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samedi 14 août 2021

Monemvasia, l'ancienne Malvasia (Malvoisie)


 Un adorable village aux ruelles étroites blotti sur un piton rocheux. Très agréable balade.


Monemvasia est le nom moderne de l'ancienne Malvasia, connue en France sous le nom de Malvoisie : un minuscule piton rocheux relié au continent par une étroite langue de terre. 


Il commença à être habité lorsque les gens du coin, les Laconiens (la Laconie étant la région) durent y trouver refuge pour échapper aux invasions des Slaviques venus du nord de l'Europe. 



Peu à peu la citadelle, le kastro, s'organisa et se fortifia. 


Pour y parvenir, il faut contourner le rocher. J'ai laissé mon auto au parking sur la terre ferme, je parcours donc le chemin à pied, un peu moins de deux kilomètres. 
Je ne regrette pas ; la vue depuis les abords rocheux s'avère bien séduisante. 




Et, visiblement, les automobilistes qui ont tené de s'approcher se retrouvent à stationner le long de la route. 


Juste au-dessus de l'unique porte qui donnais accès à Malvasia, vécut  Yannis Ritsos, poète engagé et militant communiste. Son œuvre puissant exerça une influence notable sur la poésie du XXe siècle et il fut mis en musique par Leontis ou Theodorakis.

Un récit plein de péripéties 



Je reviens à l'histoire de Malvasia, très troublée. Au VIIIe siècle, on y établit un centre hospitalier qui fonctionnait selon les principes d'Hippocrate. Une médecine douce, à l'écoute du corps, dont le régime alimentaire était une base solide. Les méthodes d'Hippocrate sont apparemment bien connues à travers nombre d'écrits moules fois copiés ; non seulement elles ont l'argent inspiré la médecine moderne, mais elles sont toujours suivies, de très près, dans des centres dans le monde. Il y en aurait aux États-Unis, entre autres.
Une autre base de la médecine hippocratique reposait sur une hygiène stricte, le nettoyage des plaies (au vin, mais c'était de l'alcool, peut-être la meilleure solution à l'époque) et la désinfection des pansements à l'eau chaude. Le centre connut un grand succès lors des épidémies de peste successives. 


La prospérité économique reposait sur l'exportation. Sur le continent, on produisait la Malvoisie, un vin tiré du cépage du même nom. Aujourd'hui ce raisin a été implanté un peu partout, en Italie depuis très longtemps et dans toute l'Europe, de l'Autriche à l'Espagne. C'est un vin gris, comme un des pinots. En France, il est toujours cultivé, mais on connaît mieux ses descendants : la clairette, le bourboulenc, le macabeu, le rolle ou  vermentino ou la muscadelle... Pas toujours des cépages très sucrés mais bouquetés et fruités. Le rolle donne un vin délicieux en monocépage ! 

On entreposait donc le vin produit sur la terre ferme dans les caves et les navires partaient la distribuer dans l'Europe entière. Le royaume d'Angleterre était un grand client. 

C'est un des exemples de produit qui a pris le nom du point de diffusion, comme le jambon de Bayonne ! 



Le rocher fortifié, point avancé vers la Méditerranée, était depuis longtemps objet de convoitises. 


Les Vénitiens avaient tenté de s'en emparer sans succès. 


Guillaume II de Villehardouin était un prince franc, né à Kalamata, fils de Geoffroi Ier. Plus tard, il ferait construire la citadelle de Mystra et ses possessions s'étendraient jusqu'à Naxos. 


En 1245, il avait trente-quatre ans et avait de la suite dans les idées. Il était bien décidé à s'emparer de Malvasia et il lui fallut trois ans de siège ininterrompu pour parvenir à ses fins en réduisant les habitants à la famine. 


C'est le début d'une longue période où la ville passe de main en main. Guillaume la cède en paiement de rançon à Michel VIII Paléologue qui l'utilise, revers ironique, pour combattre les Francs. Elle abrite la flotte génoise qui l'aide à mener à bien ce projet. 


Les Turcs s'en emparent et la ville sert à nouveau de rançon envers le sultan Bajazet (oui, celui de la tragédie de Racine, héros de nombreux opéras). 


Les Vénitiens qui mènent un jeu serré avec les Turcs pour la possession des places méditerranéennes finissent par l'obtenir en 1464. La République des Doges est avant tout une entreprise commerciale, construite avec profit dans le sillage des Croisades, et son but demeure l'établissement de comptoirs commerciaux. 


En l'occurrence, la possession de Malvasia signifie le contrôle de l'exportation du vin homonyme. Ainsi à Venise on pourra trouver une Calle della Malvasia, rue de Cannareggio qui part du Rio della Misericordia




Malvasia reste un vif enjeu entre Vénitiens et Turcs. Ces derniers là reconquièrent et expulser tous ses habitants ! Elle devient un poste militaire uniquement peuplé de la garnison ottomane. 


Après de multiples tentatives, les Vénitiens réemploient une stratégie qui a déjà fait ses preuves : le siège ! Quatorze mois sont nécessaires, cette fois, pour s'emparer de Malvasia. 



Et c'est de courte durée. Vingt-cinq après... Les Ottomans reprennent possession de Malvasia, et cette fois pour un bon moment. 


Nous sommes en 1715 et Venise n'est plus la terreur des mers qu'elle fut pendant des siècles. La ville est devenue un lieu de plaisirs et se transforme déjà en destination touristique. Le vieux lion aux griffes usées ne cherche plus à étendre sa patte en Méditerranée. 


Finalement, c'est la guerre d'indépendance qui marque la dernière étape, en même temps que le reste du territoire. 


Histoire donc pleine de rebondissements, mais qui montre bien l'enjeu incroyable de ce minuscule rocher. 



Je n'ai guère de chance lors de ma visite où toutes les églises sont fermées. Et cependant, je me régale et tombe sous le charme de ce village aux venelles étroites et tortueuses, photogénique en diable. 



Les constructions s'appuyant les unes sur les autres, les ruelles se couvrent d'arcs qui créent des passages voûtés. 




Ce n'est pas bien éloigné de la cheminée vénitienne telle que Canaletto la représente sur ses vedute


On en repère bien davantage que de systèmes de récupération d'eau. Cela m'intrigue. La survie d'un îlot dépend largement de ses citernes. Dans une aire où la pluie est rare, on est généralement bien organisé. Est-ce que tout cela a disparu ou est-ce bien dissimulé ? 







En s'approchant de la mer, il est facile de constater que nous nous trouvons bien dans une forteresse militaire. 


Des meurtrières sont aménagées à intervalles réguliers. 



Des chemins de ronde permettent de contrôler toutes les arrivées maritimes. 


La place plus dégagée autorise les tirs au canon, évidemment, et les mouvements de garnison. Je pense qu'elle a dû être élargie dans l'histoire.



Je prends le petit chemin qui mène au phare, étonnamment étriqué, sans doute suffisant.
 

 Il paraît tout neuf ! 


La muraille orientale s'étend sur 80 m de long, renforcée par un bastion nommée Porta di San Rocco par les Vénitiens. On y a retrouvé des traces de citerne (ah, enfin !) et on y avait ménagé des embrasures pour les tirs de canon. 


Je suis tenté par la grimpette au sommet de la citadelle. Mais la canicule, le soleil accablant, ajoutés au mauvais rhume que je me traîne toujours ont raison de mon enthousiasme. Je vais me borner à une exploration des ruelles du village. 






Les habitations suivent un modèle constant. Deux niveaux en général, trois parfois. Le rez-de-chaussée servait de salle de réception et accueillait la cuisine. La vie quotidienne se déroulait surtout au premier étage, un espace unique divisé par des tentures. Un esprit loft, en somme. 
Mais n'oublions pas que la plupart des habitations modestes suivaient partout le même principe. La division en pièces était un signe d'opulence. 



Des ouvertures sur la rue suffisaient à transformer le bas en boutique, plus proche de l'échoppe dans le bazar que de la bijouterie huppée avec ses vitrines. 




Voilà tout de même une église dont je peux voir l'intérieur, à ciel ouvert. 

C'est un édifice byzantin du XIIe siècle. Les traces de fresques dont parle le panonceau réclament de meilleurs yeux que les miens ! 
Mais l'église avait bien conservé son tremplin, l'ensemble de marbre qui délimitait l'espace sacré. 





En revenant vers la porte de la ville, je découvre l'autre partie de la muraille. La mince meurtrière est directement orientée vers la mer. 






Je n'en reviens pas ! Une Aptenia cordifolia, (= aux feuilles en forme de cœur) une mésembryanthémacée aux petites fleurs rouges, s'est totalement emparée du mur. Je pense que c'est la plus grande que j'aie jamais observée ! 


C'est visiblement le coin des plantes grasses. Un amoureux des succulentes doit résider dans le coin ! En tout cas, le Selenicereus chrysocardium (= au cœur d'or, quel beau nom !) ,un cactus grimpant, semble se plaire sur le mur. 




Les églises connurent le sort habituel avec les possessions turques : transformées en mosquées selon les périodes,comme Sainte-Sophie à Constantinople ou la cathédrale de Cordoue. 




Un dernier regard pour la citadelle que je n'aurai pas conquise, et je quitte les lieux. J'ai trois heures de route ! 




Mini-maison (tiny house) guère plus spacieuse qu'une caravane. Sans doute paradisiaque pour son propriétaire avec sa vue imprenable et son accès immédiat à la plage ! 



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