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dimanche 14 octobre 2018

Paris : Les Huguenots à l'Opéra Bastille

 


Retour donc à l'Opéra Bastille, pour le premier spectacle de mon abonnement. Cette saison est un peu particulière : 350 ans de la maison, créée sous le nom d'Académie Royale de musique (une des plus anciennes au monde donc) et les 30 ans de l'Opéra Bastille.



J'y étais ! C'est cette année-là (celle des trente ans, hein, pas celle des trois cent cinquante) que je me suis abonné à l'Opéra de Paris pour la première fois.




Un grand opéra



Avec Les Troyens, c'est une œuvre emblématique du répertoire qui a été retenue pour cette saison. Un fleuron du grand opéra à la française, comme Le Prophète du même Meyerbeer, La Juive de Halévy, Guillaume Tell de Rossini et aussi des opéras de Verdi composés pour l'Opéra de Paris (Don Carlos ou Les Vêpres Siciliennes).

Toutes ces oeuvres furent les super-productions de l'époque, avec nombre de points communs : sujets historiques (c'est le moment où on se passionne pour l'histoire, et plus seulement pour l'Antiquité, comme le montrent le style troubadour en peinture ou la mode du roman historique, de Walter Scott  à Alexandre Dumas), spectaculaires productions avec de sensationnels effets spéciaux, scènes chorales multiples et frappantes (l'Autodafé de Don Carlos est un exemple fameux) , distribution nombreuse, superstars conviées sur scène. Pour ces dernières, sont composées de redoutables partitions destinées à exposer leurs exceptionnelles qualités. Souffle interminable, tessiture incroyablement large avec des aigus assassins et des graves abyssaux, endurance à toute épreuve, tout l'arsenal des difficultés est là pour prouver la valeur des interprètes. C'est justement ce point qui pose tant de problèmes pour monter ce répertoire aujourd'hui.
Dernier paramètre non négligeable, la durée. Les progrès de l'éclairage scénique avaient autorisé des actes plus longs, et on demeurait dans le moule de l'opéra en cinq actes; souvent agrémenté d'un ballet pour employer toutes les forces de la maison. Il fallait absolument en avoir pour son argent. Les abonnés réclamaient des soirées interminables, avec des entractes systématiques et plutôt longuets, le temps de manger des huîtres et de boire du champagne.

Foin de tout cela aujourd'hui. Cependant, malgré de nombreuses coupures, la représentation commence à 18:00 pour s'achever après 23:00.

Je n'ai vu qu'une poignée de Huguenots dans ma vie et je suis ravi de revoir ce rare opéra. 

La production d'Andreas Kriegenburg



Difficile de monter des oeuvres aussi contextualisées de nos jours. La carte historique risque de figer le discours, le changement d'époque bloque toujours une cohorte de spectateurs. Le choix retenu ne me semble pas si mauvais : décor très épuré dans les lignes malgré son gigantisme, avec de modernes touches de métal découpé et costumes aux lignes actuelles avec des touches historiques, comme les fraises ou les coiffes des choristes. Des critiques ont raillé ces décors, parlant de parking à étages ou de structure Ikea, mais franchement, je les  trouve plutôt séduisants et assez efficaces. En phase avec l'esthétique de notre temps, en tout cas.
Le problème majeur me semble surtout la carence en direction d'acteurs, qui semblent livrés à eux-mêmes. Lorsqu'ils sont engagés, comme l'est toujours Ermonela Jaho, tout va bien. Mais beaucoup se limitent à un statisme regrettable. C'est vrai qu'il est difficile de donner vie au traditionnel tableau "Dame avec suivantes" (ici Marguerite, ailleurs Eboli ou Amneris). Je préfère aussi une Saint-Barthélémy sobre à une foule courant dans tous les sens, comme les anciennes productions du Met le donnaient souvent à voir. Mais je pense toujours à Rossini et à son expression du "Sextuor des Artichauts" en voyant ces solistes plantés là, où la seule justification semble la mise en place musicale.

Le plateau du soir


Lisette Oropesa


Solide équipe de seconds rôles, essentiels dans cette ample fresque :  efficacité de Patrick Bolleire, sous-employé comme souvent, bon quatuor de François Rougier, Michal Partyka, Tomislav Lavoie  et Cyrille Dubois. Je n'ai plus entendu Philippe Do depuis longtemps (Fra Diavolo au Volksoper de Vienne !) et sa projection me surprend agréablement. Julie RobardGendre et Élodie Hache montrent aussi une considérable évolution avec des voix riches et étoffées, bien accordées. Voilà du monde à réentendre dans des rôles plus consistants.

Paul Gay

Florian Sempey compose un personnage intéressant en Comte de Nevers et montre de solides aigus. Ce soir, les graves lui posent toutefois davantage de problèmes, c'est le souci de ces partitions très larges.
Paul Gay est un digne Comte de Saint-Bris, lui aussi aux prises avec une tessiture bien étendue et on sent les efforts pour unifier le timbre dans un rôle qui le balade aux extrêmes de la voix. 

Très applaudi, le Marcel de Nicolas Testé, (demeuré dans la distribution malgré l'absence de son épouse Diana Damrau) m'a moyennement convaincu. J'ai trouvé son jeu raide et monolithique (je ne pense pas que ce soit la seule facette du vieux serviteur fidèle) et la voix trop claire pour le rôle , et il m'a semblé que son "Piff Paff" manquait d'éclat. Je l'ai vraiment préféré dans d'autres emplois.

Karine Deshayes ravit dans Urbain, dès son "Nobles Seigneurs" chanté avec style et panache. Voix bien placée sur toute la tessiture, précision des vocalises, projection qui ne faillit jamais dans cette grande salle. C'est bien dommage qu'on lui ait coupé son rondo.

Valentine fut créé par la Falcon, incroyable phénomène vocal, entre mezzo et soprano, et Meyerbeer fit tout pour montrer combien cette dame avait une voix d'exception. Elle laissa cependant des plumes dans son interprétation du rôle. Ermonela Jaho n'est assurément pas un falcon ; si les aigus sont bien assurés, elle doit aller chercher loin dans ses réserves pour donner corps à son registre grave, en utilisant au maximum les sons de poitrine. Grande musicienne et comédienne sensible, elle mérite les bravos, même si je pense que ce rôle ne lui convient guère.

Yosep Kang, Lisette Oropesa

Elle se fait voler la vedette par Lisette Oropesa, pourtant remplaçante (de Diana Damrau, comme je l'ai signalé plus haut) et annoncée souffrante ce soir. Sa Marguerite est un éblouissant numéro de haute voltige, et elle vient à bout de l'invraisemblable catalogue de difficultés techniques avec une voix de colorature de grande qualité. La dernière fois que je l'avais entendue, c'était au Met en Sophie de Werther ;  je suis proprement stupéfait de cette spectaculaire évolution, aussi bien que de la qualité d'un français parfait. Ovation pleinement méritée.

Yosep Kang

Je connais Yosep Kang depuis une quinzaine d'années, et je l'ai souvent entendu au Deutsche Oper en Alfredo, Duca di Mantova, Ottavio, Ferrando, Tamino... Il avait alterné avec Juan Diego Florez dans les Huguenots de ce Deutsche Oper et trouver un remplaçant à Brian Hymel, hélas disparu de la distribution, ne fut sans doute pas chose facile. Raoul reste un rôle inchantable, affreusement long, hérissé de monstrueuses difficultés techniques, avec des aigus généreusement distribués tout au long des actes...

Comme je ne l'avais plus entendu depuis quelques années, je suis heureusement surpris par nombre de ses qualités : volume et projection tout d'abord, solidité de l'assise sur les graves, endurance (!!!), qualité correcte du français. Il gère bien des aigus en falsetto et montre de jolies couleurs argentées.

Le problème se pose avec les suraigus à pleine voix, et vraisemblablement avec le passage du haut. Est-ce un défaut de soutien ? Il donne souvent le sentiment d'être à deux doigts de craquer l'aigu, et cette impression de frôler l'accident, à de nombreuses reprises, est plutôt inquiétante. L'aigu part parfois en arrière, et on mesure tous les efforts menés pour maintenir la barque vocale dans ces conditions.

En tout cas, c'est un travail digne, et il ne mérite absolument pas les huées des spectateurs.

Elodie Hache, François Rougier, Tomislav Lavoie, Philippe Do

Les chœurs si sollicités (bien intelligibles, quoi qu'en aient écrits des esprits chagrins !) et l'orchestre dont les solistes ont droit à des concertos  miniatures, de la même difficulté que les parties vocales, font merveille.

La direction de Michele Mariotti a des qualités certaines, mais je l'ai trouvée assez impersonnelle et parfois un peu anémique. Il me semble avoir mis l'orchestre tout au service du plateau, sans chercher à souligner les détails d'écriture. Ce n'est pas cette optique-là qui peut changer la réputation de l'orchestre de Meyerbeer (globalement pas très flatteuse de nos jours !).

J'avais pourtant apprécié son travail dans la Maria Stuarda du Met.

Cyrille Dubois, Julie Robart-Gendre, Paul Gay

Un bilan contrasté donc. Pas vraiment la fête attendue, mais bien loin de la catastrophe relatée par certains critiques. J'ai passé une bonne soirée, et je suis ravi d'avoir retrouvé cet opéra.

Karine Deshayes


Lisette Oropesa

 Lisette Oropesa, Karine Deshayes, Florian Sempey

Ermonela Jaho

Nicolas Testé, Ermonela Jaho

Yosep Kang

Nicolas Testé, Ermonela Jaho, Yosep Kang, Lisette Oropesa, Karine Deshayes

Philippe Do


Cyrille Dubois

Paul Gay

Patrick Bolleire

Elodie Hache, Julie Robart-Gendre

Tomislav Lavoie

François Rougier

Lisette Oropesa

Florian Sempey

Yosep Kang

Karine Deshayes

Ermonela Jaho



28 commentaires:

  1. Awesome post! Great review.
    It seems to be a very important opera. Nice pictures of the singers too!
    Annie

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    1. You are right, it is a very important piece of the huge opera jigsaw! Thanks Annie

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  2. Intéressant article, même si je n'y connais rien et ne comprends pas tout. Qu'est-ce que ce passage dont vous parlez ?
    Pierre

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    1. Dans la voix, il y a trois parties, les graves, les médiums et les aigus emis différemment Les articulations entre ces parties s'appellent des passages. Merci Pierre !

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    2. C'est tout de suite plus clair ! Merci pour l'explication !
      Pierre

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  3. Un article interessant, écrit par un spécialiste ! J'apprendd beaucoup avec votre blog.

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    1. Merci cher Anonyme ! Je suis très sensible à votre compliment.

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  4. Je n'y connais rien mais mon père adorait cet opéra. Intéressante critique très détaillée. Vous avez l'air d'en coconnaître un rayon !
    Lucas

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    1. Un rayon, je ne suis pas sûr mais quelques articles peut-être ! Merci Lucas.

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  5. Mon père adorait cet opéra. Plus blanche que la blanche hermine... Je l'ai souvent entendu sur un disque dans mon enfance. Un bel article complet.
    Julie

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  6. Je ne connaissais pas cet opéra, mais voilà que tu as, un peu, éclairé ma lanterne.

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    1. C'est déjà ça ! Ce serait mieux si je pouvais inclure des extraits sonores... C'est une fonction qui me résiste.
      Gros bisous de l'allumeur de réverbères.

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  7. Intéressant historique de l’opéra et de l’évolution des opéras français avec leurs difficultés pour les chanteurs. Très instructif.
    Remarquable réussite pour les chanteurs dans des rôles tendus de pièges et excellente critique de l’ensemble. Grace à la précision de cette analyse j’apprécie cet opéra que je n’ai vu qu’une seule fois.
    Un travail très impressionnant.
    Bisous. Mam

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    1. Effectivement c'est un article un peu plus long que d'habitude mais si peu de gens connaissent cet opéra, pourtant une clef essentielle dans l'évolution de l'art lyrique. Et, vu la sévérité des critiques, il me semblait que je me devais de faire un (bien modeste) contrepoids.

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  8. Demain, je vais parler du Grand Opéra : j'ai "pompé" quelques unes de tes phrases . Merci. Bises. Mjo

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    1. Tu as dû voir que, même avec un article assez long, j'ai outrageusement simplifié la problématique. C'est toujours difficile de s'adresser à un public inconnu, mêlé de connaisseurs et de profanes.
      Gros bisous

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  9. Je ne connais pas beaucoup l'opéra mais j'apprécie de lire cet article qui m'en apprend beaucoup. Je suis tombé sur ce blog par hasard qui a l'air très riche. La présentation est magnifique.
    Damiano

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    1. Merci beaucoup Damiano. Je suis très sensible à votre commentaire élogieux !

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  10. Passionnante critique approfondie ! Un plaisir d'avoir un avis différent. Merci beaucoup.

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    1. Merci, cher Anonyme ! Je suis comme l'élève qui reçoit de bonnes notes, tout intimidé par de semblables compliments.

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  11. Je me suis régalée en lisant votre article. J'ai un peu l'impression d'avoir assisté à la représentation.
    Cathy

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  12. I do not know anything about opera but your blog makes me want to book a ticket !
    Ruth

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    1. Great news ! I am delighted if this should be the result of my posts ! I wish you a great evening in a opera house !

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