Une chouette journée avec la captivante visite guidée d'une vénérable maison ancienne !
Dans le métro
J'avais mis les pieds pour la première fois dans le Bronx il y a deux ans, pour me rendre dans le splendide jardin botanique, et le quartier m'avait beaucoup plu, à mille lieues de sa réputation horrifique. J'avais prévu d'y retourner en février, mais le temps m'a manqué. Cette fois, je mets mon projet à exécution.Je marche jusqu'au métro, aux alentours de Time Square, et j'y resterai jusqu'à son terminus.
J'en profite pour écrire mon point de vue ; je trouve le New York Subway bien au-dessous de sa célébrité : vétuste, pas très propre, pas très pratique (connexions insuffisantes entre les lignes), trop peu desservi (on y attend longtemps, ce qui crée des rames bondées dans le centre de Manhattan) et assez cher, du moins selon nos standards européens.
Ce n'est vraiment pas le dessus du panier, en matière de station de métro ! |
Évidemment, quand on s'éloigne du centre, on n'est plus que quelques voyageurs esseulés, parfois en compagnie de dormeurs encapuchonnés. Cette fois, seule une demoiselle en doudoune garance m'accompagne, avec un casque sur les oreilles qui diffuse généreusement des basses à plusieurs mètres.
Je descends donc à Van Cortlandt Park, véritable forêt dans la ville, haut lieu d'activités sportives du dimanche. Comme quoi, tout le monde n'est pas au marathon qui se court aujourd'hui à l'ouest de Central Park.
Van Cortlandt House
Une maison de campagne
La Van Cortlandt House est à quelques dizaines de mètres de l'entrée. J'achète mon billet, pour la modique somme de cinq dollars. La sympathique guichetière m'informe que j'ai de la chance, le tour guidé commence tout juste.De la chance, j'en ai en effet. La visite est assurée par David, un businessman bénévole qui fait profiter, le week-end, les visiteurs de sa phénoménale étendue de connaissances. Trouvant un public intéressé et attentif (je commence avec David et Caroline, deux Anglais du Devon, et nous serons rejoints par une étudiante chinoise et un vieil Américain handicapé qui manifeste son étonnement par des "Oh Boy !" à intervalles réguliers), il nous guidera pendant trois heures et demie !
Cette bâtisse géorgienne, une des plus anciennes de l'état et la plus vieille du borough, a été construite pour Van Cortlandt, parti d'Amsterdam sans le sou et devenu une des premières fortunes de la ville. Intelligent et avisé, il a vite acquis le sens des affaires et compris la nécessité de côtoyer les politiques pour les mener à bon terme. Ses revenus ont débuté avec une brasserie (dans la toujours existante Brewers Street), puis il s'est intéressé au sucre, a acquis une plantation à Nevis...
Une fois ses affaires florissantes, il a cherché ce qui était très recherché à l'époque : une maison de campagne. Manhattan, seulement colonisée au sud de ce qui est aujourd'hui Wall Street, devenait en été une zone insalubre où régnaient malaria et choléra. D'ailleurs, le Congrès qui s'y établit vaquait de mai à octobre. Tout homme d' affaires prospère fuyait donc ce coin infesté.
Il fallait un jour de voyage à cheval pour venir de Manhattan à ce coin perdu du Bronx, distance suffisante pour se mettre au vert. Mais Van Cortland acquit ce vaste terrain (plus de six cents hectares) dans une zone stratégique, quasiment à l'embranchement des routes pour Boston et pour Philadelphia. Cela vaudra à sa descendance d'accueillir nombre de célébrités.
Cette solide demeure est bâtie selon un plan courant, organisé autour de l'escalier central. Les pièces sont vastes mais peu nombreuses, car l'impôt était calculé précisément sur leur nombre.
La façade rigoureuse, caractéristique du style géorgien, est cependant modifiée par un détail unique : les macarons en grotesques (lions, sirènes, dieu Pan) qui surmontent les fenêtres.
Rez de chaussée gauche
La pièce à gauche, avec sa cheminée aux carreaux de Delft, garde le souvenir de Washington qui y séjourna à plusieurs reprises, et y tint notamment une entrevue décisive avec le général Rochambeau. J'apprends que lors de la Révolution, le Congrès demanda à Washington quel était le salaire qu'il demandait. Celui-ci refusa, répliquant qu'il souhaitait seulement qu'on règle ses dépenses. Mauvais calcul pour le Congrès : Washington était très dispendieux, voyageant avec son propre lit, nombre de bagages, foule de serviteurs. La somme que le Congrès dut verser équivaudrait aujourd'hui à quatre millions de dollars !assiette pour aveugle, avec fraise en relief |
Le faisceau lumineux met en évidence le mécanisme en relief. |
La pièce, aux couleurs de la Hollande (devenues logiquement celles de New York) montre aussi une belle horloge animée, avec six mélodies différentes, et un bel échantillonnage de vaisselle, dont une assiette fabriquée pour un duc aveugle. On plaçait les mets toujours au même endroit et la position de la fraise en relief lui permettait de ne pas se tromper.
Salle à manger
La salle de droite, première salle à manger, présente les portraits d'un des trois fils du fondateur et de sa femme, une cheminée de bois remarquablement ouvragée, et une table faite d'une seule tranche d'acajou.Nous empruntons l'étage qui mène aux chambres, assez singulier : la volée de marches provenant du second étage a débordé sur le palier, si bien que l'artisan a dû réaliser une rampe courbe pour rejoindre les deux volées !
Première chambre
La première chambre, avec son lit à baldaquin en indienne, est l'occasion d'un cours sur la vie de l'époque. J'apprends en particulier que les dames s'épilaient les sourcils et leur substituaient des postiches en poils de souris, et que l'écran au petit point, près de la cheminée, servait à se protéger le visage couvert de cire, ancêtre du fond de teint et excellent camouflage des traces de la vérole.Seconde chambre
La seconde chambre contient un berceau hollandais couvert de cuir, puisque les enfants jusqu'à l'âge de deux ans étaient gardés dans la chambre. Lors des réceptions, pas de chambre d'amis, pas de possibilité d'hébergement à des lieues à la ronde. On transformait donc les chambres en dortoirs, en y entassant jusqu'à huit matelas. Et, quand ça ne suffisait pas, on les couchait dans le même lit en les séparant par un drap ondulé comme de la tôle !Un escalier qui conduit aux logements des esclaves sépare d'une pièce multifonction, qui servit aussi de cuisine et contient de vastes placards clos.
Grenier
Au dernier étage, le grenier permet d'admirer la belle charpente, et d'observer un curieux mélange pour jointer les murs, à base de chaux et de crins de cheval, encore visibles.Chambre d'enfants
En face, la chambre des enfants. La maison de poupée reste la plus ancienne des États-Unis, et, juste devant, se trouve un "navire" fabriqué maison. Le lit, toujours cerné de rideaux pour se prémunir du froid, avait son matelas en simple corde tendue, qu'il fallait périodiquement retendre à l'aide d'une clef.Logements d'esclaves
A l'arrière se trouvent les "chambres" des esclaves, pas plus confortables que des écuries. Et encore, nous révèle David, ce n'étaient pas eux les plus mal traités, car ils étaient amenés à servir longtemps, dans tous les sens du terme.Encore une salle à manger
En bas, à l'arrière de la maison, un des descendants rajouta une pièce de réception. Selon la loi, les veuves ne recevaient rien à la mort de leur époux, et devaient prestement vider les lieux transmis à l'héritier, forcément mâle (généralement un fils mais pas toujours). Sauf si le mari avait prévu le coup, et expressément noté s'il léguait à Madame la maison, ou s'il lui laissait l'usufruit de tout ou d'une partie, parfois seulement d'une chambre en oubliant de spécifier le pallier ou l'escalier, ce qui condamnait la malheureuse à vivre cloîtrée. Van Cortlandt fut prévoyant et laissa une pièce de réception à son épouse ; son fils, s'y établissant, en réalisa donc une seconde pour son usage personnel.Dans le Bronx
Je quitte donc les lieux à trois heures et quart. J'avais prévu de déjeuner dans le coin et de faire un tour dans le parc, mais je tiens à visiter la maison de Poe, qui ferme à cinq heures.Google Maps m'a prescrit un itinéraire de cinquante minutes bien agréable, entre demeures typiques en briques, chemin longeant le réservoir, prestigieuses universités. Dommage que la pluie se mêle de la partie. Sur la fin, au niveau du Grand Concourse, le Bronx devient plus populaire, mélange de Noirs et de communautés latino-américaines.
Jerome Park Reservoir, un lac artificiel miniature |
Kingsbridge Armory, construite au début du XXe siècle pour héberger un régiment des New York National Guards. |
Kingsbridge Armory évoque un château médiéval. |
Décidément, après le barrio, je fais un itinéraire de fresques !
Edgar Allan Poe Cottage
Le cottage d'Edgar Allan Poe frappe par son humilité après le luxe géorgien. En plus, cette modeste bâtisse fait l'effet d'une cabane de jardin au milieu des immeubles et du vaste espace du boulevard.Un peu flou sous la pluie... |
Cette dernière demeure correspond à un projet précis de Poe : trouver de l'air pur pour son épouse Virginia, tuberculeuse, dont la chambre fut placée juste devant la porte. Peine perdue, c'est là qu'elle décéda peu après.
L'intérieur est réellement rudimentaire. Une cuisine microscopique, avec son seau pour aller chercher l'eau à cinq kilomètres, une pièce un peu plus vaste où Poe rédigea plusieurs chefs-d'œuvre, la chambre de Virginia, plus réduite encore que les chambres de bonnes parisiennes. L'étage a été transformé en salles d'exposition, et on y diffuse un petit documentaire instructif.
La visite du jeune homme qui m'a gentiment accueilli et m'a permis de rester après l'heure de fermeture n'est pas du niveau de la précédente, mais il connaît bien son affaire. Cependant je garderai surtout le souvenir d'une visite avec une pluie diluvienne et sonore, dissolvant la vue par les fenêtres, et recréant l'espace d'un moment l'impression d'avoir rejoint l'époque du grand auteur. Et cette atmosphère, me semble-t-il, convenait idéalement à son œuvre.
Les appartements des personnages célèbres ne sont pas toujours passionnants à visiter, je dois l'avouer. Ils tentent de jouer sur deux plans, la reconstitution d'une habitation historique (plus ou moins authentique, ça varie selon les lieux) et le musée consacré à l'auteur (avec, selon le cas, une large expo de fac-similés et de photocopies). Mais celui-ci, dans un genre bien différent, était aussi intéressant sur les deux plans que les appartements d'Anna Akhmatova et de Dostoïevski vus à Saint Petersbourg il y a quelques mois...
Dîner dans un Diner : le New Capitol
Ce n'est pas tout ça, je meurs de faim. Sur les conseils de mon guide, je gagne le New Capitol, un "diner" de quartier où je suis très chaleureusement reçu. Il y règne une ambiance familiale et l'entente entre Pablo et ses employés fait plaisir à voir. On est aux petits soins pour moi, on vient me demander si je reveux du café... Pour quinze dollars avec la taxe et un pourboire sur lequel je n'ai pas lésiné, j'ai eu la soupe maison, un demi-poulet farci (oignons, raisins et cannelle), avec purée et épinards, un gâteau de riz maison, le café servi donc à discrétion.Un endroit comme on aimerait qu'il en existe davantage ! Je le recommande, sur Jerome Ave., près du métro de Kingsbridge Rd.
Gentiment démodé avec ses banquettes de skaï et ses lampes, mais chaleureux.
Pablo est sur tous les fronts.
La soupe, bien consistante, crackers en prime. |
Enorme assiette que je ne suis pas parvenu à achever. |
Gourmandise, le gâteau de riz (moins bon que celui de l’Ébauchoir, tout de même !) |
Retour dans un métro bondé comme il se doit, où parapluies et imperméables dégouttent abondamment.
I live in NYC and never heard about those houses.
RépondreSupprimerArt, Brooklyn
Welcome to all the readers from the New York State !
SupprimerYou should pay a visit, Art. I hope my pictures and my text will bring you to take the subway to this stop. And go on the weekend to meet David.
All the best
Very interesting pictures of a really nice house.
RépondreSupprimerWalt
Thanks Walt, it is very kind!
SupprimerLovely pictures of an exquisite house. Hope to visit it during our next trip in NYC.
RépondreSupprimerBeau and Gemma
Thanks to you both, I hope you visited it! My answer is very late, I am ashamed!
SupprimerWhat a great post on loveliest period houses in the Bronx! A pleasure to read.
RépondreSupprimerParminder
Great comment, Parminder, thank you very much!
SupprimerTrès intéressant article ! Deux lieux à programmer dans un voyage à New York.
RépondreSupprimerMerci.
Merci à vous, cher Anonyme, pour ce commentaire laudatif !
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