Retour dans le fameux bâtiment de Jean Nouvel, cet opéra atypique, pour une oeuvre trop rarement donnée, l'extraordinaire Z Mrtvého Domu (De la Maison des Morts), un opéra entièrement situé dans une prison. Il s'agit d'une coproduction entre Londres, Bruxelles et Lyon, et la voilà qui débarque dans la capitale des Gaules à la fin de sa croisière.
Ma dernière représentation, une reprise de la production Chéreau du Festival d'Aix à l'Opéra Bastille, m'avait enthousiasmé. Et je suis ravi de retrouver cette oeuvre que j'apprécie beaucoup dans une production différente.
La production de Krzysztof Warlikowski
Je sais que tout le monde n'apprécie pas les productions du metteur en scène polonais. J'en ai vu un certain nombre et je m'étais d'ailleurs largement exprimé dans ces pages à propos de son Don Carlos.
Le public manifeste souvent son désaccord à propos de son travail et pourtant il me semble maîtriser les deux atouts nécessaires à une mise en scène de qualité : des idées fortes et une direction d'acteur au petit point.
Ici, l'idée est de montrer une prison moderne, en affirmant avec éloquence combien la vie dans les prisons ne change pas, avec toujours le même rapport de force entre prisonniers, et entre prisonniers et gardiens. Au lieu de l'aigle blessé, c'est un danseur de hip-hop qui apparaît, et qui constituera le fil rouge de la représentation.
Les moyens retenus présentent toutes les formes artistiques ; danse donc, théâtre et musique comme l'opéra l'exige, mais aussi projections (extraits d'un documentaire apparemment). Le décor est très ingénieux ; à gauche d'une cour de prison avec son panier de basket, une imposante cage mobile (une quinzaine de mètres de profondeur, une dizaine de haut) sert d'abord de bureau où est introduit Goriancikov avant de devenir la scène pour le spectacle présenté par les prisonniers.
Les rapports humains, voguant de la solidarité à l'échauffourée, sont illustrés grâce à une très minutieuse direction d'acteurs, qui fait de chaque rôle et des choristes un vrai personnage. Le lyrisme qui apparaît ici et là dans l'oeuvre est presque invisible, tant l'accent est mis sur la tension. On peut le déplorer, mais on peut dire que cette intensité, alliée au choix de donner l'opéra sans entracte, ne laisse pas respirer le spectateur, tendu tout au long de la représentation. Ce choix est d'ailleurs le même pour le chef, qui privilégie la force de la musique, et également pour les interprètes. Par exemple, le personnage de Filka Morosov est présenté avec violence, en évacuant presque les moments plus nuancés du rôle.
Une solide distribution
Ces opéras de troupe sont parfaits pour les maisons lyriques qui bénéficient d'un ensemble permanent, tant la cohésion est plus importante que les personnages individuels. Cependant ici, les représentations lyonnaises arrivent après celles de Bruxelles et Londres, et on sent qu'une vraie familiarité s'est créée, et on profite de fortes personnalités lyriques avec des interprètes d'exception.
Les forces de la maison démontrent à chaque représentation l'excellence de l'Opéra de Lyon, et on n'est pas déçu avec un orchestre virtuose et des choeurs masculins engagés.
Le chef argentin Alejo Perez dirige avec dynamisme, attentif à la mise en place mais aussi à la palette si caractéristique de la musique de Janacek. Plus de violence que d'alanguissement, ce qui semble donc être la conception générale de ce spectacle.
Ivan Ludlow alterne les rôles de Petit Forçat, Forçat cuisinier et Tchekounov avec brio.
Natascha Petrinsky, la seule femme de la distribution, a été gâtée par Krzysztof Warlikowski, qui lui offre un personnage plus haut en couleur que d'habitude.
Alejo Perez |
Ladislav Elgr, spécialiste du rôle, propose un Skouratov bien sonore et Jeffrey Lloyd-Roberts interprète un pittoresque Forçat ivre.
Le Commandant d'Alexander Vassiliev s'avère très efficace, avec une autorité présente dans le chant comme dans le jeu.
Ales Jenis reprend son rôle du Forçat jouant Don Juan et le Brahmane, toujours impeccable.
Graham Clark, Jeffrey Lloyd-Roberts, Nicky Spence |
Dmitry Golovnin est un excellent Chapkine, de même que John Graham-Hall, très juste Kedril.
Nicky Spence utilise sa voix de ténor avec beaucoup d'intelligence, et se sert de son physique pour imposer un personnage très théâtral.
Natasha Petrinsky |
Pascal Charbonneau est chargé du tendre Alieia, à qui il apporte une fraîche voix mozartienne.
Stefan Margita a beaucoup chanté Filka Morosov et on sent la familiarité avec le personnage. Comme je l'ai écrit, une vision plus lyrique du personnage est possible, mais son interprétation intense ne peut laisser indifférent.
Graham Clark est, comme toujours, fabuleux en Vieux Forçat. C'est extraordinaire combien ce monsieur, pas tout jeune, a gardé sa projection et les couleurs de sa voix qui continue à dominer aisément un orchestre riche et un ensemble nombreux.
John Graham-Hall |
Alexander Vassiliev |
Willard White, Ales Jenis, Ladislav Elgr |
Le grand Willard White peut maintenant être qualifié de vétéran, et son interprétation de Goriancikov prouve encore la maîtrise de ses moyens. Il offre une vraie incarnation, émouvante comme il se doit, avec la chaleur d'un timbre qui demeure une vraie signature.
Ivan Ludlow |
avec Dmitry Golovnin |
Karoly Szemeredy et Pascal Charbonneau |
A great opera with a great cast and a vivid production, that's perfect for you!
RépondreSupprimerThanks for this live report.
Annie
And thanks for your warm feedback, dear Annie !
SupprimerJ'y étais ! Totalement d'accord avec votre analyse.
RépondreSupprimerC'est sympa de voir les chanteurs "en vrai".
Bravo pour ce bel article.
Laura
Merci beaucoup, Laura, pour cet aimable commentaire !
SupprimerApparemment un très intéressant spectacle. Critique détaillée et argumentée comme toujours !
RépondreSupprimerPierre
Merci beaucoup Pierre !
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