Moscou : Giselle avec le ballet du Kremlin

Une fois n'est pas coutume, me voici spectateur de ballet. Ce n'est clairement pas mon type de spectacle favori, mais j'en ai bien vu une trentaine dans ma vie, et quelques ballets classiques figurent là-dedans. J'ai même vu des troupes russes (le Mariinsky, le Bolchoi) dans leurs tournées françaises. Des ballets de Tchaïkovski essentiellement.
Giselle a beau être un classique, c'est une première pour moi.



A vrai dire, je l'ai inscrit à mon programme pour trois raisons :
- il n'y avait pas d'opéra ni de concert tentant ce soir.
- c'était l'occasion de pénétrer dans le fameux Palais des Congrès du Kremlin.
- j'étais curieux, à vrai dire, de revoir une chorégraphie à l'ancienne, avec une troupe inconnue pour moi.

Le Palais des Congrès

C'est Khrouchtchev qui décida de la construction de ce bâtiment, pour lequel il fallut raser des constructions historiques. Enthousiasme à l'époque, mépris ensuite.

Je ne le trouve pas si mal, cet immense bloc vitré, et assez visionnaire. Ces larges bandes de fenêtres illuminent l'intérieur et annoncent les réalisations "tout en verre" de nos jours.

Ce serait moins gigantesque, ça aurait sans doute plus de charme.

 Et puis, on a tout de même une belle vue sur le Palais des Patriarches !

A l'intérieur, c'est le minéral qui domine. L'immensité des surfaces fait un peu penser à un parking, tout de même.

 Nous sommes bien en Russie, le pays où les hommes offrent tout le temps des fleurs à leur dulcinée. Si ces gentlemen au cœur tendre ont oublié de s'en procurer, pas de souci : il y a un distributeur.

Avec la frise 100 % soviétique, on a le sentiment de remonter l'histoire.

 Vue sur l'arsenal et le palais présidentiel depuis les fenêtres.

 En cherchant le café (pfff... les indications brillent ici par leur absence !), je tombe sur cet invraisemblable jardin botanique... en pots !

 Le voici, le buffet (même mot en russe, буфет). Les dignitaires du parti pouvaient venir nombreux !

 Un programme, un café, deux zakouski (saumon, excellent, souple et goûteux, et un poisson blanc moelleux) ; je recouvre mes forces.

Les volumes donnent le tournis. 800 pièces, plusieurs salles de spectacle. Je suis, je crois, dans la grande de 6000 places. Mais la moyenne contient tout de même 4000 spectateurs !

Elle aussi porte la marque de son époque. Acoustique catastrophique mais visibilité excellente et remarquable confort des sièges, qui ont sans doute été refaits.

L'œuvre 

 Giselle, c'est un livret d'un certain Saint-Georges, et de Théophile Gautier que j'aime beaucoup. Cela ressemble un peu à ses contes fantastiques ; Giselle est aimée d'un noble qu'elle croit paysan. Elle meurt en découvrant qu'il est promis à une autre. Deuxième acte dans la forêt autour de sa tombe, avec des willis, créatures fantomatiques dont fait partie Giselle. Duo avec le noble, qui l'aime toujours.

La musique, c'est Adolphe Adam qui s'en est chargé. C'est resté sa réalisation la plus célèbre, plus que les charmants opéras Le Postillon de Lonjumeau et Le Toréador. C'est de la musique de circonstance : pas de deux, danse des paysans, etc... L'orchestration n'est pas fabuleuse (il a eu parfois la patte un peu lourde) et la scène des fantômes manque de magie et de coloris. Mendelssohn a fait bien mieux avec son Songe d'une Nuit d'été !

Quant à la chorégraphie, elle est basée sur la version historique de Petipa, le Marseillais qui fit carrière chez les tsars. Toutes les difficultés techniques y défilent, avec un nombre de pointes, d'entrechats, de sauts de pigeon, de grands écarts... incalculable. Ça demande vraiment de sacrés athlètes.

Le spectacle 

Évacuons le problème de l'orchestre, sonorisé dans cette grande salle, ce qui est bien cruel pour lui. Si les vents montrent leur valeur (mention spéciale à un hautbois agreste et à un trombone expert), les cordes souffrent de nombreux problèmes de justesse. Le chef prend grand soin du rythme, ce qui est, je crois, nécessaire avec des danseurs sur scène.

Le décor est incroyablement kitsch, particulièrement celui du premier acte avec ses maisons des sept nains. Mais le public semble ravi !

 Sans être plus contemporain, celui du second acte est un peu plus dépouillé. Ou est-ce simplement que j'aime le bleu !

La troupe du ballet du Kremlin est bien nombreuse (en tout une soixantaine de danseurs sur scène, comprenant les solistes) et virtuose. Ensembles impeccablement synchronisés, c'est la magie de l'unisson qu'on attend ici.

 Les nombreux solistes sont valeureux, notamment le Hans de Mikhail Evgenov et la Myrtha d'Irina Ablitsova.

Les deux solistes principaux héritent d'un programme très technique, très lourd, et en plus ils débutent tous deux dans leur rôle respectif.

Bravo donc à Ekaterina Pervushina et à Daniil Roslanov.

 Je ne suis vraiment pas spécialiste du ballet, mais j'ai été sensible à leur grâce et à leur expressivité. L'amplitude des sauts des sauts du jeune homme m'a autant stupéfié que les longues traversées de scène en sauts sur pointe de la jeune fille.

Et puis, ils font vraiment un beau couple sur scène.

 J'ai passé un bien meilleur moment que je ne le redoutais. Pour 600 roubles, 8 euros environ, super-bien placé. Que demander de plus ?

Je ne saurais trop conseiller aux touristes de surveiller le programme de cette salle. Alors qu'ils étaient bien présents hier soir au Bolchoi, je n'en ai pas croisé un seul ce soir !

Sortie par la tour, avec une étoile rouge qui brille comme au faîte d'un arbre de Noël. Je prends le métro et sors à Chestye Proudy, une station décorée très différemment !