Paris : Exposition Peintures des lointains au Musée du Quai Branly

Le Musée du Quai Branly a eu la bonne idée de monter une exposition uniquement à partir de ses réserves. Il a récupéré beaucoup de fonds coloniaux, notamment du Musée de la Porte Dorée, et une quantité non négligeable d'œuvres réalisées pour les diverses expositions coloniales et universelles. Et tout cela dort sans être exposé !



S'il est indéniable que l'aspect colonialiste ne peut être évacué, on découvre énormément dans cette exposition.

Tout d'abord qu'on connaît très mal la majeure partie de ces peintres, souvent de bons faiseurs, parfois de réels artistes. Presque toujours des hommes qui font partager leur émerveillement devant cet exotisme fabuleux.

Si le réalisme inhérent à l'orientalisme marque la plupart des peintures, l'évolution de l'art n'est pas totalement absente. C'est souvent la couleur qu'on va retenir, plus que le trait qui respecte la tradition.

J'ai ressenti souvent une grande sincérité, un souci de montrer l'inconnu et de convaincre autant que de décrire. Parfois jusqu'à l'empathie. La plupart des peintres sont de vrais voyageurs, des convaincus de l'exotisme, et c'est perceptible même dans les œuvres de commande.

Les lieux ? Beaucoup d'Afrique, évidemment, la grande zone du colonialisme français, un peu de Pacifique, un peu d'Indochine… Ces peintures dessinent logiquement la carte des colonies.

Donc une grande quantité de découvertes. Une belle expo qui méritait d'être montée !

Marie-Antoinette Boullard-Devé, Frise de personnages

Marie-Antoinette Boullard-Devé fit plusieurs voyages en Indochine et peignit cette frise pour le pavillon consacré à cette région coloniale française (Cambodge, Laos, Vietnam) dans la grande exposition de 1931.

Paul Mascart, Rade de Nouméa

Paul Mascart travaillait dans l'administration douanière mais c'est pour son travail de peintre qu'il fut envoyé en Nouvelle-Calédonie, où il vécut cinq ans.

Charles Fouqueray, Le Port de Saïgon

Fouqueray, peintre officiel de la Marine, dessinait des croquis pendant ses voyages qui lui servaient pour de grandes toiles réalisées de retour. Celle-ci fut également une commande pour l'Exposition Coloniale de 1931.

Louis Amable Crapelet, Rue à Beyrouth

Un classique de l'orientalisme peint par un grand voyageur en Méditerranée.

Vincent Cordouan, Café maure près d'Alger

Classique composition en diagonale et assemblage de thèmes orientalistes : palmiers, cavaliers, édifice exotique.

Germain Fabius Brest, Café maure à Alger

Même thème, mais traitement très différent. Un tableau charmant avec une lumière très plaisante.

Prosper Marilhat, Mosquée dans la basse Egypte

Gautier aimait beaucoup Marilhat, ce peintre voyageur qui incorporait divers monuments dans des tableaux irréalistes, mais très séducteurs. Il sait visiblement manier le contraste et la lumière dorée.

Honoré Boze, Campement des cavaliers arabes près de Tlemcen

Léon Belly, La Mer Morte

Belly se rendit sur le site en 1951 et peignit cette toile pour le Salon, où son lyrisme et l'impression de désolation firent forte impression sur les critiques.

Charles Camoin, Plage à Tanger

Camoin retrouva Matisse au Maroc et peignit en 1912 cette toile, aux couleurs diluées comme une aquarelle. La largeur des aplats montre qu'on est bien entré dans le XXe siècle.

André Sureda, L'île de Djerba

Suréda vécut plusieurs années en Afrique du Nord et réalisa plusieurs peintures de mosquée. J'aime beaucoup celle-ci, avec une palette très réduite mais fortement contrastée.

Maurice Rodieux, Grande rue à Kairouan

Palette douce dynamisée par les touches de vermillon, amplitude de la vue en plongée. Classique mais réussi.

Albert Lebourg, Rue à Alger

Je retrouve ce mystérieux Albert Lebourg découvert dans les musées russes. J'apprends qu'il fut professeur de dessin à la Société des Beaux-Arts d'Alger pendant cinq ans ; en 1877, il s'intégra au groupe des Impressionnistes et participa à leurs expositions.

En tout cas, rien de ce que j'ai vu de lui n'est médiocre. Je suis certain pourtant que le gros de son œuvre dort dans les réserves des musées.

Louis Dumoulin, Le marché du Zoma à Tananarive

Un clin d'œil à l'exposition précédente avec ce peintre de la Marine. C'est à lui que fut commandé le célèbre Panorama du tour du Monde de l'Exposition Universelle de 1900.

Marcel Mouillot, Le Cirque de Cilaos

Mouillot concrétisa son rêve de voyages en s'embarquant sur un bateau à vapeur pour Madagascar et la Réunion. C'est là qu'il peignit cette toile stylisée où montagnes et plantes s'associent en formes découpées.

Henri Matisse, Etude de pandanus

On a parfois oublié que Matisse voyagea dans le Pacifique en 1930. Je me rappelle avoir lu que ses premières fleurs stylisées datent de ce séjour en Polynésie. Le peintre offrit au musée ce dessin, quelques années avant son décès.

Pierre Loti, Pandanus au bord de la mer

Incroyable époque où même les écrivains célèbres maîtrisent parfaitement le dessin ! Hugo (vraiment connu pour ses œuvres graphiques, tout de même), George Sand, Dumas… On fait au détour des expositions d'incroyables découvertes.

Léon Armand, Détroit de Magellan

Marin de carrière, Armand réalisait des carnets de voyage qui regroupaient ses puissantes gouaches et aquarelles.

André Coffinières de Nordeck, Carnet de voyage

Enseigne de vaisseau,  Coffinières de Nordeck réalisa ces dessins dans l'estuaire du Gabon.

Gaston Roullet, Une rivière au Tonkin

Un habile dessin au crayon où il me semble reconnaître le lieu, Tam Coc au Vietnam, la région dite Baie d'Ha Long terrestre. Gaston Roullet fut le premier peintre de la marine à visiter ces régions. Arrivé en 1886, il accompagna les militaires pendant quelques mois, durant lesquels il réalisa environ deux cents œuvres. Sans doute un sujet d'expo à lui tout seul...

Jean Baldoui, Le Flamboyant (Martinique)

Le tableau flamboie autant que ce célèbre arbre exotique.

Jean Dunand, Tigre à l'affut

Jean Dunand se forma auprès d'un artiste spécialiste de la laque, le Japonais Seizo Sugawara. Ses vases et tableaux rencontrèrent un énorme succès dans les années 1930. On lui commanda de grandes œuvres pour décorer la Bibliothèque du Palais de la Porte Dorée.

Jean Dunand, L'Eléphant

Marcel Mouillot, Site du volcan à la Réunion

C'est le Piton de la Fournaise qui est présenté dans cet autre tableau de Mouillot. Celui-ci me plaît énormément, par son graphisme mais aussi le travail de la palette.

Théodore Frère, Halte de la caravane

Frère peignit en Syrie ce tableau très composé, où la lumière écrasante est parfaitement rendue.

Edouard Auguste Nouveaux, Cascade de l'île du Prince

Nouveaux peignit en 1845 cette cascade sur l'île connue aujourd'hui sous le nom de Principe, en soulignant la nature luxuriante. Cette région était une grande productrice de cacao.

Conway Shipley, Orofena

Shipley, lieutenant de vaisseau, maîtrisait l'aquarelle comme nombre de ses compatriotes et il peignait sans relâche durant ses voyages. Les paysages de Tahiti furent souvent représentés. Cela me rappelle nombre d'aquarelles d'Ecosse !

François Auguste Biard, Deux Indiens en pirogue

Une toile de 1860, où Biard retrouve ses souvenirs de voyage sur l'Amazone.

Emile Bernard, Ombre et lumière

Emile Bernard, Pleureuses au Caire

Le Nabi Emile Bernard voyagea en Afrique du Nord où il composa des toiles originales, qui vont bien au-delà du simple exotisme.

Paul Gauguin, Maruru

Paul Gauguin fut élevé au Pérou, écuma les mers comme marin, devint agent de change avant de se réaliser comme peintre. Après la Bretagne, Arles et la Martinique, c'est la Polynésie qui lui livra une nouvelle charge d'inspiration.

Ses gravures sur bois peu conventionnelles ne sont pas la part la plus connue de son œuvre.

Paul Gauguin, D'où venons-nous ? Que sommes-nous ? Où allons-nous ?

Esquisse pour un grand tableau que Gauguin tenait pour son testament pictural, mais resté largement énigmatique.

Louis-Robert Bâte, Gamboula / Oubangui-Chari

Le Bordelais Bâte décrocha des prix de sociétés coloniales (et le second Prix de Rome) qui lui permirent de voyager dans des terres méconnues. Cette aquarelle très énergique et animée fut réalisée en Centrafrique en 1933.

Il vécut en Indochine et enseigna à l'école d'architecture de Da Lat. Capturé par les Viet Minh, il mourut en 1948, à l'âge de cinquante ans.

Willy Worms, Ambohimanga

Worms vécut un an à Madagascar ; Ambohimanga est une colline sacrée avec un palais et des tombes, d'où la présence de cet escalier dans la nature. Une toile très soigneusement construite en opposition de couleurs chaudes et froides.

Anonyme, Paul et Virginie portés par des esclaves

Une salle entière est consacrée à Paul et Virginie. Le roman de l'ingénieur Bernardin de Saint-Pierre rencontra un succès international incroyable, comparable à Harry Potter aujourd'hui. Non seulement on publia, republia, traduisit le roman, mais il ne cessa d'inspirer des œuvres diverses. 

Cela serait un bon sujet d'une exposition complète ! Le cartel précise que le musée possède plus de deux cents œuvres sur ce thème.

Editions dans plusieurs langues du roman Paul et Virginie.

Quelques-unes des cinq cent et quelques éditions répertoriées.

Anonyme, Paul et Virginie dans la forêt

Porcelaines et verre représentant des scènes de Paul et Virginie

Les produits dérivés de l'époque…

Assiette de porcelaine, Paul et Virginie dans la même couverture

Jules Migonney, Mauresque au Narguilé

La délicatesse du trait est mise en valeur par le noir et blanc. Migonney fut pensionnaire de Abd-El-Tif, l'équivalent de la Villa Médicis de Rome à Alger.

Marie Caire Tonoir, Femme de Biskra

Le couple de peintres Tonoir voyagea en Tunisie. Madame réalisa plusieurs portraits, et celui-ci montre de belles qualités d'expressivité.

Ange Tissier, L'Odalisque

Tissier ne quitta pas la France, et s'inspira sans doute de peintres connus. On sent ici un souvenir de Delacroix, non ?

René Piot, Danseuse cambodgienne

Fresquiste et créateur de décors pour la scène, Piot peignit à Marseille ce portrait d'une danseuse d'une troupe en tournée.

George Catlin, Deux portraits d'Indiens

Catlin voyagea auprès des Indiens nord-américains et monta une exposition-spectacle ethnographique où il présentait des objets et où dansaient des membres des tribus engagés.

Cela rappelle les tournées mondiales de Buffalo Bill, mais aussi les zoos humains des expositions coloniales.

Visiblement, la curiosité l'emportait alors sur la morale ; Louis-Philippe commanda directement ces toiles à Catlin.

Edmond Jean Charles Laethier, Carnet de la mission Brazza

Laethier se joignit à la mission de Savorgnan de Brazza au Congo, où il noircit de nombreux carnets pleins de paysages et de portraits.

Albert Hood, Gens de l'Himalaya

Région du monde largement moins représentée dans ces peintures. Hood montre un réel talent et une minutie appréciable dans cette description de différentes figures. Les moines que j'ai rencontrés au Tibet portent toujours les mêmes vêtements.

Paul Gabriel Capellaro, Femme kanake

Surtout réputé pour ses sculptures, ancien pensionnaire de la Villa Medicis, Capellaro était un grand voyageur. Il se rendit en Océanie, en Asie, parcourut plusieurs fois l'Afrique...

Ici un portrait méticuleux, bien plus achevé qu'une esquisse, où l'intensité du regard apporte beaucoup d'expressivité.

Narcisse Berchère, Mosquée arabe

Très jolie aquarelle des années 1850, sans chichis ni surcharge.

Eugène Fromentin, Tailleurs devant la grande mosquée

Fromentin est peut-être le plus célèbre des peintres essentiellement orientalistes français, si j'exclue donc Delacroix. Le peintre séjourna fréquemment en Algérie et y réalisa une grande quantité de toiles avec toujours ce souci du détail.

Eugène Fromentin, Campement arabe

François de Hérain, Mektoub

Hérain est bien connu pour ses œuvres exécutées pendant ses nombreux séjours au Maroc et en Algérie. C'est un peintre qu'on retrouve toujours dans les expositions orientalistes.

Alfred de Deken, Chef sénégalais

Je trouve que dans les portraits exotiques, on assiste à deux tendances principales : soit on peint un thème exotique, soit on fait le portrait d'une personne. Celui-ci me semble nettement de la seconde catégorie.

Paul Jacoulet, Hokkan-zen

C'est à Séoul que Jacoulet fit ce portrait à l'aquarelle. Cet artiste vécut au Japon dès l'âge de trois ans, son père avait été nommé professeur de français à l'Ecole des hautes études commerciales de Tokyo. Il voyagea dans des contrées peu fréquentées, comme les îles Marshall ou la Mongolie, et monta un atelier de gravure ukiyo-e à Asakusa.

Paul Jacoulet, Homme de Soog

Paul Mascart, Toyo de Bondé

Un vrai portrait où l'artiste a cherché à exprimer une personnalité.

Jeanne Thil, Afrique-Equatoriale française

Jeanne Thil peignit neuf grands formats pour le Palais de la France d'Outre-Mer à l'Exposition universelle de Bruxelles, avec une riche palette aux couleurs intenses.

Alphonse Monchablon, Portrait de Savorgnan de Brazza

L'explorateur est de retour, le chien fidèle est là. Mais la carte effleurée d'une main et le paysage d'arrière-plan signalent clairement son occupation principale.

Louis Tinayre, Entrée du capitaine Binger à Kong

Louis Tinayre voyagea également en Afrique et à Madagascar et peignit nombre de panoramas et dioramas, un genre qui faisait fureur. C'est bien difficile d'en voir aujourd'hui, leur gigantisme ayant systématiquement été la cause de leur destruction.

Paul Merwart, Portrait d'Emile Gentil

Paul Merwart mourut lors de l'éruption de la Montagne Pelée. Il portraitura Emile Gentil pendant ses missions au Tchad et au Gabon ; classique portrait "sous la tente".

Bernard Boutet de Monvel,
Portrait de Georges-Marie Haardt

Haardt, le chef de la Croisière Noire montée par Citroën en Afrique, bénéficie ici d'une flatteuse contre-plongée. Un vrai tableau publicitaire, où on distingue nettement le véhicule à droite.

Edouard Auguste Nouveaux, Vue du village de Diadoumé

Nouveaux fut appelé au Sénégal par le gouverneur Willaumez et y peignit une série de vues pour le Ministère de la Marine.

Charles Giraud, Prise du fort de Fautahua à Tahiti,
17 décembre 1846

Une image militaire, thème classique de commande, qui documente des conditions incroyables.

Géo Michel, Productions d'origine minérale

Toile pédagogique avec des indications des différents produits. On est bien dans la peinture coloniale où les populations travaillent d'arrache-pied au bénéfice des colons.

André Herviault, La visite au mandarin

Herviault reçut cette commande pour l'Exposition coloniale de 1831. Les militaires y sont favorablement présentés comme des moniteurs d'éducation physique, sous la bannière française.

Eugène Bourgeois, Le Canal de Suez

Eugène Bourgeois peignit ces délicieuses aquarelles pour la Compagnie du Canal de Suez.

Eugène Bourgeois, Le Canal de Suez

Eugène Bourgeois, Le Canal de Suez

Madeleine Luka, Le docteur Sainte-Rose

Cette peinture se détache de la plupart de celles exposées par un style très particulier. Madeleine Luka peignit à plusieurs reprises son arrière-grand-père. L'image du bon médecin servait la cause colonialiste.

Joseph Razafintseheno, Six scènes malgaches

Serait-ce un pendant de la peinture présentée dans l'exposition Madagascar ?

Suzanne Frémont, Chez les Bara

Suzanne Frémont fut chargée de mettre en place l'enseignement à la toute nouvelle Ecole des Beaux-Arts de Tananarive ; c'est de retour en France qu'elle réalisa cette toile, décrivant une des populations malgaches.

To Ngoc Van, Scène domestique

J'ai vu au Musée des Beaux-Arts de Saïgon d'autres œuvres de ce peintre, un étudiant de Hanoï, devenu à son tour directeur de l'école.

Tran Van Minh, Le Hamac

Cela aussi me rappelle des souvenirs. Quand j'étais petit, nous achetions des cartes de vœux au bénéfice d'une association nommée Aide à l'Enfance du Viet Nam, et les peintures Tran Van Minh y étaient souvent représentées.

André Maire, Moï, ethnies des hauts plateaux

Maire fut engagé dans l'infanterie coloniale en Indochine avant d'enseigner à l'école des Beaux-Arts de Hanoï. Il visita les zones les plus reculées de la péninsule, décrites dans ces œuvres très personnelles.

Anonyme, Portrait d'homme

Un curieux portrait mêlant caractéristiques japonaises et occidentales. Cela me rappelle nettement la colonie de Nagasaki, où on voyait également des photos d'étrangers en costume japonais.