac et de la Shenandoah.


Fitz Henry Lane, Brace's Rock, Eastern point, Gloucester

C'est un autre peintre du Massachussetts, proche de Whittredge, qui a réalisé ce superbe travail de lumière et de reflets.

Thomas Charles Farrer, Mount Tom

Anglais émigré aux Etats-Unis, Farrer séduisit son public par ses vues de montagnes se reflétant dans l'eau. Exceptionnelle maîtrise effectivement.

Martin Johnson Heade, Sunlight and shadows : The Newbury Marshes

Un peintre étonnant que ce Heade, qui voyagea au Brésil où il peignit des vues exotiques et d'excellents tableaux d'orchidées. La côte de la Nouvelle-Angleterre fut aussi un de ses sujets, traité en évitant toute grandiloquence. Les changements d'atmosphère, les subtils changements de luminosité, voilà plutôt ce qu'il cherchait à montrer.

Sanford Robinson Gifford, The Artist sketching at Mount Desert, Maine

Gifford n'est pas le premier à avoir représenté l'artiste sur un point montagneux, l'exemple de Caspar David Friedrich demeure sans doute l'œuvre fondatrice. Mais la virtuosité de la peinture, particulièrement de l'effet de brume, rend cette toile particulièrement réussie.

Paul Weber, Scene in the Catskills

Comme Bierstadt, Weber était un Allemand, parti aux Etats-Unis en quête de succès. Cette peinture me semble très traditionnelle mais je ne peux nier les qualités d'un excellent technicien.

Thomas Moran, Juniata, evening

Encore un membre de l'Hudson River School, encore un peintre régulier des Rocheuses et de Yellowstone. Moran voyagea en Pennsylvania où il peignit ce paysage avec un grand soin du détail (la fumée, le troupeau). Mon œil a été attiré par la mise en abyme avec ce peintre en train de représenter le paysage que nous voyons. Un autoportrait ?

Albert Bierstadt, Lake Lucerne

George Inness, The Lakawanna Valley
George Inness nous donne à voir également un paysage, mais aussi un train souligné par son panache de fumée immaculé, et d'autres cheminées apparaissent aux alentours. C'est une Amérique en train de s'industrialiser qui est décrite ici.

Thomas Cole, Italian coast scene with a ruined tower

Un des grands noms, et j'avais vu l'an dernier au Metropolitan Museum de New York une exposition qui lui était consacrée. Comme de très nombreux artistes, il accomplit son "grand tour" en voyageant en Europe. En fait, c'est de retour qu'il peignit ce tableau, une commande pour illustrer le Corsaire de Byron. Tableau romantique, donc, avec ruine obligée, et de magnifiques effets de lumière.

Albert Bierstadt, Mount Corcoran

Je termine avec deux tableaux de Bierstadt que je n'ai vu qu'après, en sortant des salles de peinture anglaise. Une spectaculaire vue des Rocheuses, dont on comprend bien combien elle put susciter des envies de voyage, et une scène dramatique où un Indien attaque un buffle. La légende de l'Ouest, sans doute fabuleuse aux yeux de cet Allemand.

Albert Bierstadt, The Land of the Buffalo

15 commentaires:

  1. Awesome post again!
    Fantastic paintings with your great texts. It is a great pleasure to learn with your posts!
    I must thank you once again.
    Annie

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  2. Beaucoup de découvertes. On ne connaît quasiment aucun nom ici mais il y a beaucoup de tableaux formidables. Un grand merci pour ce magnifique article.

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  3. Found out that awesome post. Amazing pics, clever texts.
    Simply great.

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    1. Such a pleasure to read your kind message, dear Anonymous.
      Thank you very much.

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  4. Toujours de grandes découvertes auxquelles votre œil affûté nous permet d'avoir accès. Je suis entièrement d'accord avec vous : les tableaux de Sargent sont vraiment extraordinaires.
    Mais vous présentez beaucoup d'autres toiles exceptionnelles.
    C'est un magnifique article avec toujours de petits commentaires pour accompagner ces chefs-d'œuvre.
    Félicitations.
    Pierre

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    1. Je n'ai jamais assez de mots pour vous témoigner ma reconnaissance, Pierre. Mes plus vifs remerciements, à défaut de mieux.

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  5. Impressive overview of great landscape paintings. Good pictures, good texts. Outstanding blog!

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  6. Remarquable. Grandes découvertes de peintres que l'Europe ignore. Merci pour cette exceptionnelle série d'articles sur la peinture américaine.

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    1. J'ai bien l'impression que la découverte de peintres méconnus est partagée. Un grand merci pour ce commentaire enthousiaste, cher Anonyme.

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  7. Je dois reconnaître que je ne connais quasiment pas ces peintres dont les paysages m’enchantent : douceur, palette, lumière … c’est un plaisir des yeux. Chacun à sa manière est maître de son sujet et je suis en admiration devant la plupart d’entre eux. Aussi habiles à représenter un paysage sous un soleil ardent qu’un paysage délicatement enneigé. Tous sont magnifiques. Merci de me faire connaître ces tableaux. J’adore les paysages , surtout ceux du XIX° siècle. L’article est parfaitement détaillé et en multiplie le plaisir.
    Bises. Mam.

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    1. Je suis bien d'accord, on voit une grande maîtrise partout, quel que soit le type de paysage et la lumière.
      Je pensais bien que tu apprécierais ces toiles-là !
      Un grand merci pour ce commentaire généreux et affectueux.
      Gros bisous.

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