Retour à Lyon
Un voyage à Lyon est toujours un plaisir. Ce n'est pas si
loin et je suis toujours assuré de la qualité des repas comme des spectacles.
Promenade lyonnaise
Pour ce week-end pascal, départ le vendredi matin et
retour le dimanche soir. Ce décalage permettra d'éviter les bouchons sur
l'autoroute. Vers midi, nous sommes à Valence ; nous avons souvent déjeuné dans
un restaurant du centre ancien, le Grand Rue, où toute la cuisine est maison et
le prix très correct. Le centre ancien de Valence semble toujours attrayant et
je compte bien y faire un arrêt plus prolongé à l'occasion.
Arrivée à Lyon dans l'après-midi, installation à l'hôtel
du Helder, un établissement tranquille et bien tenu dans le quartier de la
Guillotière. Et départ pour une balade dans le centre, toujours très animé.
La Juive à Opéra de Lyon
Ce soir, représentation à l'Opéra d'un rare trésor du répertoire, la Juive de Halévy. Je n'ai plus vu cette œuvre depuis les triomphales représentations de Bastille, en 2007, et je me réjouis de le réentendre. Surtout dans une production d'Olivier Py, qui a toujours des idées intéressantes sur les livrets.les arbres calcinés derrière la bibliothèque |
Une œuvre forte
Cet opéra a un livret dramatiquement efficace, basé sur
un double triangle. D'une part, Brogni a cru sa fille, Rachel, brûlée dans la
dévastation de sa maison et, suite à son chagrin, est entré dans les ordres
avant de devenir cardinal. Eléazar, un Juif, l'a recueillie et élevée comme sa
propre fille. Devenue une jeune femme, elle aime à présent Léopold, ignorant
que celui-ci est chrétien et époux de la princesse Eudoxie. Découvrant ces
liens, Rachel dénonce sa relation, ce qui devrait entraîner leur mise à mort
mutuelle. Mais Eudoxie la supplie d'innocenter Léopold qu'elle aime toujours
sincèrement. Rachel y consent.
Un sujet historique sur fond d'antisémitisme galopant,
des personnages forts soumis à leurs doutes et à leurs douleurs : on tient là
un riche sujet d'opéra, qui parle toujours au spectateur du XXIe siècle.
Roberto Scandiuzzi et Sabina Puertolas, Brogni et Eudoxie |
Saisissante production
Sa mise en scène de Py rappelle justement cette actualité. Il évoque d'holocauste avec des arbres noircis et une masse de chaussures qui tombe soudain des cintres (effet saisissant). Le peuple manifeste en grandissant des pancartes " La France aux Français" ou "Les étrangers dehors" qui renvoient à une actualité toute récente. Il modifie quelque peu la perspective en éliminant la dimension d'orfèvre d'Eléazar, qui vit au milieu d'une immense bibliothèque. Lorsqu'il va chercher le bijou-relique pour Eudoxie, c'est un livre (une partition semble-t-il) qu'il rapporte. Insister sur l'aspect culturel du judaïsme et souligner la perte que l'antisémitisme a suscitée montre bien la pertinence de la lecture de Py. Par ailleurs il se fonde largement sur l'investissement scénique des acteurs-chanteurs, tous très engagés. Les gestes sont visiblement très travaillés et éloquents, c’est du vrai théâtre que nous voyons. Dommage quand même que ces décors et costumes soient si ouvertement en noir-blanc-gris, même si le rouge d’Eudoxie crée bien l’opposition avec les autres personnages.
La direction est confiée au futur chef permanent, Daniele
Rustioni, que je n’ai jamais vu, même si j’ai entendu plusieurs enregistrements
dirigés par lui au Maggio Musicale de Florence. Ce jeune chef me surprend
vraiment par la souplesse et le dramatisme de sa baguette, et par la fine
compréhension de l’œuvre qu’il démontre. En plus, il écoute beaucoup les
chanteurs et fait souvent dialoguer l’orchestre avec eux en prenant garde à ne
pas les couvrir. Et on voit qu’il a pris la mesure de la sécheresse de l’acoustique
de la salle, en jouant sur la rondeur des timbres pour compenser. Après l’excellent
Kasushi Ono, l’Opéra de Lyon peut compter sur une nouvelle personnalité d’excellence.
Les chœurs, tout aussi engagés (y compris scéniquement) et l’orchestre font
merveille.
Nikolai Schukoff et Sabina Puertolas, Eleazar et Eudoxie |
Brillante distribution
Du côté des chanteurs, les seconds rôles sont de grande qualité, Vincent Le Texier donne une vraie stature à Ruggiero et Charles Rice chante Albert avec beaucoup de couleurs. Pour les rôles principaux, aucun des chanteurs n’a la voix exacte pour le rôle mais se donne à fond pour offrir de grandes prestations : Rachel Harnisch chante Rachel avec un français, un style, une qualité de voix admirable (pourquoi n’est-elle pas plus connue ? Quelqu’un que j’aimerais bien réentendre !). En dépit d’une voix pas très large, elle interprète ses airs avec une intense expressivité et un grand souci du phrasé. Sabina Puertolas, dont j’ai gardé un bon souvenir après des représentations au Liceù, ne peut effacer la qualité de la prestation d’Annick Massis à Bastille, et sa voix n’a pas toujours la rondeur et la pureté souhaitables. Mais elle chante les notes (toutes, c’est déjà pas mal !) et le personnage est convaincant. Roberto Scandiuzzi, c’est sûr, n’a pas vraiment les aigus de Brogni (en général, on a soit les aigus, soit les graves du rôle, quasiment jamais les deux !) mais ses graves profond et la noblesse de son legato sont vraiment fabuleux. Et quel personnage déchiré et émouvant !
Les deux ténors sont des rôles éprouvants et ce n’est pas
facile de trouver des interprètes satisfaisants. Enea Scala, que j’ai vu dans
Caterina Cornaro et en Fenton de Falstaff, confirme ses qualités : voix
homogène, bien soudée avec le registre aigu, franche maîtrise de la dynamique,
qualité de la langue. J’ai bien l’impression qu’il va vite passer du répertoire
de ténor léger à celui de ténor lyrique ; on a envie de le voir s’emparer
d’Alfredo de la Traviata et du Duca de Rigoletto, avant de passer à un
répertoire plus large. Qui sait, Manrico du Trovatore dans une dizaine d’années ?
Quant à Nikolai Schukoff, il se tire avec les honneurs d’un rôle impossible :
français parfait (qu’il avait déjà avant d’être coaché à la maison par Isabelle
Cals, son épouse française !), profondeur d’un personnage tendu par les
déchirures psychologiques, beau phrasé dans ses airs. On peut lui reprocher de
ne pas avoir la couleur adéquate et une voix un peu amincie dans le registre
aigu, qu’il doit parfois forcer, mais chapeau bas pour ce chanteur que j’ai
entendu excellent dans les répertoires les plus variés : Mahagonny, Parsifal,
Don José, la IX° Symphonie de Beethoven ou le terrible Lied von den Erde de Mahler…
C’est vraiment une grande soirée d’un super opéra et j’aurai
les airs en tête toute la semaine suivante…
Daniele Rustioni et Roberto Scandiuzzi |
Nikolai Schukoff |
Enea Scala |
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