Retour donc à l'Opéra Bastille, pour le premier spectacle de mon abonnement. Cette saison est un peu particulière : 350 ans de la maison, créée sous le nom d'Académie Royale de musique (une des plus anciennes au monde donc) et les 30 ans de l'Opéra Bastille.
J'y étais ! C'est cette année-là (celle des trente ans, hein, pas celle des trois cent cinquante) que je me suis abonné à l'Opéra de Paris pour la première fois.
Un grand opéra
Avec
Les Troyens, c'est une œuvre emblématique du répertoire qui a été retenue pour cette saison. Un fleuron du grand opéra à la française, comme
Le Prophète du même Meyerbeer,
La Juive de Halévy,
Guillaume Tell de Rossini et aussi des opéras de Verdi composés pour l'Opéra de Paris (
Don Carlos ou
Les Vêpres Siciliennes).
Toutes ces oeuvres furent les super-productions de l'époque, avec nombre de points communs : sujets historiques (c'est le moment où on se passionne pour l'histoire, et plus seulement pour l'Antiquité, comme le montrent le style troubadour en peinture ou la mode du roman historique, de Walter Scott à Alexandre Dumas), spectaculaires productions avec de sensationnels effets spéciaux, scènes chorales multiples et frappantes (l'Autodafé de
Don Carlos est un exemple fameux) , distribution nombreuse, superstars conviées sur scène. Pour ces dernières, sont composées de redoutables partitions destinées à exposer leurs exceptionnelles qualités. Souffle interminable, tessiture incroyablement large avec des aigus assassins et des graves abyssaux, endurance à toute épreuve, tout l'arsenal des difficultés est là pour prouver la valeur des interprètes. C'est justement ce point qui pose tant de problèmes pour monter ce répertoire aujourd'hui.
Dernier paramètre non négligeable, la durée. Les progrès de l'éclairage scénique avaient autorisé des actes plus longs, et on demeurait dans le moule de l'opéra en cinq actes; souvent agrémenté d'un ballet pour employer toutes les forces de la maison. Il fallait absolument en avoir pour son argent. Les abonnés réclamaient des soirées interminables, avec des entractes systématiques et plutôt longuets, le temps de manger des huîtres et de boire du champagne.
Foin de tout cela aujourd'hui. Cependant, malgré de nombreuses coupures, la représentation commence à 18:00 pour s'achever après 23:00.
Je n'ai vu qu'une poignée de
Huguenots dans ma vie et je suis ravi de revoir ce rare opéra.
La production d'Andreas Kriegenburg
Difficile de monter des oeuvres aussi contextualisées de nos jours. La carte historique risque de figer le discours, le changement d'époque bloque toujours une cohorte de spectateurs. Le choix retenu ne me semble pas si mauvais : décor très épuré dans les lignes malgré son gigantisme, avec de modernes touches de métal découpé et costumes aux lignes actuelles avec des touches historiques, comme les fraises ou les coiffes des choristes. Des critiques ont raillé ces décors, parlant de parking à étages ou de structure Ikea, mais franchement, je les trouve plutôt séduisants et assez efficaces. En phase avec l'esthétique de notre temps, en tout cas.
Le problème majeur me semble surtout la carence en direction d'acteurs, qui semblent livrés à eux-mêmes. Lorsqu'ils sont engagés, comme l'est toujours Ermonela Jaho, tout va bien. Mais beaucoup se limitent à un statisme regrettable. C'est vrai qu'il est difficile de donner vie au traditionnel tableau "Dame avec suivantes" (ici Marguerite, ailleurs Eboli ou Amneris). Je préfère aussi une Saint-Barthélémy sobre à une foule courant dans tous les sens, comme les anciennes productions du Met le donnaient souvent à voir. Mais je pense toujours à Rossini et à son expression du "Sextuor des Artichauts" en voyant ces solistes plantés là, où la seule justification semble la mise en place musicale.
Le plateau du soir
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Lisette Oropesa
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Solide équipe de seconds rôles, essentiels dans cette ample fresque : efficacité de Patrick Bolleire, sous-employé comme souvent, bon quatuor de François Rougier, Michal Partyka, Tomislav
Lavoie et Cyrille
Dubois. Je n'ai plus entendu Philippe Do depuis longtemps (Fra Diavolo au Volksoper de Vienne !) et sa projection me surprend agréablement. Julie
Robard‑Gendre et Élodie Hache montrent aussi une considérable évolution avec des voix riches et étoffées, bien accordées. Voilà du monde à réentendre dans des rôles plus consistants.
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Paul Gay |
Florian
Sempey compose un personnage intéressant en Comte de Nevers et montre de solides aigus. Ce soir, les graves lui posent toutefois davantage de problèmes, c'est le souci de ces partitions très larges.
Paul Gay est un
digne Comte de Saint-Bris, lui aussi aux prises avec une tessiture bien étendue et on sent les efforts pour unifier le timbre dans un rôle qui le balade aux extrêmes de la voix.
Très applaudi, le Marcel de Nicolas
Testé, (demeuré dans la distribution malgré l'absence de son épouse Diana Damrau) m'a moyennement convaincu. J'ai trouvé son jeu raide et monolithique (je ne pense pas que ce soit la seule facette du vieux serviteur fidèle) et la voix trop claire pour le rôle , et il m'a semblé que son "Piff Paff" manquait d'éclat. Je l'ai vraiment préféré dans d'autres emplois.
Karine
Deshayes ravit dans Urbain, dès son "Nobles Seigneurs" chanté avec style et panache. Voix bien placée sur toute la tessiture, précision des vocalises, projection qui ne faillit jamais dans cette grande salle. C'est bien dommage qu'on lui ait coupé son rondo.
Valentine fut créé par la Falcon, incroyable phénomène vocal, entre mezzo et soprano, et Meyerbeer fit tout pour montrer combien cette dame avait une voix d'exception. Elle laissa cependant des plumes dans son interprétation du rôle. Ermonela
Jaho n'est assurément pas un falcon ; si les aigus sont bien assurés, elle doit aller chercher loin dans ses réserves pour donner corps à son registre grave, en utilisant au maximum les sons de poitrine. Grande musicienne et comédienne sensible, elle mérite les bravos, même si je pense que ce rôle ne lui convient guère.
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Yosep Kang, Lisette
Oropesa |
Elle se fait voler la vedette par Lisette
Oropesa, pourtant remplaçante (de Diana Damrau, comme je l'ai signalé plus haut) et annoncée souffrante ce soir. Sa Marguerite est un éblouissant numéro de haute voltige, et elle vient à bout de l'invraisemblable catalogue de difficultés techniques avec une voix de colorature de grande qualité. La dernière fois que je l'avais entendue, c'était au Met en Sophie de Werther ; je suis proprement stupéfait de cette spectaculaire évolution, aussi bien que de la qualité d'un français parfait. Ovation pleinement méritée.
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Yosep Kang |
Je connais Yosep Kang depuis une quinzaine d'années, et je l'ai souvent entendu au Deutsche Oper en Alfredo, Duca di Mantova, Ottavio, Ferrando, Tamino... Il avait alterné avec Juan Diego Florez dans les Huguenots de ce Deutsche Oper et trouver un remplaçant à Brian Hymel, hélas disparu de la distribution, ne fut sans doute pas chose facile. Raoul reste un rôle inchantable, affreusement long, hérissé de monstrueuses difficultés techniques, avec des aigus généreusement distribués tout au long des actes...
Comme je ne l'avais plus entendu depuis quelques années, je suis heureusement surpris par nombre de ses qualités : volume et projection tout d'abord, solidité de l'assise sur les graves, endurance (!!!), qualité correcte du français. Il gère bien des aigus en falsetto et montre de jolies couleurs argentées.
Le problème se pose avec les suraigus à pleine voix, et vraisemblablement avec le passage du haut. Est-ce un défaut de soutien ? Il donne souvent le sentiment d'être à deux doigts de craquer l'aigu, et cette impression de frôler l'accident, à de nombreuses reprises, est plutôt inquiétante. L'aigu part parfois en arrière, et on mesure tous les efforts menés pour maintenir la barque vocale dans ces conditions.
En tout cas, c'est un travail digne, et il ne mérite absolument pas les huées des spectateurs.
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Elodie Hache, François Rougier, Tomislav Lavoie, Philippe Do |
Les chœurs si sollicités (bien intelligibles, quoi qu'en aient écrits des esprits chagrins !) et l'orchestre dont les solistes ont droit à des concertos miniatures, de la même difficulté que les parties vocales, font merveille.
La direction de Michele Mariotti a des qualités certaines, mais je l'ai trouvée assez impersonnelle et parfois un peu anémique. Il me semble avoir mis l'orchestre tout au service du plateau, sans chercher à souligner les détails d'écriture. Ce n'est pas cette optique-là qui peut changer la réputation de l'orchestre de Meyerbeer (globalement pas très flatteuse de nos jours !).
J'avais pourtant apprécié son travail dans la
Maria Stuarda du Met.
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Cyrille Dubois, Julie Robart-Gendre, Paul Gay |
Un bilan contrasté donc. Pas vraiment la fête attendue, mais bien loin de la catastrophe relatée par certains critiques. J'ai passé une bonne soirée, et je suis ravi d'avoir retrouvé cet opéra.
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Karine Deshayes |
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Lisette
Oropesa |
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Lisette
Oropesa, Karine Deshayes, Florian Sempey |
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Ermonela Jaho |
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Nicolas Testé, Ermonela Jaho |
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Yosep Kang |
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Nicolas Testé, Ermonela Jaho, Yosep Kang, Lisette
Oropesa, Karine Deshayes |
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Philippe Do |
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Cyrille Dubois |
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Paul Gay |
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Patrick Bolleire |
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Elodie Hache, Julie Robart-Gendre |
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Tomislav Lavoie |
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François Rougier |
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Lisette
Oropesa |
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Florian Sempey |
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Yosep Kang |
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Karine Deshayes |
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Ermonela Jaho |
Awesome post! Great review.
RépondreSupprimerIt seems to be a very important opera. Nice pictures of the singers too!
Annie
You are right, it is a very important piece of the huge opera jigsaw! Thanks Annie
SupprimerIntéressant article, même si je n'y connais rien et ne comprends pas tout. Qu'est-ce que ce passage dont vous parlez ?
RépondreSupprimerPierre
Dans la voix, il y a trois parties, les graves, les médiums et les aigus emis différemment Les articulations entre ces parties s'appellent des passages. Merci Pierre !
SupprimerC'est tout de suite plus clair ! Merci pour l'explication !
SupprimerPierre
Je vous en prie.
SupprimerUn article interessant, écrit par un spécialiste ! J'apprendd beaucoup avec votre blog.
RépondreSupprimerMerci cher Anonyme ! Je suis très sensible à votre compliment.
SupprimerJe n'y connais rien mais mon père adorait cet opéra. Intéressante critique très détaillée. Vous avez l'air d'en coconnaître un rayon !
RépondreSupprimerLucas
Un rayon, je ne suis pas sûr mais quelques articles peut-être ! Merci Lucas.
SupprimerMon père adorait cet opéra. Plus blanche que la blanche hermine... Je l'ai souvent entendu sur un disque dans mon enfance. Un bel article complet.
RépondreSupprimerJulie
C'est un des tubes de cet opéra ! Merci Julie.
SupprimerJe ne connaissais pas cet opéra, mais voilà que tu as, un peu, éclairé ma lanterne.
RépondreSupprimerC'est déjà ça ! Ce serait mieux si je pouvais inclure des extraits sonores... C'est une fonction qui me résiste.
SupprimerGros bisous de l'allumeur de réverbères.
Intéressant historique de l’opéra et de l’évolution des opéras français avec leurs difficultés pour les chanteurs. Très instructif.
RépondreSupprimerRemarquable réussite pour les chanteurs dans des rôles tendus de pièges et excellente critique de l’ensemble. Grace à la précision de cette analyse j’apprécie cet opéra que je n’ai vu qu’une seule fois.
Un travail très impressionnant.
Bisous. Mam
Effectivement c'est un article un peu plus long que d'habitude mais si peu de gens connaissent cet opéra, pourtant une clef essentielle dans l'évolution de l'art lyrique. Et, vu la sévérité des critiques, il me semblait que je me devais de faire un (bien modeste) contrepoids.
SupprimerDemain, je vais parler du Grand Opéra : j'ai "pompé" quelques unes de tes phrases . Merci. Bises. Mjo
RépondreSupprimerTu as dû voir que, même avec un article assez long, j'ai outrageusement simplifié la problématique. C'est toujours difficile de s'adresser à un public inconnu, mêlé de connaisseurs et de profanes.
SupprimerGros bisous
Je ne connais pas beaucoup l'opéra mais j'apprécie de lire cet article qui m'en apprend beaucoup. Je suis tombé sur ce blog par hasard qui a l'air très riche. La présentation est magnifique.
RépondreSupprimerDamiano
Merci beaucoup Damiano. Je suis très sensible à votre commentaire élogieux !
SupprimerPassionnante critique approfondie ! Un plaisir d'avoir un avis différent. Merci beaucoup.
RépondreSupprimerMerci, cher Anonyme ! Je suis comme l'élève qui reçoit de bonnes notes, tout intimidé par de semblables compliments.
SupprimerJe me suis régalée en lisant votre article. J'ai un peu l'impression d'avoir assisté à la représentation.
RépondreSupprimerCathy
C'est très gentil ! Merci Cathy !
SupprimerI do not know anything about opera but your blog makes me want to book a ticket !
RépondreSupprimerRuth
Great news ! I am delighted if this should be the result of my posts ! I wish you a great evening in a opera house !
SupprimerVery good blog you have here but I was wanting to know if you knew
RépondreSupprimerof any community forums that cover the same topics discussed in this
article? I'd really love to be a part of group where I can get responses from other experienced individuals that share the same interest.
If you have any recommendations, please let me know.
Thanks a lot!
Thank you very much, dear Anonymous, for this kind comment!
SupprimerYou can find many opera groups on Facebook, in different languages, about more or less specialized topics : opera, traditional opera, french opera... Have a look!